Comment l’héroïne de mon roman m’a faite féministe humaniste

Marguerite Vallette-Eymery, called Rachilde (1860-1953), French writer born in Cros (France). Ca. 1915. (Photo by adoc-photos/Corbis via Getty Images)
adoc-photos / Corbis via Getty Images Marguerite Vallette-Eymery, called Rachilde (1860-1953), French writer born in Cros (France). Ca. 1915. (Photo by adoc-photos/Corbis via Getty Images)

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Rachilde, au début de mon livre, est encore Marguerite Eymery, jeune périgourdine livrée à elle-même entre une mère folle et un père militaire. Refusant les conventions, elle préfère tenter de se suicider que de se laisser marier.

FÉMINISME - Soucieuse de la question de l’émancipation des femmes, toujours vigilante dans mes paroles et dans mes actes à promouvoir l’égalité des sexes, je ne m’étais jamais véritablement penchée sur mon féminisme. Jusqu’à Rachilde.

Les néoféministes et moi

Professeur (sans e) de français extrêmement investi dans le travail de mémoire et la lutte contre le racisme et l’antisémitisme, j’ai longtemps laissé à d’autres le soin d’œuvrer en profondeur sur le thème de l’égalité homme-femme. On ne peut pas être sur tous les fronts. Par ailleurs, je ne me reconnais pas dans les mouvements féministes mis en avant dans notre société.

Les partisans de l’écriture inclusive et du point médian ? Outre le fait qu’ils méconnaissent et malmènent la langue française, ils en excluent ceux qui peinent à la maîtriser.

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Les militantes radicales ? Elles ont mis en place un féminisme guerrier dont les discours font prévaloir le ressentiment sur l’intelligence du dialogue.

Les misandres ? Elles revendiquent leur haine au point de vouloir gommer les grands hommes de l’Histoire. Révisionnisme intellectuel inquiétant, voire dangereux.

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Que dire enfin de toutes ces tribunes qui se multiplient et font de l’homme un bourreau systématique ? On oublie que la violence n’est pas une affaire de sexe. Qu’il y a « des » victimes de certains hommes, mais que toutes les femmes n’en sont pas. Que cette sorte de généralisation nuit à celles à qui on a vraiment fait du mal. Et que cela nous cantonne toutes sans exception dans un rôle d’éternelles proies, faibles et impuissantes.

Découverte de Rachilde

Il a fallu que je me lance sur les traces d’une romancière oubliée de la fin du XIXe siècle, Rachilde, pour enfin adopter un positionnement satisfaisant sur la place de la femme, celle qu’on lui assigne et celle qu’elle se crée.

C’est à Abnousse Shalmani que je dois cette heureuse rencontre, au détour d’un article sur les pionnières du féminisme.

Je ne me reconnais pas dans les mouvements féministes mis en avant dans notre société.

Rachilde, au début de mon livre, est encore Marguerite Eymery, jeune périgourdine livrée à elle-même entre une mère folle et un père militaire. Refusant les conventions, elle préfère tenter de se suicider que de se laisser marier. Au cours d’une séance de spiritisme, elle abolit son identité en choisissant son étrange pseudonyme « insexué ». Enfin, elle gagne Paris et au moyen de sa plume sulfureuse et subversive, s’impose dans le monde exclusivement masculin des lettres, puis de l’édition. Autour d’elle gravite toute la bohème décadente fin de siècle, Sarah Bernhardt, Jean Lorrain, Paul Verlaine, amis qu’elle a su séduire par son tempérament et sa personnalité.

Rachilde, ou le refus d’être une victime

À aucun moment, Rachilde ne se pose en victime du système patriarcal de son époque. Il y a pourtant fort à redire quant au statut des femmes dans les années 1880 : elles sont encore exclusivement des épouses et des mères, passant de la tutelle de leur père à celle de leur mari. Leurs droits sont limités, voire inexistants. Rares sont celles qui arrivent à prendre la parole dans l’espace public, la littérature ou la presse. En outre, Rachilde aurait bien des raisons personnelles de détester l’homme : d’abord mal aimée par son père, qui aurait préféré un garçon ; hantée par le souvenir d’une agression subie lorsqu’elle était adolescente ; rejetée par Catulle Mendès, poète fameux dont elle est éprise ; harcelée par certains directeurs de journaux ; soumise à la perpétuelle misogynie de la société dans laquelle elle évolue… Pourtant, elle ne cède pas à la tentation de l’amertume. Et tandis que s’organisent autour d’elle les premières associations féministes, à qui elle laisse le soin de lutter contre les inégalités, elle œuvre à sa manière pour se faire respecter en tant qu’auteur. Forte de son caractère bien trempé, de son talent et de sa puissance de travail, elle se proclame « homme de lettres », car selon elle, pour égaler l’homme, il faut être homme comme lui. Elle se coupe les cheveux et obtient de la préfecture le droit de porter le costume.

Rachilde féministe ?

Rachilde ne milite pas, elle ne militera jamais. Elle ira même, c’est là tout son paradoxe, jusqu’à écrire un manifeste intitulé Pourquoi je ne suis pas féministe. Pour autant, son parcours et son œuvre sont un pied de nez à la domination masculine. D’abord parce que, dans ses romans, elle imagine des femmes célibataires, puissantes, fatales, et inverse les rôles dans la sexualité du couple. Ses héroïnes rejettent le mariage, la maternité et refusent l’amour « normal » car il est associé au plaisir de l’homme. Elle se plaît à créer le scandale, à provoquer et dans ses jeunes années, à entretenir son personnage de créature monstrueuse, sans sexe. Ensuite parce que, décidant soudain de revenir à une vie plus sage, elle deviendra la très estimée patronne du Mercure de France, chroniquant tous les auteurs naissants du début du XXe siècle.

Le camp des féministes humanistes

Rachilde est loin d’être un modèle. Sa vie l’entraîne parfois vers des trajectoires discutables, notamment durant l’affaire Dreyfus. Mais si j’ai choisi de m’intéresser à ses débuts, c’est parce qu’elle est à bien des égards une femme forte, audacieuse et inspirante. De plus, elle est prétexte à réflexion : travailler sur Rachilde, c’est s’interroger sur la façon dont les femmes font avancer la cause des femmes. Je laisse à certaines le soin de crier au scandale contre des pistes cyclables prétendument « genrées ». À chacune ses combats. Pour ma part, j’ai rallié au fil de mes lectures le camp des Élisabeth Badinter, des Simone Veil, des Abnousse Shalmani, toutes ces femmes courageuses et engagées dans des luttes véritables, amoureuses de la langue française et de ses règles, respectueuses du discours, de l’échange constructif, mais aussi de l’homme dans toutes ses imperfections. Ces femmes persuadées que la cohabitation harmonieuse des deux sexes est possible et nécessaire, malgré leurs indéniables différences.

Je suis de ceux (car le masculin l’emporte grammaticalement), qui pensent qu’on ne doit pas déchirer des pages des manuels littéraires au motif qu’il y a trop d’hommes dedans. Ajoutons du savoir, exhumons les femmes oubliées. Redécouvrons Rachilde.

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