"J'ai senti sa présence derrière moi": le fonctionnaire du Sénat qui touchait les fesses de femmes reconnaît une pulsion

Les faits ont été jugés au tribunal judiciaire de Paris. - Alain Jocard - AFP
Les faits ont été jugés au tribunal judiciaire de Paris. - Alain Jocard - AFP

"Je reconnais les faits, qu’est-ce que vous voulez que je vous dise, interroge Émile S. à la barre ce mercredi au tribunal correctionnel de Paris. Régulièrement je frôlais avec le dos de la main les fesses des femmes." Presqu'absent de son procès, incapable de s'expliquer, cet assistant de direction du Sénat âgé de 58 ans est pourtant jugé pour agression sexuelle sur cinq femmes dans les transports en commun franciliens.

Chaque matin pour se rendre au jardin du Luxembourg, Émile S. empreinte la ligne P du Transilien. Direction Gare de l'Est. Lui habite en Seine-et-Marne à 80 kilomètres de Paris dans une petite ville où il a déménagé "dans la précipitation" après son divorce en 2016. Un divorce qui marque, selon lui, le point de départ de ses agressions. En garde à vue, il avait tenu à appeler ça "atteinte sexuelle" pour minimiser son geste.

- "Vous dites frôlé, elles disent touché?, l'interroge la présidente de la 10e chambre du tribunal correctionnel de Paris. - "Je ne sais pas comment elles le ressentaient", souffle le quinquagénaire cheveux courts gris, voix rauque et épaules rentrées, qui affirme avoir fait une tentative de suicide après avoir compris les conséquences.

"Je le faisais régulièrement"

Les enquêteurs l'avaient précisé: Émile S. ne répond que par des phrases courtes. Questionné de multiples manières par la juge, il convient tout juste que de toucher les fesses des femmes dans les transports lui "procure du plaisir, c'est tout". La magistrate arrive aussi à lui faire dire, à demi mots, qu'il réalisait un repérage de ses victimes avant de passer à l'acte, des victimes jeunes "entre 20 et 30 ans".

"Je le faisais régulièrement, pas forcément tous les matins", assure cet homme.

Le matin, "ça devrait être sécurisant", souffle Sabrina. Juste avant d'être interpellé, Émile S. lui a touché les fesses dans les couloirs qui mènent à la ligne 4 du métro. "J'ai senti sa présence derrière moi, je n’étais pas sûre, j’ai senti ce monsieur me toucher la fesse, dit-elle en imitant le geste. Il y a eu un temps d’arrêt. J’ai senti la main, j’ai bugué, et au moment où je me suis retournée, il est passé à côté de moi."

"J'ai toujours été prudente, j'ai toujours fait attention où je m'asseyais, j'ai toujours fait attention aux horaires, poursuit la jeune trentenaire. Je ne pensais pas devoir faire aussi attention au matin. Ca a l'air d’être un geste banal mais je ne suis pas un morceau de viande, je ne suis pas quelque chose que l'on peut effleurer. Je suis un être humain."

"Elle avait peur"

Le fonctionnaire comparaissait aussi pour avoir filmé sous la jupe d'entre "12 et 15 femmes", selon son propre décompte. L'exploitation de son téléphone a permis de retrouver une vidéo prise avec son appareil orienté sous la jupe d’une femme. Cette vidéo, où l'on voit les sous-vêtements de la victime non identifiée, a été tournée une semaine avant l'interpellation du prévenu.

Sandy fait partie de ces jeunes femmes qui ont été photographiées à leur insu. La jeune fille habite depuis janvier 2021 à Nanteuil-sur-Marne, en Seine-et-Marne. Elle a quitté la capitale "pour avoir une qualité de vie" alors qu'elle avait déjà subi des mains aux fesses lorsqu'elle prenait les transports pour se rendre au lycée à Brétigny-sur-Orge.

"Ça m’a fait remonter des souvenirs quand j’ai vu cette personne fixer son regard quand j’arrivais à la gare, témoigne en larmes la jeune fille. Un jour, j’ai demandé à mes collègues si je ne portais pas de tenues indécentes. Je fais très attention à ça."

Sandy est victime à plusieurs reprises de la méthode d'Émile S. qui consiste à attendre que le train de 8h20, celui qu'elle prend chaque matin, arrive à Gare de l'Est pour profiter de l'agitation et toucher avec le dos de sa main les fesses de ses victimes. Elle l'a également vu faire sur d'autres femmes. "Parfois elle m'appelait le soir pour venir dormir chez moi, tellement elle avait peur", raconte à BFMTV.com la tante de la jeune femme qui l'accompagne ce mercredi au tribunal.

Une policière victime

Le 12 septembre, Sandy porte plainte après avoir appris que l'homme a été interpellé et placé en garde à vue. C'était dix jours plus tôt après que les agents de la brigade ferroviaire avaient reçu le signalement de deux amies qui avaient elles-aussi repéré son manège. Juste avant d'être interpellé, il s'en prend à Sabrina. Il résistera à son arrestation.

"J’aurais aimé que la première que j’ai touchée se révolte et me fiche un peu la honte. Ça m’aurait empêché de recommencer très certainement", plaide Émile S. évoquant sa "solitude" et son "ennui" pour expliquer son comportement.

Pourtant, il aurait réitéré les faits sur une policière, ce que nie le quinquagénaire. Le 2 septembre quand Émile S. est interpellé par la brigade ferroviaire, il est placé en garde à vue. Une policière de la police technique et scientifique procède à son relevé d'empreintes. Une fois terminé, elle lui tourne le dos, lui indiquant le lavabo où il pouvait se laver les mains. Il est alors obligé de passer derrière elle dans un bureau assez large.

"Je sais clairement ce que j’ai senti, assure Pricilia. Ça fait 4 ans que je supervise des gardes à vue. Quel que soit ce que les gardés à vue ont fait, c’est la première fois que ça m’arrive. Aucun interpellé ne m’a touchée. C’est en discutant avec un de mes collègues qui m’a dit que c’était exactement ce qu’il avait fait à la femme devant moi que j'ai compris. J'ai dû changer ma manière de travailler."

"Ce dossier, c’est celui de l'agression du quotidien, de l'agression d'opportunité et du repérage que ce monsieur a pu avouer à demi mots", estime la procureure de la République de Paris. Pour le ministère public, il est important que le prévenu comprenne que ce geste que "certains pensent anodin" a "des conséquences". "Les conséquences ne sont pas les mêmes mais ça a toujours des conséquences", insiste le parquet.

La procureure a requis une peine de 4 mois de prison avec sursis, une obligation de soins psychologiques et addictologiques et une obligation d'indemniser les victimes. En attendant de connaître sa condamnation, Émile S., qui a entamé un suivi, prend les transports en commun "les mains dans les poches". La décision du tribunal sera rendue le 7 décembre.

Article original publié sur BFMTV.com