Inceste : le rapport édifiant de la Ciivise sur ses graves conséquences à long terme

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Ana Paula Avila / 500px / Getty Images/500px

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Près de 160 000 enfants sont victimes d’inceste chaque année.

INCESTE - C’est un rapport qui fera date. La Commission inceste (Ciivise) restitue les faits décrits dans les 16 414 témoignages de violences sexuelles qu’elle a récoltés, toutes perpétrées durant l’enfance des victimes, ce mercredi 21 septembre. Créée par le gouvernement en janvier 2021, à la suite de l’affaire Duhamel et du #MeTooInceste, la Ciivise (Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants) a pour but de « permettre à la France de s’engager de manière déterminée pour une protection des mineurs », selon son site officiel. Elle a donc lancé un appel à témoignage, il y a un an, pour « écouter et entendre les victimes. »

Les 16 414 témoignages ont été récoltés principalement grâce aux lignes téléphoniques des associations Collectif Féministe Contre le Viol et SOS Kriz, des e-mails reçus et des questionnaires administrés (6 526) en ligne - qui ont servi à élaborer la majeure partie des statistiques du rapport. 81 % des victimes décrivent des faits incestueux. Mais la commission estime à 160 000 le nombre d’enfants touchés par les violences sexuelles chaque année.

La Ciivise dresse surtout le bilan des conséquences traumatiques et dramatiques que ces violences vécues dans l’enfance ont provoqué sur les adultes d’aujourd’hui, sur leur santé physique et psychique, dans leur vie affective, sexuelle et professionnelle. Des conséquences aggravées car « la victime est jeune, qu’il s’agit d’un viol commis par un ou plusieurs proches, que les violences ont commencé tôt et/ou sont répétées et accompagnées de menaces ou d’autres violences. »

La santé physique et psychique

Le rapport dénonce une immense souffrance ressentie par les victimes qui reste présente et vive bien que les violences aient pu avoir lieu des décennies auparavant. Les troubles psychotraumatiques se retrouvent chez presque 100 % des enfants victimes, selon la Ciivise. Plus de 8 victimes sur 10 estiment que les violences sexuelles ont eu un impact sur leur confiance en soi et sur leur santé psychique.

Si la personne n’est pas accompagnée très tôt, les violences sexuelles entraînent des conséquences sur la construction de sa personnalité. En particulier le développement de comportements à risque : « Près d’une femme sur deux décrit des troubles alimentaires et près de quatre hommes sur dix font état de problèmes d’addiction. »

Les membres de la commission ont aussi analysé les mails reçus. Dans ces derniers, sept personnes sur dix évoquent des conduites d’évitement, des tentatives de suicide, des dépressions ou des cauchemars. Et trois personnes sur dix décrivent un impact physique. « C’est comme si les cellules s’en souvenaient physiquement. Comme si on ressentait tout dans son corps, tout le temps. Et je ne sais pas, on pourrait oublier, voilà, mais on n’oublie pas », témoigne dans le rapport une victime anonyme.

Des familles brisées

Le rapport pointe des souffrances spécifiques au sein du cercle familial : « Nombreuses sont les victimes qui révèlent les violences à leur famille et qui se trouvent exclues. » La division familiale leur est d’ailleurs souvent reprochée. C’est la triple peine, puisqu’elles doivent aussi faire le deuil d’une partie de leur famille.

Les violences sexuelles peuvent aussi interrompre les études ou les carrières professionnelles, les victimes se trouvant en situation de précarité « parce qu’elles ont dû quitter leur foyer (...) ou parce que les symptômes du psychotraumatisme les ont contraintes d’exercer des emplois précaires. »

À l’inverse, l’école et le travail peuvent parfois être des refuges, qui tiennent éloignées les victimes des violences ou de leurs conséquences. « L’école a été pendant longtemps ma bouée de sauvetage et ma vie professionnelle et publique sont de jolies vitrines qui masquent le champ de ruines », relate une victime.

La sexualité affectée

La Ciivise estime que l’impact des violences sexuelles sur la vie intime et affective n’a pas été suffisamment étudié. Pourtant, les conséquences sont nombreuses. Les femmes, qui représentent environ 90 % des victimes, souffrent parfois de vaginisme ou de problèmes gynécologiques. Quant aux hommes, un tiers d’entre eux rapportent des problèmes d’érection à l’âge adulte.

Près de trois victimes sur dix souffrent d’une baisse ou d’une absence de libido, voire d’une absence totale de vie sexuelle. Mais les conséquences peuvent être diamétralement opposées. Pour près d’un homme sur deux et d’une femme sur trois, les violences sexuelles se traduisent par une hypersexualité, avec une multiplication des partenaires.

Les conséquences touchent aussi la parentalité et la maternité : « Il y a, d’une part, l’hypervigilance et la peur de reproduire les agressions sur leurs propres enfants. (...) D’autre part, le renoncement à la maternité et à la construction d’une famille. » Une femme témoigne dans le rapport : « Ça m’a empêché d’être attirée ou d’attirer des hommes avec qui j’aurais pu construire une famille, mais j’avais une telle angoisse de la grossesse, que je pense que j’ai tout fait pour l’éviter. »

Que faire pour changer la société en profondeur ?

La commission liste vingt préconisations - qu’elle a déjà publiées lors de ses conclusions intermédiaires, en mars dernier - pour traiter le problème en profondeur et venir en aide aux victimes. Elles sont articulées autour de quatre axes fondamentaux : le repérage, le traitement judiciaire, la réparation incluant le soin et la prévention.

Le rapport insiste sur cinq d’entre elles qui nécessitent plus de moyens financiers, à l’approche du vote du budget 2023 :

  • « Organiser le repérage systématique des violences sexuelles auprès de tous les enfants par tou.te.s les professionnel.le.s. »

  • « Créer une cellule de conseil et de soutien pour les professionnel.le.s destinataires de révélations de violences sexuelles de la part d’enfants. »

  • « Doter les services de police judiciaire spécialisés dans la cyber-pédocriminalité des moyens humains et matériels nécessaires. »

  • « Garantir des soins spécialisés en psychotrauma aux enfants victimes de violences sexuelles et aux adultes qu’ils deviennent. »

  • « Organiser une grande campagne nationale sur les violences sexuelles faites aux enfants afin de faire connaître leurs manifestations et leurs conséquences sur les victimes, de faire connaître les recours possibles pour les victimes, de mobiliser les témoins en rappelant que ce sont des actes interdits par la loi et sanctionnés par le Code pénal. »

La commission espère que la mise en exergue de ces nombreuses souffrances permettra « une prise de conscience collective » et la mise en place de « mesures permettant de lutter contre l’impunité des agresseurs, de restaurer les victimes et de prévenir les violences sexuelles afin que les enfants puissent grandir en sécurité. »

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