Interdiction de la corrida : Marine Le Pen ménage le taureau et le torero

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CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP

POLITIQUE - Voilà un cas de conscience pour le groupe RN à l’Assemblée nationale. Théoriquement, Marine Le Pen, qui adore mettre en scène son attachement à la cause animale, est farouchement opposée aux actes de cruauté commis à l’encontre des bêtes.

Surtout lorsqu’il est question de dénoncer l’abattage rituel, qu’elle proposait d’interdire dans son programme pour l’élection présidentielle. Or, voilà qu’une proposition de loi entend justement mettre un terme à une pratique dénoncée par les défenseurs de cette cause qui lui est chère : la corrida.

Jeudi 24 novembre, l’insoumis (et antispéciste) Aymeric Caron défendra un texte qu’il veut apartisan visant à interdire cette activité tauromachique, encore pratiquée dans plusieurs départements du sud de la France. Au moment de son dépôt, l’élu de Paris misait sur la « liberté de manœuvre » de ses collègues députés de tous bords, et pensait donc pouvoir trouver une majorité sur sa proposition de loi.

Une habile liberté de vote

Or, si le RN affiche en façade son combat contre les maltraitances animales, plusieurs de ses députés — particulièrement ceux élus dans le sud — combattent ardemment l’interdiction de la corrida, au nom de la tradition que celle-ci représente dans leurs terres d’élection.

Citons, à titre d’exemple, le député du Gard Nicolas Meizonnet, élu en Camargue où la culture tauromachique est très implantée. Les quatre députés RN de ce même département ont d’ailleurs fait savoir dans la presse locale qu’ils s’opposeront à ce texte.

Marine Le Pen, qui proposait l’interdiction de la corrida aux mineurs dans son programme présidentiel, le sait. En conséquence, elle laisse la liberté de vote aux députés de son groupe. Une façon de ménager le taureau et le torero, que certains ont du mal à avaler.

Car qui dit liberté de voter, dit possibilité d’apposer sa signature à un texte déposé par Aymeric Caron. Un écologiste qui, aux yeux des élus RN, incarne à peu près tout ce qu’ils détestent dans l’offre politique. « Honnêtement, oui. Voter avec lui, c’est un sujet », admettait fin septembre un stratège du RN au Palais Bourbon, pas franchement enthousiaste à l’examen d’un texte qui divisera « la team corrida et la team animaux » au sein du groupe.

« Chacun votera en âme et conscience », renchérissait courant octobre une autre source RN à l’Assemblée nationale, qui avait déjà coché la date du 24 novembre dans son agenda. Car au sein du groupe, certains ont déjà publiquement exprimé leur opposition à la corrida.

« Pratique barbare »

C’est notamment le cas du député RN de l’Yonne Julien Odoul, qui affirmait au mois d’août sur CNews que « le spectacle de la souffrance animale n’a plus sa place en France en 2022 ». Une conviction que le porte-parole du RN exprime de longue date, puisqu’il avait qualifié à l’été 2019 de « faute » la présence du ministre de l’Agriculture d’alors, Didier Guillaume, a une corrida.

Comment votera-t-il vendredi 24 novembre ? Sollicité par Le HuffPost, l’élu bourguignon réaffirme son opposition à cette « pratique barbare » qu’il souhaite voir abolie. « Il faut mettre un terme à cette tradition qui n’en est pas une, je suis catégorique là-dessus », insiste le député RN, qui dit néanmoins comprendre que ses collègues du sud puissent la défendre. Pour autant, il n’a pas encore décidé s’il votera cette proposition de loi, admettant avoir « des difficultés » avec Aymeric Caron.

« Il est très hypocrite sur la souffrance animale. Là il parle de la corrida et c’est bien, mais on ne l’entend pas beaucoup sur l’abattage rituel, avec la mise à mort sans étourdissement », poursuit Julien Odoul, pas très emballé à l’idée de joindre sa voix à un texte porté par un « islamogauchiste », qui captera seul les louanges des défenseurs des animaux si cette interdiction est adoptée.

« Engagée pour la France et les animaux », selon sa biographie sur Twitter, la députée RN Anne-Sophie Frigout ressent beaucoup moins de gêne. « Je suis très contente de la liberté de vote, car cela aurait été très compliqué pour moi de voter contre, et même de m’abstenir », explique au HuffPost l’élue de la Marne.

« Ça montre aussi qu’on n’est pas sectaires et qu’on est un groupe ouvert. Je suis d’ailleurs ravie que mes collègues du Gard puissent également exprimer leur sensibilité sur le sujet », ajoute Anne-Sophie Frigout, prête à voter avec Aymeric Caron, « malgré tout ce qui nous sépare politiquement ».

Députée de Seine-et-Marne, Béatrice Roullaud a également prévu de se prononcer pour le texte de l’insoumis. « On sera nombreux dans ce cas », pronostique Anne-Sophie Frigout, alors que d’autres estiment que c’est l’abstention qui prévaudra.

Ce qui devrait éviter le réveil du clivage entre le RN du Sud, plus « enraciné » et sensible aux questions « civilisationnelles », et celui du Nord, davantage porté sur les questions sociales. Un sujet sensible qui divise la plupart des groupes au Palais-Bourbon et qui donnera à l’évidence à Marine Le Pen un nouvel argument à son édifice fragile de « normalisation »

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