Législatives 2024 : Jordan Bardella à Matignon avec ou sans majorité absolue ? Le RN souffle le chaud et le froid

Mi-juin, Jordan Bardella faisait d’une majorité absolue une condition sine qua non pour briguer Matignon. Depuis, le discours se révèle plus nuancé.

POLITIQUE - Une absolue relativité. Avant même le premier tour des législatives, le Rassemblement national avait choisi son champion pour Matignon : Jordan Bardella. Sauf que la route vers Matignon s’avère un peu moins directe qu’espérée par l’extrême droite. Au point, à cinq jours du second tour, de diluer son discours sur la nécessité d’une majorité absolue.

Le 18 juin 2024, Jordan Bardella était catégorique. « Si demain, je suis en capacité d’être nommé à Matignon et que je n’ai pas de majorité absolue (...) et bien, je refuserai d’être nommé », déclarait-il dans L’Évènement. Ce, pour éviter d’être le « collaborateur » du président de la République, explique-t-il.

Voilà pour l’élément de langage. Dimanche soir, après les premières estimations de résultats, Marine Le Pen use de ce besoin de majorité absolue pour appeler ses électeurs à la mobilisation. « Rien n’est gagné et le second tour sera déterminant (...) pour donner à Jordan Bardella une majorité absolue à l’Assemblée nationale », lance-t-elle sous les vivats.

Invitée de France Inter ce 2 juillet, l’ex-cheffe du RN réaffirme que « bien sûr », la majorité absolue reste la condition pour envoyer son poulain à Matignon. La quête de cette majorité a au moins un double intérêt. Le premier est parlementaire : sans 289 députés acquis à sa cause, Jordan Bardella sera menacé à tout instant par le vote d’une motion de censure ou par un refus de la confiance après son discours de politique général. Avec comme conséquence immuable, sa démission.

Le second intérêt est technique : sans majorité absolue, difficile pour Jordan Bardella de mettre en application le programme clivant (ou ce qu’il en reste) du RN. « Depuis deux ans en France, nous vivons avec ce qu’on appelle une majorité relative. (...) On s’est très bien rendu compte que le pays ne pouvait pas être dirigé correctement », assume Philippe Ballard, porte-parole du parti dans une interview sur CNN le 2 juillet. « Si on accepte d’aller au gouvernement uniquement pour être assis dans un fauteuil de ministre, ce serait la pire des trahisons que nous pourrions faire à l’égard de nos électeurs », insiste Marine Le Pen sur France Inter.

Apparaît alors un troisième intérêt, non avoué par les cadres, mais stratégique en vue de 2027. Le RN, qui profite en partie d’un vote « anti-élites politiques » comme l’analyse le sociologue Félicien Faury dans Télérama, serait décrédibilisé par une arrivée au pouvoir qui n’aurait pas d’effets sur le quotidien de ses électeurs. Dit autrement : un Jordan Bardella sans poids à Matignon équivaudrait pour Marine Le Pen à se tirer une balle dans le pied en amont de la prochaine présidentielle.

Voilà pour les arguments qui poussent à tenir le discours d’une majorité absolue ou rien. Reste qu’à cinq jours du second tour, le RN doit tenir compte de deux autres paramètres. D’une part, les barrages à gauche et dans les rangs macronistes qui s’organisent pour éloigner la possibilité d’une majorité absolue. À quelques heures de la limite de dépôt des candidatures ce mardi, l’AFP en comptabilisait au moins 200.

Sans majorité absolue, Jordan Bardella « refuserait »-il vraiment Matignon comme il l’a déclaré ? Plus si sûr. « Il faudra bien entendu regarder la façon dont l’Assemblée nationale s’organise », lâche Sébastien Chenu, vice-président du parti sur France 2 le 1er juillet. « Effectivement, si nous sommes à quelques députés de la majorité, nous tenterons d’aller les chercher », confirme Marine Le Pen sur Inter le lendemain.

Après des années de pseudo-dédiabolisation (même si, fondamentalement, le RN reste d’extrême droite), compliqué pour Marine Le Pen et ses pairs de refuser le pouvoir s’il leur est proposé, au risque, là encore, de se décrédibiliser aux yeux des électeurs. « Ça fait 40 ans que je me bats en politique. Vous croyez que je continuerai à me battre tout en ne voulant pas aller au pouvoir ? Nous souhaitons gouverner, que les choses soient extrêmement claires », prend soin de souligner la triple candidate à la présidentielle ce mardi.

Reste qu’en cas de majorité relative, pour éviter la censure et le blocage, le parti va devoir faire ses calculs. Officiellement, on se garde bien de fixer un nombre limite d’élus à partir duquel Jordan Bardella briguera ou pas Matignon. Mais, si la majorité absolue n’est pas acquise dimanche soir, « on va aller voir les autres et leur demander s’ils sont prêts à participer avec nous d’une nouvelle majorité pour une nouvelle politique », reconnaît Marine Le Pen.

Les potentiels alliés sont déjà identifiés : « divers droite, divers gauche, quelques LR qui ont exprimé par le passé une proximité avec nos options », glisse Marine Le Pen. Sébastien Chenu évoque, lui, des députés qui voudraient éviter un blocage de l’Assemblée et d’autres qui souhaiteraient « faire barrage à Jean-Luc Mélenchon ». « Hier soir, j’ai reçu un certain nombre d’appels de députés, y compris de la majorité », assure-t-il. Coup de bluff ou pas, une chose est sûre : au soir du 7 juillet, le marchandage commencera sans doute entre ce qui reste de la droite, et son extrême.

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