La journaliste Zhanna Agalakova témoigne de la difficulté d'exercer son métier en Russie

Comment s'exerce le métier de journalisme en Russie? Depuis le début des années 2000, et encore plus depuis le début de l'invasion russe en Ukraine le 24 février dernier, les médias russes en sont réduits à servir la propagande du régime de Vladimir Poutine.

C'est notamment le cas de la chaîne publique Rossiya-1 et de son programme-phare présenté par Vladimir Soloviev, l'un des propagandistes les plus zélés du Kremlin, où les discours les plus va-t-en guerre et les justifications du conflit se succèdent quotidiennement.

Thèmes imposés

Invitée ce mardi sur l'antenne de BFMTV, la journaliste Zhanna Agalakova est une célébrité en Russie. Ancienne employée de Channel One, importante chaîne sous contrôle de l'État, elle a durant de nombreuses années présenté les journaux télévisés avant de devenir correspondante en France et aux États-Unis. Elle a démissionné du média le 24 février, jour du début de "l'opération militaire spéciale."

Sur notre antenne, celle qui fut décorée 2006 de la médaille de l'Ordre "pour le mérite de la patrie", décrit la manière dont les médias russes sont forcés par le Kremlin de recracher un discours pré-établi, qui ne peut dévier de la version officielle.

"Chaque vendredi matin, il y a une réunion dans l’administration du président où il y a toute l’information, les ordres à donner aux chefs de l’information de chaque chaîne publique russe", se rappelle-t-elle, décrivant un système "organisé, planifié et voulu" dans lequel journalistes et présentateurs peuvent de leur gré ajouter une autocensure "pour être plus visible, adoubés par le chef."

Un contrôle poussé à l'extrême par le régime de Vladimir Poutine. Comme parfaite illustration, ce souvenir de 2005, alors que le président russe venait d'être réélu à la présidentielle un an auparavant.

"J’ai compris que quelque chose avait changé. C’était le deuxième mandat de Poutine, et on a appris qui serait le nouveau président car on devait le présenter chaque jour, peu importe ce qu’il avait fait. C'était Medvedev", souligne-t-elle.

À la présidentielle de 2008, Dmitri Medvedev est ainsi élu avec le confortable score de 70% des suffrages, tandis que Vladimir Poutine, qui ne pouvait se présenter trois fois de suite selon la constitution russe, devenait Premier ministre. Ce dernier allait redevenir président en 2012 avant de signer plusieurs textes de loi lui permettant de désormais se représenter à sa propre succession de manière quasi-infinie.

Assassinat du journalisme d'opposition

Dans ce système bien huilé, il ne reste que très peu de places aux voix dissidentes. Depuis le début de l'invasion en Ukraine, lors de programmes, certains invités ont bien tenté de mettre en garde contre les méfaits de cette guerre. Vertement repris, ceux-ci ne sont ensuite plus conviés.

"Il y a toujours une liste des personnes qui peuvent apparaître à l’écran et qui ne peuvent pas. Ils n'existent plus aux yeux du public", explique Zhanna Agalakova.

Au début du conflit, la journaliste russe Marina Ovsiannikova, devenue célèbre après son irruption en direct à la télévision avec une pancarte critiquant la guerre, avait ainsi été interpellée à plusieurs reprises et condamnée.

En mars, Vladimir Poutine avait en personne signé une loi réprimant de peines de prison pouvant aller jusqu'à 15 ans les "informations mensongères" sur l'action de Moscou à l'étranger, arme répressive supplémentaire pour contrôler l'information.

Dans ces conditions, Zhanna Agalakova ajoute que les personnes blacklistées des médias traditionnels peuvent se tourner vers "des médias indépendants qui sont à l’étranger, puisque les autres sont détruits, ruinés, n’existent plus." Peu à peu, le journalisme d'opposition s'est tari en Russie, en raison des meurtres répétés de ses journalistes et par la peur des représailles pour ceux qui sont encore en vie.

Le média d'opposition le plus réputé, et encore partiellement en activité, reste Novaïa Gazeta, dont le rédacteur en chef Dmitri Mouratev a reçu le prix Nobel de la paix en 2021. Une prise de position pour laquelle le média paie un lourd tribut puisque, entre 2000 et 2009, six de ses journalistes ont été assassinés.

Autre exemple qui avait profondément marqué l'opinion publique à l'échelle internationale, l'assassinat le 7 octobre 2006, jour de l'anniversaire de Vladimir Poutine, de la journaliste Anna Politkovskaïa devant son domicile moscovite. À plusieurs reprises, elle avait dénoncé les dérives du pouvoir russe ainsi que la situation en Tchétchénie. Sa mort est depuis restée impunie.

Selon Reporters sans Frontières, la Russie se situe à la 155e position sur 180, entre l'Afghanistan et l'Azerbaïdjan, dans son classement mondial de la liberté de la presse.

Article original publié sur BFMTV.com