Législatives 2024 : « Les artistes, porte-voix non consentants des partis politiques » - TRIBUNE

Photo d’illustration, prise lors du meeting de Jordan Bardella et Marine Le Pen le 2 juin 2024 à Paris.
STEPHANE DE SAKUTIN / AFP Photo d’illustration, prise lors du meeting de Jordan Bardella et Marine Le Pen le 2 juin 2024 à Paris.

TRIBUNE - L’issue des élections européennes du 9 juin, aussitôt suivie de l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale par le président Macron, a fait basculer la France dans un moment inédit de la Ve République. Pour la première fois, le Rassemblement National (RN) pourrait accéder aux plus hautes sphères du pouvoir, porté notamment par une jeunesse séduite par son chef de file Jordan Bardella.

La potentielle accession au pouvoir de l’extrême droite et le programme qu’elle propose soulèvent des interrogations quant à son impact sur le domaine culturel. Certains acteurs du monde culturel craignent un démantèlement des structures existantes et une instrumentalisation des œuvres à des fins idéologiques. Certaines associations dénoncent une focalisation sur la promotion de l’identité nationale et de la culture traditionnelle française, au risque de négliger la diversité culturelle et les minorités. Par ailleurs, dans les villes dirigées par le RN, les idées politiques de l’extrême droite se retrouvent déjà relayées par des actions culturelles subtiles visant à gagner la confiance des artistes et à normaliser ces idées.

Mais l’un des problèmes les plus préoccupants en cette période de campagne pour les artistes concerne l’utilisation de nos œuvres.

Au cours de la campagne des élections européennes, nous avons assisté à des incidents répétés. Des œuvres musicales ont été diffusées notamment lors de meetings politiques, et ce sans le consentement des artistes. Calogero s’est par exemple insurgé de voir son titre 1987 diffusé lors d’un meeting de Jordan Bardella au dôme de Paris début juin, sans qu’il ait au préalable donné son autorisation.

Utilisée dans un contexte politique, la musique peut être un outil à double tranchant, capable de rassembler les foules mais aussi de les embrigader en associant un artiste à une idéologie.

Dans une vidéo devenue virale sur les réseaux sociaux, le président du Rassemblement national peut être vu en train de danser sur le tube de Jul, Bande Organisée. L’utilisation de ce titre, parmi les plus écoutés en France par les jeunes, est un moyen détourné de tenter de les attirer vers le parti d’extrême droite.

« Il suffit de peu pour détruire une réputation »

Jonathan Dassin, fils aîné de Joe Dassin, est très inquiet quant à l’utilisation récurrente de titres de son père lors de différents meetings du RN, comme ce fut le cas le 1er mai à Perpignan avec le morceau Les yeux d’Émilie.

Utilisée dans un contexte politique, la musique peut être un outil à double tranchant, capable de rassembler les foules mais aussi de les embrigader en associant un artiste à une idéologie. Face à l’utilisation non consentie de leurs œuvres musicales lors de meetings politiques, les artistes sont souvent démunis et obligés d’agir après coup. Or il suffit de peu pour détruire une réputation et une notoriété.

Mais de manière systématique et avec un cynisme criant, les organisateurs desdits événements du RN répondent aux artistes qui font part de leur indignation la même chose : ils ont obtenu l’accord de la SACEM pour diffuser ces œuvres.

Le droit de dire non

De fait, les partis politiques en France sont des associations loi 1901. À ce titre, une simple déclaration à la SACEM et une cotisation forfaitaire « suffisent » à obtenir le droit de diffuser les morceaux choisis. Mais aucune ligne, même petite, ne prévoit le cas d’un événement politique. Pourtant, entre une musique de fond pour la kermesse de l’école et un meeting politique, quel que soit le bord, il n’y a vraiment pas qu’un pas.

Accorder aux artistes le droit d’engager, ou non, leurs œuvres en politique n’est que rendre justice à leur travail de créateurs.

Nous, Jonathan Dassin, Salwa Lakrafi, ainsi que de nombreux acteurs du monde de la musique, exigeons que l’utilisation de la musique lors d’événements politiques soit ajoutée à la liste des cas exclus des prérogatives de la SACEM. Une mesure déjà appliquée pour toute utilisation de musique dans des films, séries, ou publicités. L’ensemble des ayants droit - le producteur, l’éditeur, les collaborateurs de l’œuvre et l’artiste lui-même ou ses ayants droit - doivent avoir leur mot à dire. Certains partis politiques font d’ailleurs déjà uniquement appel pour leurs meetings à des artistes acquis à leur cause ou engagés spécialement pour l’occasion.

Le but de la plupart des artistes, comme l’a rappelé Calogero, c’est de chanter pour le public, au service de la fête mais aussi d’une certaine élévation spirituelle. Accorder aux artistes le droit d’engager, ou non, leurs œuvres en politique n’est que rendre justice à leur travail de créateurs. Être associé à un discours politique doit être un acte éclairé, transparent et surtout, consenti.

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