Kadyrov, Prigojine, Sobianine, Patrouchev, Bortnikov: qui pourrait prendre la place de Poutine?

Les autocrates font un tel étalage de leur puissance, exercent le pouvoir avec un tel autoritarisme qu'on imagine mal un monde sans eux. Les dictateurs eux-mêmes ont d'ailleurs traditionnellement du mal à se choisir un successeur. Pourtant, nul n'est éternel, et les tyrans pas davantage. Un constat qui doit trotter dans la tête de Vladimir Poutine.

Réélu en 2018 pour un mandat courant jusqu'en 2024, et qu'il ne voit sans doute pas comme son dernier, il semble pourtant solidement installé à la présidence de la Fédération de Russie. Mais entre son âge de 70 ans, les bruits récurrents sur sa santé, l'enbourbement sans gloire de son armée en Ukraine, et les dégâts causés sur son aura personnelle, Vladimir Poutine a perdu de sa superbe. Et les plaques de la tectonique politique bougent déjà autour de lui: ils sont nombreux à rêver de prendre à leur tour le pouvoir et à sortir du bois pour avoir une meilleure vue du Kremlin, en attendant l'ouverture.

Du tonitruant Tchétchène Ramzan Kadyrov à l'anguleux Sergueï Narychkin, en passant par le poutinien "historique", Alexandre Bortnikov, ou Sergueï Sobianine, supposé plus libéral, qui sont ces hommes qui peuvent espérer remplacer un jour leur maître à la tête de l'Etat? BFMTV.com dresse la galerie de leurs portraits ce mardi.

• Le "boucher" Kadyrov

Il est le plus célèbre à l'internationale, le plus remuant aussi. Et sans doute l'un des plus violents. Le nom de Ramzan Kadyrov revient fréquemment au moment d'évoquer les possibles dauphins de Vladimir Poutine.

Il faut dire qu'il tient déjà de lui une république: celle de Tchétchénie dont il est le "chef" depuis le choix de Vladimir Poutine en 2007, après en avoir été le Premier ministre. Son côté va-t-en-guerre, et sa cruauté à l'intérieur comme à l'extérieur de ses frontières, lui ont valu le surnom de "Boucher de Tchétchénie".

Il représente de plus une vraie force supplétive au plan militaire pour la Russie. Ainsi, il a envoyé sur le front ukrainien ses "Kadyrovski", quelques milliers d'hommes tout dévoués à sa cause et essentiels à l'effort de guerre russe. Vladimir Poutine a même décidé d'élever son "Boucher" au grade de colonel général.

Une reconnaissance qui a pu lui monter au cerveau. Au point qu'il a fustigé l'incompétence selon lui du général en chef des troupes russes en Ukraine, Alexander Lapine, qu'il rêvait de voir rétrogradé. Il n'empêche que ce dernier a effectivement été limogé aux derniers jours d'octobre. Ramzan Kadyrov aime, lui, à se mettre en scène comme donnant de sa personne, voire de celles de ses proches. Le 4 octobre dernier, il a diffusé des images de ses trois fils adolescents en pleine formation militaire. Il assurait qu'ils se préparaient à monter au front.

Pourtant, à la même époque, notre éditorialiste pour les questions internationales, Ulysse Gosset, notait quelques traits rédhibitoires qui entraveraient au besoin la trajectoire russe de Ramzan Kadyrov: "Il est Tchétchène, musulman, il ne peut prétendre au titre de Tsar". Et d'après le journaliste basé à Moscou, Paul Gogo, en duplex sur BFMTV lundi soir, l'opinion russe en a une piètre conception: "Ramzan Kadyrov est le chef de son petit royaume de Tchétchénie mais n'a pas d'influence en-dehors de Tchétchénie et il n'est pas apprécié."

• Evgueny Prigojine, le "cuisinier" qui mijotait quelque chose

Lui aussi fort en gueule, lui aussi violent, lui aussi belliqueux, Evgueny Prigojine, 61 ans, a peut-être davantage d'atouts que son siamois Tchétchène pour parcourir la route menant au pouvoir. En parlant de parcours, le sien est déjà atypique. Ancien malfrat et prisonnier au crépuscule de l'ère soviétique, Evgueny Prigojine a fait fortune dans la restauration, devenu le traiteur du Kremlin lorsque Poutine s'est emparé de la magistrature suprême. Contrat à l'origine de son surnom de "cuisinier de Poutine".

Il a par la suite pour le moins diversifié ses activités. Il est ainsi le fondateur de "fermes à trolls", qui s'échinent à déstabiliser les Etats étrangers en propageant les fausses nouvelles et tentent d'en influencer les processus électoraux. Surtout, il a fondé le groupe Wagner, compagnie de mercenaires, qui vendent leurs bras, depuis l'Afrique jusqu'à l'Ukraine en passant par la Syrie. Longtemps, Evgueny Prigojine a refusé de reconnaître sa paternité dans ces deux entreprises. Mais tout a changé au cours des dernières semaines. L'homme se sent à ce point pousser des ailes qu''il a ouvert en octobre des bureaux très officiels à Saint-Pétersbourg afin de donner un QG à son organisation pourtant illégale.

Evgueny Prigojine pense déjà l'étape suivante, la politique. Ainsi, d'après le site russe Meduza, il s'apprête à fonder un mouvement conservateur. Il jouit d'une image très caractérisée dans l'opinion. "C'est quelqu'un qui est vu comme un patriote, de terrain, prenant les choses en main contrairement à d'autres qui ont pu avoir l'air de paniquer à certains moments", a dépeint le correspondant à Moscou, Paul Gogo.

Un discours anti-élite qu'il partage là encore avec Ramzan Kadyrov d'après notre éditorialiste international, Thierry Arnaud qui a décrit lundi soir en plateau:

"Tous deux ont beaucoup tapé sur l'élite ces dernières semaines, ils dénoncent une élite sclérosée, corrompue, molle, des planqués oligarques qui ne font pas la guerre et leur famille non plus, l'état-major de l'armée qui serait incompétent".

• L'humilié Sergueï Narychkin pour une revanche?

Sergueï Narychkin a connu une célébrité dont il se serait bien passé il y a quelques mois de ça. Fin février 2022, une poignée de jours avant l'invasion de l'Ukraine, l'homme de 68 ans a en effet été humilié en direct à la télévision par Vladimir Poutine lors d'une réunion du Conseil de sécurité de la Fédération.

Balbutiant un discours brouillon sur ses vues quant au destin immédiat des républiques de Donetsk et de Lougansk, Sergueï Narychkin avait été harcelé par les questions d'un Vladimir Poutine sans pitié, lui ordonnant de se montrer plus clair. Il avait fini, comme à contre-coeur et intimidé, par se dire favorable à "l'indépendance de ces républiques", sous-entendu à leur détachement net de l'Ukraine en vue d'une annexion au territoire russe.

On se tromperait cependant en faisant de Sergueï Narychkin un homme sans envergure. Ex-président de la Douma, il est dorénavant patron des renseignements extérieurs.

• Alexandre Bortnikov, le compagnon de route

Alexandre Bortnikov est quant à lui à la tête du célèbre FSB, héritier du KGB. Et ce, depuis sa nomination par Vladimir Poutine en 2008. Comme le souligne ici TV5 Monde, le septuagénaire (il a 71 ans) a passé sa vie dans le contre-espionnage, l'intégrant dès 1975. Si on ignore la date précise de sa rencontre avec son collègue Vladimir Poutine, elle est probablement ancienne au sein de ces départements où ils ont évolué au même moment. En plus de ses responsabilités d'espion, il a quelques galons dans l'armée régulière: le président russe l'a propulsé, en 2006, général de corps d'armée.

Unis dans l'ascension, Vladimir Poutine et Alexandre Bortnikov le sont aussi dans les sanctions. Ce dernier est ainsi dans le viseur du Trésor américain depuis mars 2021 et la tentative d'empoisonnement de l'opposant Alexei Navalny dont il est tenu comptable.

• Nikolaï Patrouchev, le "moins poutinien"

Nikolaï Patrouchev a également 71 ans. Et lui aussi reste associé au FSB. En fait, c'est lui qui avait succédé à Vladimir Poutine à la tête de l'institution en 1999 lorsque celui-ci avait été appelé vers d'autres sommets. Pourrait-il rééditer l'exploit, en devenant une seconde fois le légataire de son patron? Ce dernier, en tout cas, a toute confiance en lui. La preuve, il l'a intronisé secrétaire du Conseil de sécurité de la Fédération de Russie. Il semble avoir eu une influence décisive dans la décision de Vladimir Poutine d'envahir l'Ukraine le 24 février.

C'est aussi là où le bât blesse: on mettra difficilement cette influence au nombre des réussites de Nikolaï Patrouchev. De plus, sa proximité avec son chef serait à relativiser d'après le propos de la réalisatrice Tania Rakhmanova, autrice d'Au coeur du pouvoir russe, à Ouest France: "Celui qu’on pense être le maillon faible, le moins poutinien, c’est Nicolaï Patrouchev". Une distance qui, selon les circonstances, pourrait toutefois s'avérer bénéfique.

Mais le journaliste Paul Gogo ne croit pas à ces options tirées du monde des "services". "On imagine les services de sécurité soutenir Vladimir Poutine jusqu'au bout. Ils ont grandi avec lui, ont gardé des contacts, sont liés à la situation actuelle", a-t-il énuméré lundi soir en duplex.

• Le "libéral" Sergueï Sobianine

Manque un visage à ce portrait de famille. Il faut dire qu'il tranche avec le reste. On évoque parfois Sergueï Sobianine pour succéder à Vladimir Poutine. Maire de Moscou depuis 2010, il est né il y a 64 ans, au sein de la population Mansis, une éthnie sibérienne, où il a fait ses classes politiques. Il fut ainsi le gouverneur de l'oblast (la région) de Tioumen.

Curieusement, cet homme qui doit tout à Vladimir Poutine, exerçant même trois ans la charge de directeur de l'Administration présidentielle, sorte d'équivalent de notre secrétaire général de l'Elysée, passe pour un libéral aux yeux d'une partie de la communauté internationale.

On remarque que la guerre et les derniers tourments planétaires ont opéré un grand nettoyage parmi les remplaçants potentiels du président russe. Ainsi, les ministres (de la Défense et des Affaires étrangères respectivement) Sergueï Choigou et Sergueï Lavrov paraissent balayés, hors course alors qu'ils étaient, au début du conflit, les seuls têtes un tant soit peu connues hors du territoire russe. L'un semble menacé de disgrâce, le second interroge quant à son état de santé.

• Et le Premier ministre?

Un ultime cas de figure demeure à envisager: celui d'une défaillance soudaine de Vladimir Poutine. Aux termes de la constitution russe, le successeur du président de la Fédération est tout désigné en cas d'empêchement de ce dernier: c'est au premier ministre d'assurer l'intérim.

Mais on voit mal l'effacé Mikhaïl Michoustine se saisir des rênes de l'Etat. Cet ingénieur de formation, spécialiste de comptabilité et de fiscalité, n'a ni le charisme, ni l'envergure pour éclipser d'hypothétiques rivaux. Mais sait-on jamais? Après tout le ciel reste embrumé au-dessus de la Place Rouge.

Article original publié sur BFMTV.com