L’allaitement au travail reste un casse-tête en France, faute d’aménagements

À l’occasion de la semaine mondiale de l’allaitement, Le HuffPost s’est penché sur la question de l’allaitement au travail. Un casse-tête pour de nombreuses femmes qui doivent parfois arrêter d’allaiter quand elles reprennent une activité.

VIE DE BUREAU - Concilier allaitement et travail ne va pas encore de soi en France. Alors que la semaine mondiale de l’allaitement se termine ce week-end, Le HuffPost a voulu se pencher sur ce sujet, entre théorie et pratique. Que dit la loi sur l’allaitement au travail et comment est-elle appliquée ? La législation est-elle suffisante pour permettre aux femmes qui le souhaitent de reprendre leur activité professionnelle sans passer au lait artificiel ?

Entre un congé maternité qui dure six semaines et l’OMS qui prône une durée d’allaitement d’au moins six mois, reprendre une activité après une grossesse veut souvent dire allaiter ou tirer son lait sur son lieu de travail. C’était le cas de Melina, 31 ans, alors chercheuse au CNRS, qui est retournée travailler alors que sa fille avait 3 mois.

« Quand j’ai commencé à tire allaiter, j’avais mon bureau à moi. Sauf qu’il y avait de grandes vitres, raconte-t-elle. Je mettais un châle pour cacher mes seins, c’était une situation bof’, mais pas non plus horrible. » Selon la loi, une salariée « peut allaiter son enfant durant les heures de travail pendant un an à partir de sa naissance ». Elle bénéficie pour cela d’une heure par jour, qui peut être divisée en deux plages de 30 minutes. Si ces pauses sont un droit – pour les salariées du privé comme du public – le code du travail ne prévoit pas en revanche qu’elles soient rémunérées. Cela dépend donc de l’employeur ou de la Convention collective.

La mise à disposition d’une salle dédiée à l’allaitement n’est, quant à elle, obligatoire que dans les entreprises de plus de 100 salariées femmes. « L’employeur peut être mis en demeure par l’inspecteur du travail d’installer un local d’allaitement dans son établissement (ou à proximité) », indique le site du gouvernement. Ce qui, dans les faits, est très rare.

« Je mettais le lait dans les frigos du labo »

Le local dédié doit répondre à huit critères. Parmi eux : le fait d’être séparé de tout local de travail, d’être aéré, muni de fenêtres, pourvu d’eau en quantité suffisante ou à proximité d’un lavabo, mais aussi de sièges convenables pour l’allaitement. En revanche, les prises électriques et réfrigérateurs ne figurent pas dans cette liste, comme Melina a pu en faire l’expérience.

« Je mettais le lait dans les frigos du labo, donc ce n’était pas super, car ils contenaient par exemple des produits bactériologiques, regrette-t-elle. J’emballais tout, je faisais ça trois fois par jour. » Mais un jour, les locaux déménagent et elle se retrouve dans un autre bâtiment. Son bureau est toujours entièrement vitré, mais situé dans un endroit beaucoup plus passant. On lui indique alors une salle à l’infirmerie pour tirer son lait.

« C’était à 15 minutes à pied, souligne-t-elle. Du coup, je n’y allais pas, car je ne pouvais pas déjà passer 30 minutes à faire l’aller et retour. » Elle n’a d’autre choix que de tirer son lait aux toilettes, avec tout l’inconfort que cela implique. « Avec les gens qui allaient aux chiottes à côté, le fait de devoir faire attention à l’hygiène, il y avait un côté humiliant », se souvient-elle. L’effort à fournir est tel qu’elle tire son lait moins fréquemment et que sa production faiblit peu à peu.

« Si je n’étais pas retournée au boulot, j’aurais continué »

Au bout de trois mois dans ces conditions, elle jette l’éponge et décide, à contrecœur, de mettre fin à l’allaitement de sa fille, qui a alors huit mois. « À la fin, j’étais obligée de mélanger avec du lait en poudre, ça ne servait quasiment à rien », regrette-t-elle, tout en reconnaissant : « Si je n’étais pas retournée au boulot, je pense que j’aurais continué. »

Malgré la législation, très peu de grandes entreprises - mis à part certains sites d’Orange, Sanofi ou Axa-France, par exemple - ont installé des salles dédiées à l’allaitement. Mais les poursuites pour non-respect du droit d’allaiter restent très rares. En 2018, la CGT et Force ouvrière avaient saisi le tribunal de grande instance de Versailles après le refus d’IKEA d’organiser des négociations pour la mise en place de salles d’allaitement.

Malgré l’échec de la procédure – seul un inspecteur du travail était habilité à mettre en demeure IKEA –, la direction avait tout de même accepté de signer un accord. Et donc, de respecter la loi.

Pas de local dédié dans les petites structures

Si l’exigence d’un local dédié ne s’applique qu’aux grandes entreprises, les petites entreprises doivent aussi aménager une heure par jour pour les femmes qui allaitent. À la naissance de son premier enfant, Christel, 40 ans, travaillait dans un centre culturel français en Jordanie, où s’appliquent à la fois la loi française et la loi jordanienne en la matière.

« J’étais dans une position de direction, donc j’ai appliqué la loi du travail française, pour moi comme pour mes agentes, explique-t-elle. On était une petite équipe de vingt personnes. Nous n’étions pas dans des locaux prévus pour, c’était un peu compliqué. » Mais un espace est tout de même aménagé pour permettre aux femmes de son équipe le désirant de tirer leur lait.

Christel a ainsi pu tirer son lait pendant un an et demi. Depuis, elle est rentrée en France et allaite son second enfant, qui a sept mois. Elle compte reprendre le travail à la rentrée et la question de la poursuite de l’allaitement la préoccupe déjà.

« C’est quelque chose que je vais aborder avec mon futur employeur, espère-t-elle. J’ai bien connaissance du droit et de mes droits. Après, je saurai faire preuve de souplesse, car les petites structures ne peuvent pas avoir de local dédié. » Elle ne sait pas quand elle arrêtera d’allaiter, mais vivrait « assez mal » que ce soit à cause du travail.

« Ici, ce n’est pas dans les mœurs »

Pour elle, le monde du travail en France a des progrès à faire dans ce domaine. « Dans mon entourage, à chaque fois, c’est un bras de fer, le fruit d’une négociation, ça ne va pas de soi expose-t-elle. Ce n’est pas dans les mœurs. L’allaitement, en France, ce n’est pas quelque chose qui passe très bien et encore moins dans le monde de l’entreprise. »

Elle rêve d’un monde où « toute femme qui souhaite allaiter et qui travaille devrait avoir un espace à elle, et pas forcément seulement dans les grosses boîtes ». Melina, qui vient du Québec, où le congé maternité est trois fois plus long qu’en France, savait qu’elle devrait reprendre plus tôt, mais n’avait pas anticipé les complications liées à l’allaitement. « J’ai l’impression que la culture ici c’est : une fois que t’es revenue bosser, tu bosses », conclut-elle.

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