Jacinda Ardern démissionne : pourquoi sa vulnérabilité nous surprend-elle autant ?

Jacinda Ardern annonce sa démission
AFP PHOTO / TVNZ via AFPTV Jacinda Ardern annonce sa démission

NOUVELLE-ZELANDE - « Je sais ce qu’il faut pour faire ce travail, et je sais que je n’ai plus assez d’énergie en moi pour lui rendre justice. » Jacinda Ardern, la première ministre néo-zélandaise, a annoncé à la surprise générale sa démission après cinq ans et demi à la tête du gouvernement. Celle qui avait remporté une victoire historique lors de sa réélection en 2020 quittera donc ses fonctions le 7 février, huit mois avant les prochaines élections générales du pays.

Très émue lors de sa prise de parole jeudi 19 janvier, la dirigeante de 42 ans, dont le Parti travailliste (centre gauche) a perdu en popularité ces derniers mois, a expliqué : « Je sais qu’il y aura de nombreuses discussions après cette annonce pour comprendre quelles ont été les ‘vraies’ raisons de mon départ. [...] Le seul angle intéressant que vous trouverez, c’est qu’après six ans de gros challenges, je suis humaine. Les politiques sont humains, on donne tout ce qu’on peut, aussi longtemps qu’on le peut. » 

Un passage qui frappe par sa franchise, marque de fabrique habituelle de la première ministre, mais aussi par une vulnérabilité à l’opposé des discours politiques traditionnels. « L’image que l’on a des politiques, c’est qu’il faut être quelque part surhumain pour pouvoir occuper des responsabilités importantes », résume Maud Navarre, docteure en sociologie, spécialisée sur la question des femmes en politique et interrogée par Le HuffPost ce jeudi.

« Ça n’est pas si surprenant venant d’une femme »

Ces capacités surhumaines, on les retrouve par exemple dans les nombreuses anecdotes sur des leaders politiques qui n’auraient pas autant besoin de sommeil que le commun des mortels. Emmanuel Macron ne dormirait que trois heures par nuit, Boris Johnson « travaille non-stop », et le premier ministre indien Narendra Modi est un tel « workaholic » qu’il ne dort « même pas trois heures et demie ». Quant à Donald Trump, en 2015, il se vantait dans un discours de campagne : « J’ai un tempérament super pour le succès... Je ne suis pas un gros dormeur, j’aime trois, quatre heures, je me tourne, je me retourne [...] je veux savoir ce qu’il se passe. »

Dans ce contexte, voir une personnalité politique affirmer qu’elle n’a « plus assez d’énergie », rappeler qu’elle « est humaine » et quitter le pouvoir des mois avant une élection, a encore de quoi surprendre. « C’est surprenant, mais en même temps ça ne l’est pas vraiment venant d’une femme, estime néanmoins Maud Navarre. À travers les différentes études que j’ai pu faire auprès des élues locales et nationales, ce type de discours revient assez souvent. Elles ont tendance à revendiquer une manière de faire de la politique qui est différente et qui s’appuie notamment sur ces qualités d’humanité, d’écoute, d’empathie. C’est aussi ce qui est souvent attendu d’elles : de faire autrement. C’est quelque chose qui a traversé la carrière politique de Jacinda Ardern. »

Le parcours de la première ministre néo-zélandaise a en effet été marqué par une approche singulière, et souvent plus empathique, de la politique. Sa gestion de la pandémie, mais aussi sa réaction au moment des attentats de Christchurch, après lesquels elle avait notamment rappelé que les valeurs de « diversité, bienveillance et compassion » définissait la Nouvelle-Zélande, avaient fait d’elle une icône de la gauche internationale et un exemple de leadership féminin.

Des hommes moins encouragés à admettre leurs faiblesses

Si l’on est encore surpris d’entendre un ou une chef de gouvernement admettre une faiblesse, est-ce justement parce que la politique reste un domaine majoritairement masculin ? « Ce qui a très bien été montré dans tous les travaux sur la socialisation des hommes et des femmes, c’est que les hommes ont encore des difficultés à reconnaître leurs faiblesses, confirme Maud Navarre. Il y a cette représentation qui est valorisée dans nos sociétés selon laquelle les hommes doivent être forts, résistants et se dépasser. Quand c’est une femme qui admet ses faiblesses, c’est davantage toléré. »

La sociologue reconnaît aussi dans l’annonce de Jacinda Ardern un phénomène qu’elle a observé dans ses recherches et qui pourrait participer à la fatigue de la première ministre : les femmes politiques ont plus souvent des « trajectoires d’étoiles filantes » : « Elles essaient de briller, d’exceller. Mais elles mettent tellement de cœur à l’ouvrage et elles ont aussi tellement de difficultés dans un milieu politique qui reste machiste, qu’elles s’usent beaucoup plus vite que les hommes et qu’elles ont donc des carrières politiques beaucoup plus courtes. »

Autre particularité du discours de Jacinda Ardern : en plus de se présenter comme « humaine », et donc faillible, elle y rappelle son statut de mère et de compagne. « À Neve, Maman a hâte d’être présente quand tu commenceras l’école cette année, a-t-elle déclaré dans son annonce de démission. Et à Clarke, marrions-nous enfin ! » Une déclaration qui n’a rien d’étonnant dans la bouche de celle qui, à 38 ans, un an après sa première élection, était devenue la deuxième femme première ministre à donner naissance pendant son mandat.

Si la décision d’abandonner son travail pour se consacrer à sa famille « est bien plus valorisée chez les femmes que chez les hommes », comme le rappelle Maud Navarre, la Nouvelle-Zélande fait là aussi figure d’exception. En 2016, John Key, alors premier ministre de la Nouvelle-Zélande depuis huit ans, créait lui aussi la surprise en annonçant sa démission, car il voulait accorder plus de temps à sa famille. « « Ça a été une décennie de longues nuits solitaires pour [ma femme] et il est temps pour moi de rentrer à la maison », déclarait-il lui aussi à l’époque.

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