“J’ai toujours peur qu’on se moque de moi dans mon dos" : quels sont les impacts du harcèlement scolaire sur la vie d’adulte ?

À l’occasion de la journée nationale de lutte contre le harcèlement, Yahoo s'intéresse aux conséquences du harcèlement scolaire à l’âge adulte.

Le harcèlement scolaire peut détruire des vies. Et même lorsque ces violences physiques ou verbales cessent, à la fin du collège ou du lycée notamment, ceux qui y ont été confrontés ne sont pas tirés d’affaire pour autant. “J’ai beaucoup de mal à faire confiance aux autres, dans ma vie personnelle mais aussi professionnelle”, nous explique Judith*, 33 ans, moquée à l’école primaire et au collège pour sa grande taille et ses poils noirs sur les bras. Elle est encore aujourd’hui très méfiante vis-à-vis des autres : “J’ai toujours peur qu’on se moque de moi dans mon dos. Je préfère être seule.” La jeune femme qui a aujourd’hui peu d’amis estime que le harcèlement dont elle a fait l’objet plus jeune “a très certainement” eu un impact sur la façon dont elle se comporte aujourd’hui. Et dans son rapport avec son corps.

La triple confiance brisée

Les violences verbales ou physiques répétées ont des impacts sur le développement d’un enfant et sa construction. Les conséquences peuvent donc être encore présentes à l’âge adulte. “Cela s’explique par le deuil d’une triple confiance : la confiance en soi (pourquoi j’ai subi ça ? Est-ce qu’il y a des caractéristiques qui le justifient ?), la confiance aux autres (on se dit qu’ils sont capables du pire et on se méfie davantage) et la confiance dans les institutions (personne ne peut nous protéger)”, détaille Bruno Humbeeck, professeur de psychopédagogie à l’Université de Mons en Belgique et auteur de l’ouvrage “Le harcèlement scolaire, guide pour les parents” (éd Odile Jacob).

“J’avais l’impression que parler aux professeurs de ce qu’il m’arrivait à l’époque n’allait faire qu’empirer les choses, confirme Judith. Mes parents dédramatisaient la situation donc j'ai arrêté d'en parler et j'ai commencé à me raser les bras." Ce n’est que récemment que le gouvernement a décidé de faire du harcèlement scolaire une priorité. Il a dévoilé en septembre dernier un plan de lutte contre ce fléau. De plus, le harcèlement scolaire est désormais considéré comme un délit qui peut être puni jusqu'à 10 ans de prison et 150 000 euros d'amende en cas de suicide ou de tentative de suicide de la victime harcelée.

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"Des cercles vicieux qui sont parfois très destructeurs"

Trouble relationnel, comportemental, insomnie, anxiété… les séquelles du harcèlement scolaire, même lorsqu’il a cessé, sont nombreuses. “Les personnes craignent ce qu’il pourrait arriver et développent une hypervigilance, précise Bruno Humbeeck. Ça développe une anxiété et ça crée des cercles vicieux qui sont parfois très destructeurs.”

Une anxiété non traitée et non verbalisée peut engendrer des postures dépressives. “Les personnes se méfient de tout, pensent qu’elles ne valent rien et que les autres autour vont en profiter pour leur faire payer, ajoute le spécialiste. Cela donne à terme les mêmes symptômes que ceux de la dépression.” Pour se prémunir, elles vont donc avoir tendance à restreindre leur vie sociale, voire à se renfermer.

Cette anxiété peut également être à l’origine de troubles du comportement alimentaire ou d’insomnie. Il est parfois difficile pour les spécialistes de les rattacher au harcèlement scolaire, surtout si les patients ne les mentionnent pas au cours de la thérapie. "Verbaliser est un premier pas vers la guérison", rappelle Bruno Humbeeck.

De 800 000 à un million d'élèves seraient victimes de harcèlement, note un rapport du Sénat de 2023. Autant d’adultes en devenir qui risquent d’être impactés dans leur futur. Judith affirme aller bien aujourd’hui. “J’ai été suivie par une psychologue assez tard, à l’âge de 25 ans. Ça m'a aidée. Tout n’est pas réglé, mais j’arrive un peu plus à m’ouvrir.” “Restaurer la confiance perdue est primordial”, confirme Bruno Humbeeck. Certains s'en sortent seuls, d'autres ont besoin d'être accompagnés à travers des thérapies.

*Le prénom a été modifié.

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