Isabelle Bauer, rescapée d’un féminicide : "Il m'a tiré deux fois dessus, puis il est parti et a mis fin à ses jours"

Viols, agressions, deuils insurmontables, accidents de la vie : dans "Trauma", anonymes et célébrités reviennent pour Yahoo sur un traumatisme qui a bouleversé leur vie.

Miraculée après avoir reçu deux balles tirées à bout portant par son ex-compagnon, Isabelle Bauer a vécu un cauchemar et essaye désormais de se reconstruire physiquement et psychologiquement. Pour "Trauma", le nouveau format de Yahoo, elle a accepté de livrer son histoire, un récit glaçant qu’elle a retranscrit dans un livre intitulé "Laissée pour morte".

C’est une date dont Isabelle Bauer se souviendra toute sa vie. Le 22 février 2021, son ex-compagnon, qu’elle venait de quitter, surgit dans le hall de son immeuble et lui tire dessus à deux reprises, à bout portant. La première dans la fesse, la seconde au pubis. Elle s’effondre, laissée pour morte. Lui met fin à ses jours. Elle finit par se réveiller à l’hôpital, complètement bouleversée, traumatisée. Elle est vivante mais porte de terribles séquelles de ce drame. Cette année-là, elle aurait pu être la 123e victime de féminicide en France (Retrouvez l'intégralité de l'interview en fin d'article).

"Morte de trouille"

Le déclic, Isabelle l’a après 28 ans de vie commune. Épuisée par une relation devenue toxique, par les humiliations, la violence et l'enfermement, elle décide d’y mettre un terme mais choisit, par peur, de ne pas affronter le père de ses trois filles. "Je suis morte de trouille. Je ne sais pas pourquoi mais je n’arrive pas à le lui dire, j’ai même honte de moi", se souvient-elle avec émotion, précisant être partie le 16 janvier en "catimini". C’est finalement par le biais d’une lettre qu’elle parvient à lui faire part de sa décision. De là commence sa descente aux enfers.

Retrouvez le témoignage d'Isabelle Bauer en intégralité dans notre podcast :

Lui ne s’y attend pas. La stupéfaction laisse rapidement place à la colère et un sentiment de vengeance vint à l’animer. Il la traque, l'agresse, la menace de mort. Une période "très difficile" à vivre et dont elle se souvient dans les moindres détails. "Ce sentiment d’insécurité totale est indescriptible. On psychote, on n’est plus capable de réfléchir", raconte-t-elle, précisant être, à cet instant, dans "un mode de survie intense". Isabelle n’est plus elle-même. Elle n’arrive plus à se souvenir d’événements passés ni à envisager un futur. "J’avais toujours l’impression d’être sur le qui-vive. Je me sentais observée et j’avais peur qu’il découvre là où j’habitais". Mais ce qu’elle redoutait arriva.

"Le risque est d’aller chatouiller le lion"

Lorsqu’elle subit sa première agression, fin janvier 2021, Isabelle franchit un nouveau pas et porte plainte. Une étape qu’elle vit comme une "trahison". "Vous passez dans le camp adverse. C’est très difficile mais nécessaire pour poser les limites. Le risque est d’aller chatouiller le lion". Elle ne savait pas si bien dire. La situation empire et Isabelle se rend à l’évidence. Sa plainte n’a pas l’effet escompté. "Ce n’est pas un pare-feu. Il y a un certain sentiment de soulagement, mais très vite, on s’aperçoit qu’il s’agit d’un simple bout de papier", raconte-t-elle, pointant du doigt les dysfonctionnements de l’institution judiciaire.

"Il ne voulait pas que je puisse refaire ma vie. C’était un bon tireur, il a visé là où il a voulu"

Quelques semaines plus tard, il la pourchasse jusqu'à son domicile et lui tire dessus à deux reprises avec un fusil de chasse avant de mettre fin à ses jours. Un suicide dont elle a connaissance à l’hôpital, lorsqu’elle rouvre les yeux. C’est le choc, les mots manquent. "Ces moments sont intenses. On ne se dit pas grand-chose, tout passe à travers le regard. Il n’y a que les larmes, la douleur". À cet instant, c’est la fin de la peur mais le début du combat. Une "destruction" dont il faut "se remettre". Au total, il lui aura fallu 12 opérations de chirurgie pour recommencer à vivre. "Il ne voulait pas que je puisse refaire ma vie. C’était un bon tireur, il a visé là où il a voulu", explique-t-elle laissant sous-entendre qu’il ne voulait pas nécessairement lui ôter la vie.

"Ce qui me manque le plus aujourd'hui, c'est mon corps"

Aujourd’hui, Isabelle se reconstruit peu à peu, aussi bien physiquement que psychologiquement. Un chemin difficile jonché d’obstacles qu’elle affronte au quotidien avec force. "Ce qui me manque le plus, c’est mon corps, l’énergie que j’avais, mes capacités intellectuelles", déplore-t-elle tout en précisant ne plus se reconnaître. La mémoire lui fait défaut et la fatigue se fait ressentir en permanence.

Mais cette ultime étape, qu’elle qualifie de "deuil", ne lui fait plus peur. Depuis le drame, Isabelle a travaillé sur sa résilience, sa capacité à surmonter ce choc traumatique. Une façon pour elle d’avancer et de prouver qu’il "n’a pas gagné". "Il y a moyen d’être heureux, de continuer à vivre". Malgré tout, la colère subsiste, un sentiment qui lui "appartient" et qu’elle a besoin de "déverser" à certains moments.

Retrouvez l'intégralité de l'interview d’Isabelle :