Sans Inès Léraud, le film « Les algues vertes » n’aurait jamais vu le jour

Céline Sallette, ici dans le rôle d’Inès Léraud dans « Les algues vertes », au cinéma.
Céline Sallette, ici dans le rôle d’Inès Léraud dans « Les algues vertes », au cinéma.

CINÉMA - « Dès que tu t’approches des algues vertes, ça pue, dans tous les sens du terme. » Nina Meurisse ne sait pas si bien dire. Au casting des Algues vertes, adaptation de la bande dessinée du même nom écoulée à plus de 130 000 exemplaires, l’actrice y donne la réplique à Céline Sallette, implacable dans la peau de la lanceuse d’alerte Inès Léraud.

Réalisé par Pierre Jolivet (Fred, Ma petite entreprise), Les algues vertes est sorti en salles mercredi 12 juillet. Le sujet - comme le présuppose son titre - parle du même scandale, celui des algues vertes. Apparues en masse en Bretagne avec l’industrialisation de l’agriculture dans la région sous l’impulsion de l’État au sortir de la Seconde Guerre mondiale, ces algues, quand elles se décomposent, émettent du sulfure d’hydrogène, un gaz potentiellement mortel.

Depuis la fin des années 1980, au moins 40 animaux et trois hommes sont morts sur les plages bretonnes, à l’instar de Thierry Morfoisse - décédé en 2009 après avoir déchargé une benne d’algues en décomposition - ou de Jean-René Auffray, un joggeur dont le corps a été retrouvé par sa famille dans une vasière en baie de Saint-Brieuc. S’il a fallu attendre 2018 pour que le décès du premier soit reconnu comme accident du travail, la justice a seulement commencé, l’an passé, à se pencher sur l’affaire.

« On me menace physiquement »

Silence de plomb des autorités, disparition mystérieuse de preuves et déontologie suspecte au moment d’enterrer les corps… Comme l’enquête choc d’Inès Léraud dont il s’inspire, le film met en lumière l’omerta autour de la gestion critique des algues vertes, un sujet brûlant au cœur de multiples conflits d’intérêts mêlant géants de l’industrie agroalimentaire et politiques.

Dans son film, Pierre Jolivet a pris des libertés. « Quand on lit la bande dessinée d’Inès Léraud, on ne sait pas tout ce qu’elle a traversé pour l’écrire », a-t-il expliqué à l’AFP. Il a décidé de la placer au cœur de l’histoire.

De son déménagement en Bretagne avec sa partenaire à l’arrêt inattendu de son Journal breton sur France Culture, en passant par sa vie sentimentale, mais aussi les menaces de mort des agriculteurs, les tentatives d’intimidation de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles ou la pression des hommes politiques… L’enquête qu’a menée Inès Léraud entre 2016 et 2019 a mis sa vie en danger.

« Quand je vais dans les fermes, je me fais jeter. On me menace physiquement. Des témoins qui sont d’accord pour me parler se rétractent, car ils ont trop peur qu’un de leurs proches perde leur emploi dans l’agroalimentaire », a-t-elle récemment confié à L’Obs, comme vous pouvez le voir dans la vidéo ci-dessous.

Un dévouement sans relâche

Formée à la Fémis et ex-étudiante en philosophie, Inès Léraud, aujourd’hui la quarantaine, est journaliste. Collaboratrice du Canard enchaîné, de Mediapart et Reporterre, elle a pendant de longues années produit des documentaires sonores pour France Culture et France Inter. Elle a notamment été décorée, en 2020, du prix du journalisme pour sa bande dessinée.

Celle qui, en 2020, a fondé Splann (« clair », en breton), premier média d’enquêtes journalistiques en Bretagne, a fait du sujet des algues vertes un combat. Qu’importent les roues de sa voiture déboulonnées ou les procès en diffamation. Qu’importe l’empoisonnement de son chien ou qu’on annule son émission à la radio. Son but est clair : faire éclater la vérité sur le silence des autorités.

Inès Léraud n’a rien lâché, comme en témoigne aussi son soutien sans faille à la famille de Jean-René Auffray qu’elle accompagne dans les démarches judiciaires. Ce dévouement, étroitement lié à la maladie de sa mère intoxiquée par le mercure de ses plombages dentaires, n’est pas sans l’avoir atteint, physiquement comme moralement. « J’étais en début de burn-out », confie l’enquêtrice, à deux doigts de s’être reconvertie en éleveuse de chèvres.

Son combat continue

Et pourtant, le combat continue. Grâce au film de Pierre Jolivet, elle n’espère pas seulement nous en apprendre sur le fonctionnement de l’agriculture intensive, mais aussi sur le fait que dans cette histoire, « les agricultrices et agriculteurs ne sont que des pions, au détriment desquels d’immenses richesses se créent dans leur dos », explique l’infatigable journaliste dans les notes de production.

Si le réalisateur parle d’elle comme d’un « passeport » sur le tournage, Inès Léraud, qui a cosigné le scénario, rappelle que de nombreuses municipalités leur ont refusé de poser un pied de caméra. Et alors que les avant-premières dans la région ont affiché complet - preuve, selon la journaliste dans Télérama, « que les gens aspirent à la vérité » -, Politis explique que Loïg Chesnais-Girard a refusé que le film soit projeté au Conseil régional de Bretagne, malgré l’aide financière de la région apportée à sa réalisation.

L’information fait sourire Inès Léraud qui ne perd pas d’un œil sa mission, toujours dans cette Bretagne qu’elle n’a pas l’intention de quitter. Son nouveau projet : une bande dessinée sur le remembrement rural, époque de bouleversement du paysage pendant laquelle « on a arraché beaucoup d’arbres et de haies pour que les terres puissent être cultivées par de grosses machines », précise-t-elle dans le magazine ELLE. L’alerte est toujours au vert.

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