"J'attends un signe": Christine Dupont de Ligonnès, la sœur qui clame toujours l'innocence de Xavier

A-t-elle déjà douté? Elle affirme que non. Depuis 2011, Christine Dupont de Ligonnès défend l’innocence de son frère, avec une certitude qu’elle dit à BFMTV avoir "toujours eue".

Même si les corps de ses neveux et nièce et de sa belle-sœur ont été retrouvés et que seul Xavier reste recherché, elle continue d’affirmer que la famille est toujours en vie. La Versaillaise raconte sa vision des faits dans un livre, Xavier, mon frère présumé innocent, co-écrit avec son mari Bertram de Verdun, et lors d'une soirée spéciale programmée sur BFMTV ce lundi 18 mars à 20h50.

Une enfance à Versailles

Xavier Dupont de Ligonnès grandit à Versailles (Hauts-de-Seine) avec ses sœurs, Christine et Véronique, dans une famille très catholique. Ils passent leurs vacances chez leurs grands-parents paternels à Grimaud, dans le Var, et sur l’île de Bréhat, dans les Côtes-d'Armor. Dans son livre, Christine décrit Xavier comme un frère "attentionné", "toujours soucieux du bien-être de ses proches" avec qui elle a une "relation de confiance".

Leurs parents se séparent lors de leur adolescence et leur père part s’installer avec sa nouvelle compagne en Afrique, raconte Christine Dupont de Ligonnès dans son livre. Celle-ci affirme avoir été très proche de Xavier, enfant et à l’âge adulte, jusqu’à ce qu’il prenne ses distances en 1995, en désaccord avec sa sœur et sa mère sur leurs convictions religieuses.

La vie de la famille bascule en avril 2011, lorsque Xavier, Agnès et leurs quatre enfants - Arthur, Thomas, Anne et Benoît - disparaissent. Les corps d’Agnès et des enfants sont retrouvés le 21 avril sous la terrasse de leur maison à Nantes, en Loire-Atlantique.

Xavier Dupont de Ligonnès, dont la dernière image est capturée par une caméra de vidéo-surveillance dans un hôtel de Roquebrune-sur-Argens (Var) le 15 avril, n’a jamais été retrouvé. Il est depuis 13 ans le principal suspect dans l'enquête sur l’assassinat de la famille. Mais depuis 2011, sa sœur Christine refuse d’y croire.

"Pour moi, sa famille a été assassinée par des tiers qui voulaient faire peser la responsabilité de ce meurtre sur Xavier", affirme-t-elle alors à Paris Match. "Et comme on ne le ­retrouve pas, il reste le coupable idéal faute de pouvoir s’expliquer."

Une "contre-enquête" depuis des années

Xavier, mon frère présumé innocent est un livre qui vient compiler les conclusions d’une "contre-enquête" qu’elle mène depuis plusieurs années sur le dossier. Entre 2012 et 2013, Christine a aussi tenu un blog destiné à donner "un autre point de vue sur l’affaire Dupont de Ligonnès". Elle y publiait des témoignages supposés montrer "le vrai Xavier" et revenait sur certains éléments de l’enquête qu’elle juge incohérents.

Le 16 mars 2023, elle y poste même une "lettre à Xavier". "Mon Xav, le temps a passé depuis que tout s'est déclenché; depuis que nous avons reçu ta lettre, et que votre disparition en famille a été annoncée par les médias... Et je voudrais t'écrire aujourd'hui, pour te donner quelques nouvelles – au risque que des oreilles indiscrètes se méprennent sur mes paroles: peu importe, c'est à toi que je parle – et toi tu comprendras."

"C'est très simple en fait, la problématique se résume à ceci: ta parole, contre celle de la justice et des médias", écrit-elle. "Ta lettre, ou le discours officiel. Pour nous, qui te connaissons, le choix ne s'est même pas posé."

À l'époque déjà, elle lisait l'histoire à travers la version des faits donnée par une courrier envoyé par Xavier Dupont de Ligonnès quelques jours après le crime à plusieurs proches.

"Coucou tout le monde! Méga surprise: nous sommes partis en urgence aux USA, dans des conditions très particulières", débute la missive.

"Vous recevez ce courrier par la voie postale classique car nous n'avons plus la possibilité de communiquer autrement (ni mails, ni sms, ni téléphone), et ce pendant quelques années, pour des raisons de sécurité", écrit Xavier Dupont de Ligonnès à plusieurs proches. "Au moment où vous lisez cette lettre nous ne sommes plus en France et ne pourrons y revenir pendant un temps encore indéterminté (quelques années)."

La théorie de l'exfiltration

Il y affirme que sa famille et lui doivent partir aux États-Unis sous une nouvelle identité secrète car il est devenu un "témoin essentiel dans un futur procès impliquant des hauts responsables du trafic de drogue international".

Cette lettre, que Christine dit avoir reçue le 11 avril, affirme qu’il a accepté de "travailler incognito pour la DEA", la Drug Enforcement Administration, une agence fédérale américaine chargée de lutter contre le trafic de drogues, et d’"infiltrer le milieu des discothèques françaises". "Certains indices laissent penser que j’ai été repéré" et la situation est "devenue potentiellement dangereuse", ajoute Xavier.

Christine Dupont de Ligonnès le concède, "au début", "le ton un peu léger" du courrier lui a donné "la sensation d'un drame familial". Mais "la suite des éléments avancés est fiable", veut-elle croire.

"J'ai pris cette lettre au sérieux parce qu'elle m'éclairait des pans entiers de la vie de Xavier et d'Agnès", explique-t-elle à BFMTV.

Si la piste de l'exfiltration paraît improbable, "ce n'est pas Xavier qui a écrit le scénario" ajoute-t-elle. "S'il est dans le renseignement, y a une équipe autour, il a des contacts et une hiérarchie, tout est bien pensé."

De nombreux indices

Cette version est toutefois mise à mal par de nombreux éléments de l’enquête. À commencer par les multiples achats effectués par Xavier les semaines précédant la disparition de la famille: un silencieux et des munitions pour une carabine récemment récupérée, de la chaux sous laquelle les corps seront retrouvés, des outils... Il a aussi été aperçu, seul, à plusieurs reprises après la date présumée du crime.

Enfin, cinq corps ont été découverts sous la terrasse de la maison de la famille. Christine estime que ces dépouilles ne sont pas celles de la famille Dupont de Ligonnès mais que leur ADN a été échangé avec celui de la vraie famille au moment des analyses en laboratoire.

"J'étais au 55, boulevard Schuman, le jour où on a sorti les corps enterrés sous la terrasse du domicile familial et je sais ce que j'ai vu et ressenti", lui répond aujourd'hui Philippe Cussac, à l'époque commissaire central de Nantes.

Interrogé par Sud Ouest, il décrit un "véritable charnier" et une vision "d'horreur". "On a sorti tous les membres de la famille, dont on avait une photo, les uns après les autres", se souvient-il."C'est le moment le plus terrible de ma carrière."

Une thèse déjà rejetée par Brigitte Lamy en 2013, lorsqu’elle était procureure de la République de Nantes. "Les recherches ADN ont été faites sur les corps, on a bien établi que c'étaient les corps de la famille. On voit le peu de crédibilité de ses assertions", avait répondu à Christine celle qui a été chargée de ce dossier de 2012 à 2016.

Une théorie "invraisemblable" pour l'avocat de Christine

Cette théorie, même l’avocat de Christine, Stéphane Goldenstein, ne la juge pas plausible. "Ça me paraît tellement invraisemblable qu'on mette cinq corps de substitution pour faire partir toute une famille en témoins protégés à l'autre bout du monde, je n'y crois pas", a-t-il déclaré dans Le Titre à la une, le podcast quotidien d'actualité de BFMTV. "Mais c'est la position de ma cliente, qui croit son frère et la lettre de son frère."

"S'il y a une exfiltration et qu'il est témoin protégé pour la DEA comme il le dit, il est où le procès? Il est où le narcotrafiquant qui a été arrêté, jugé, grâce à Xavier Dupont de Ligonnès? Il n'y en a pas, cette théorie s'effondre", ajoute l'avocat au barreau de Paris.

Celui-ci relève tout de même des "petites incohérences" dans l'enquête. Qu'un homme seul soit derrière ces meurtres, "c'est même pas compliqué, c'est un génie du crime", estime l'avocat. "Il n'y a rien: pas de traces de sang" et la terre qui a été enlevée pour enterrer les corps n'a pas été vue, ajoute-t-il. De même que l'arme du crime n'a jamais été retrouvée.

Après toutes ces années d'enquête, Stéphane Goldenstein s'est forgé quelques certitudes: "La présence de plusieurs personnes pour faire ça, ça me paraît indéniable. Un nettoyeur professionnel pour enlever tout le sang dans la maison, ça me paraît indéniable."

Une enquête qui a démarré trop lentement?

L’avocat regrette aussi auprès de BFMTV que l’enquête ait démarré "au super ralenti", malgré cette lettre intrigante et la disparition d’une famille entière. "Si le 12-13 (avril 2011, NDLR) il y avait eu des véritables recherches, il aurait été interpellé, Xavier Dupont de Ligonnès, et aujourd’hui on ne serait pas là à en discuter."

Il pointe notamment le fait que les corps n’ont été découverts que le 21 avril sous la terrasse, alors que Dupont de Ligonnès mentionne spécifiquement cette partie de la maison dans sa lettre.

"Ps: inutile de s’occuper du portique et de la pirogue qui resteront là (ni des gravats et autres bazars entassés sous la terrasse, au fond du jardin et dans la cave: c’était là quand nous sommes arrivés ici.)", a écrit le suspect dans cette lettre datée du 8 avril.

Quid de la piste sectaire, régulièrement évoquée dans les médias? En 2011, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) alertait sur un groupe de prière fondé et alors tenu par la mère de Xavier et de Christine Dupont de Ligonnès, Geneviève. Ce groupe, baptisé Philadelphie, était de "type sectaire", estimait alors la Miviludes.

Son président Georges Fenech, avait décrit auprès de RMC tous "les ingrédients d'un message extrêmement anxiogène". "Un leader charismatique qui reçoit des messages divins", "quelques exigences financières" en contrepartie, "des réunions fermées attendant l'apocalypse, disant qu'un roi doit arriver prochainement sur terre ou qu'une femme est enceinte de Satan"...

À l'époque, en mai 2011, le procureur de la République de Nantes Xavier Ronsin affirmait cependant qu'"aucune preuve d'un embrigadement sectaire récent ou éloigné" de Xavier Dupont de Ligonnès n'avait pu être recueillie.

En septembre 2019, la Miviludes avait fait un signalement auprès du parquet de Versailles à propos d'une famille semblant sous emprise de ce groupe et contrainte de vendre son pavillon. L’enquête pour abus de faiblesse ouverte alors a été classée sans suite pour "infraction insuffisamment caractérisée", a annoncé le parquet de Versailles en janvier 2023.

Dans son livre, Christine défend quant à elle un simple "groupe d’amis" créé pour partager des messages que Geneviève dit recevoir de Dieu. Elle affirme qu’il "n’y a jamais eu aucun prosélytisme". "Elle a juste quelques amis qui se sont rapprochés d’elle quand ils l’ont su, mais vraiment par le bouche-à-oreille, elle-même ne s’est jamais fait de publicité", assure-t-elle à BFMTV.

L'"espoir de recevoir un signe de vie"

Depuis les dernières images de Xavier Dupont de Ligonnès, issues d'une caméra de vidéosurveillance de Roquebrune-sur-Argens (Var), impossible de savoir s’il est toujours en fuite ou s’il est mort.

"Si je croyais mon frère coupable d’avoir tué toute sa famille dans un moment de désespoir, pour moi, soit il se supprime derrière, soit il a une prise de conscience et il se dénonce lui-même parce que je connais son caractère, c’est quelqu’un qui ne sait pas garder longtemps un problème sur la conscience", affirme Christine à BFMTV.

Sa conviction reste toutefois qu’il est est en vie.

"Je pense, selon le cours normal des choses que oui, mon frère est vivant quelque part avec Agnès et les enfants", assure-t-elle.

"Peut-être que oui, inconsciemment, j’attends un signe. Peut-être que j’ai un grand espoir de recevoir un signe de vie un jour", explique-t-elle. Que dirait-elle donc à son frère s’il pouvait l’entendre? "Je le remercie beaucoup de nous avoir adressé cette lettre et d’avoir cru en nous. Je tiens à le saluer, ainsi qu’Agnès et les enfants, bien sûr."

Article original publié sur BFMTV.com