JO de Paris 2024: "Quand on m’appelée pour réaliser la tapisserie des JO, je pensais que c’était un canular", Marjane Satrapi a présenté son œuvre

Beaucoup d’émotions dans les yeux de Marjane Satrapi. "De la voir comme ça, ça fait vraiment quelque chose", s’émeut l’artiste. Dans l’atelier de la Manufacture des Gobelins dans le centre de Paris, des dizaines de personnes étaient réunis pour l’évènement. A moins de cinq mois des Jeux olympiques de Paris, la tapisserie, officielle des JO, va enfin voir le jour, après deux ans et demi de travail. "Quand on m’appelée pour réaliser la tapisserie des JO, je pensais que c’était un canular. Comme mes amis me font souvent des blagues, je pensais que c’était un gag. Je suis très honorée et très contente. J’étais aussi très tressée parce que la dernière fois que les JO étaient en France c’était en 1924. Il fallait être au niveau", sourit Marjane, artiste franco-iranienne née à Racht. Mais pour réaliser cette œuvre colossale, de neuf mètres sur trois mètres quarante, il a fallu, tout d’abord, répondre à un cahier des charges bien précis. "Il était immense. A la fois, il fallait mettre la couleur bleue, mais aussi Paris, le monde, la parité hommes femmes, le jour, la nuit, les nouveaux sports... Ce travail est contraignant mais dans la contrainte on est obligé de trouver des solutions."

"Vous avez l’impression d’inaugurer quelque chose de très important"

Et son imagination a parlé pour elle. "C’est difficile de dire comment je réfléchis à un dessin. C'est cérébral. Ça se met dans la tête. On travaille jusqu'à trouver un équilibre." Ce qu’elle a retenu pour cette tapisserie? Une œuvre en trois morceaux, un triptyque, avec une histoire sur chaque. "La première partie à gauche est une lanceuse de javelot. Je me suis basée sur l’affiche des JO de 1924. Dans la partie centrale, il y a un homme et une femme qui courent, pour représenter la parité. Avec Tour Eiffel au centre. Il m’a été impossible d'utiliser les anneaux olympiques, alors j'ai juste pris les couleurs. Et la dernière partie, ce sont les nouveaux sports dont le skate et le breakdance", détaille Marjane.

Avant le dévoilement officiel de l’œuvre, Marjane Satrapi a pris une paire de ciseaux en main "pour la tombée de métier". Moment où la partie centrale de la tapisserie est libérée des fils de chaîne du métier à tisser. Un moment important pour l’artiste. "C’est comme quand le Maire coupe le ruban tricolore, c’est la même émotion. Vous avez l’impression d’inaugurer quelque chose de très important. Sauf que c’est mieux qu’un ruban parce que vous coupez pendant longtemps", sourit l’artiste.

"C’est notre œuvre collective"

Mais pour cette œuvre, Marjane, connue aussi pour avoir réalisé le film Persépolis qui retrace sa vie en Iran sous la guerre, a pu compter sur des lisseuses des Manufactures des Gobelins et de Beauvais. "Quand je fais une œuvre artistique, c’est souvent moi qui la finie. Là j’ai fait un dessin et ce sont les lisseuses qui l’ont fait. Je vois autant de moi que je vois d’elles dedans. Il y a leur sentiment et leur vécu", explique l’Iranienne. C’est la première fois que Marjane Satrapi découvre, en entier, sa tapisserie. "Merci pour ce que vous avez fait. On va dire que c’est notre œuvre collective". Alexane et Sandrine ont toutes les deux tissé la partie centrale de l’œuvre. "C’était un honneur pour nous. Participer au projet des JO, c’était sympa, un défi à relever". Mais toutes les deux sont surtout fières d’avoir travaillé pour Marjane Satrapi. "C’est une artiste incroyable, avec beaucoup de symbolique. C’est une femme forte. Elle a su se développer dans un pays en guerre. Elle a réussi à s’enfuir de tout ça et à représenter sa vie et sa culture dans un autre pays. Elle traduit son histoire en dessin. Et c’est une femme très gentille et agréable."

En tout, elles étaient quatre lisseuses à travailler sur ces neuf mètres de tapisserie. "C'était une technique classique. C’est une pièce qu’avec des couleurs vives, éloignées les unes des autres. Il fallait faire des formes et le plus joli possible", souligne Sandrine. "C’était compliqué, dans le sens où c’étaient des aplats de couleurs, on n’avait pas le droit à l’erreur. Ce n’est pas comme si on mélange des couleurs, personne ne verrait le défaut. Alors que là, ça ne pardonne pas", ajoute Alexane. Toutes ont travaillé à une vitesse folle pour rendre l’œuvre en temps et en heure: "On a gardé un rythme soutenu. Cette tapisserie en temps normal on aurait peut-être mis six mois de plus."

"Les JO, c’est le symbole qu'on peut vivre en paix"

Une fois la tombée de métier terminée, l’œuvre est ensuite emmenée dans une salle avant le dévoilement officielle. Derrière un long rideau gris, des hommes s’affairent à installer la pièce. De l’autre côté, tout le monde s’impatiente de voir la fameuse tapisserie. Sous les applaudissements, la tapisserie est dévoilée. "C’est un travail très bien fait. De l’excellence. C'est bien tissé. C'est beau. Ce que je m'imaginais mais en mieux. J’ai le sentiment que l'idée vient de moi mais autant des lisseuses. C’est un travail collectif", se réjouit Marjane Satrapi. De larges sourires dans la salle, l’imposante tapisserie des JO fait son effet.

Même si Marjane n’a jamais "été une grande sportive" mais fait beaucoup de marche au quotidien. L’artiste a un rapport bien particulier avec les Jeux olympiques. "Les JO, c’est le symbole qu'on peut vivre en paix. Tous les quatre ans les gens du monde entier peuvent se réunir dans un même endroit, autour du sport. Ça montre que tous ensemble on peut faire des choses. Un de mes souvenirs, c’est lors des JO 1976 avec Nadia Comaneci. Elle avait des 10/10 partout. Je me rappelle mon père qui me dit: 'Elle ne fait pas ça si elle n’a pas d’entraînements tous les jours'. Ma rigueur au travail, vient d’une gymnaste roumaine. J'ai des souvenirs très émus des JO. Des sportifs restent avec vous pour toujours."

"Dans le monde, il y a des cons partout"

De part son histoire, Marjane Satrapi est touchée, émue d’avoir participé à une telle œuvre. "Ça représente beaucoup de choses parce que je ne suis pas née en France donc c'est une reconnaissance. Avoir été choisie veut aussi dire quelque chose. Que Marjane Satrapi fasse cette tapisserie, c’est une reconnaissance que je suis une Française. Il ne faut pas s’appeler Marie-Christine pour être française. Je tiens à ce pays, même peut-être plus que certains français." Depuis plusieurs mois, il y a de nombreuses polémiques autour des Jeux olympiques. La dernière en date: l’affiche des JO. Alors Marjane est prête à recevoir de possibles critiques: "De toute façon, à partir du moment que vous avez une opinion ça crée une polémique. Quelque chose que vous faites qui suscite aucun débat, c’est comme si vous n’existez pas. Dans le monde, il y a des cons partout. Les cons vont toujours dit des trucs. Il faut s’inquiéter quand les cons vous aiment aussi…", ironise Marjane.

En attendant, ce triptyque sera installé dès le 21 juin dans la cour de l’hôtel de la Marine. Là aussi, un lieu, loin d’être anodin. C’est proche de la place de la Concorde où se dérouleront les épreuves de breakdance et de skate, les deux sports représentés sur la tapisserie. Et une fois les Jeux terminés, l’œuvre prendra place à Nice, au musée national du Sport.

Article original publié sur RMC Sport