Guerre en Ukraine : Pourquoi les frappes russes ne changent pas la « nature » du conflit

KYIV, UKRAINE - 2022/10/10: Burned-out cars that were damaged as a result of rocket fire by the Russian army in the city center. As a result of a massive Russian missile attack on Monday, a number of infrastructure facilities in 12 regions of Ukraine and Kyiv were damaged or destroyed. 11 people died, 89 were injured. (Photo by Sergei Chuzavkov/SOPA Images/LightRocket via Getty Images)

UKRAINE - Après les explosions qui ont touché le pont de Crimée samedi, la Russie a revendiqué des frappes « massives », ce lundi 10 octobre sur les populations civiles et sur des infrastructures ukrainiennes. Celles-ci ciblant particulièrement des installations énergétiques. Emmanuel Macron a tenu lundi soir une réunion d’urgence sur l’Ukraine, regrettant, selon lui, un « changement profond de la nature » de cette guerre.

Les bombardements russes « pourraient avoir violé » le droit de la guerre et représenter des crimes de guerre si les cibles civiles « ont été visées intentionnellement », a par ailleurs affirmé l’ONU ce mardi.

Cette montée dans la violence marque-t-elle réellement un « changement de nature » comme le croit le président français ? « Pas vraiment », explique au HuffPost Anne de Tinguy, professeur des universités émérite à l’Inalco, chercheuse au CERI et auteur de l’ouvrage Le Géant Empêtré (éditions Perrin).

Est-ce que l’explosion du pont de Crimée marque un tournant dans cette guerre ?

Il y a une escalade, ceci étant je ne pense pas que cela modifie la nature de la guerre sur le terrain. Et ce pour plusieurs raisons. D’une part, cela ne change pas grand-chose sur le plan militaire puisque les frappes russes n’ont pas bousculé l’équilibre des forces : elles n’ont pas touché la ligne de front. Au contraire dans la région de Lougansk les forces ukrainiennes ont gagné du terrain. Les troupes russes sont en mauvaise posture et elles le restent.

D’autre part, l’un des objectifs du Kremlin est que les pays occidentaux arrêtent de soutenir l’Ukraine et lèvent les sanctions contre la Russie. Ce déluge de feu sur le pays ne va pas les convaincre et au contraire il va renforcer leur soutien à Kiev. D’ailleurs, hier (lundi), l’Union européenne et le G7 ont réaffirmé leur soutien et condamné les frappes russes.

Enfin, est-ce que cela pourrait faire bouger quelque chose du côté des négociations ? Clairement non. Pour le moment il n’y a aucun signe qui montre d’un côté ou de l’autre une volonté de négociation.

Et du côté de la population ? Les frappes ont atteint des civiles, avec plusieurs dizaines de morts et une centaine de blessés…

Oui, les frappes visaient les populations civiles. La Russie s’est ici encore rendue coupable de crimes de guerre. Mais prendre pour cible des populations civiles n’est pas nouveau, c’est ce qu’elle fait depuis le début de l’offensive.

Aujourd’hui, une fois de plus, Moscou tente de terroriser la population ukrainienne pour la faire plier, mais remarquons que cela a l’effet inverse : la guerre n’a cessé de renforcer la résistance. De plus, les forces ukrainiennes enchaînent les victoires ces dernières semaines, il n’est pas dans leur intérêt de baisser les bras maintenant.

D’ailleurs, il a été dit que les frappes russes qui ont eu lieu hier et aujourd’hui avaient été planifiées avant même l’explosion du pont de Crimée (dès le 2 ou 3 octobre, ndlr). On les a spontanément expliqués comme une riposte, mais ça peut tout aussi bien avoir été planifié comme une réponse aux revers militaire que les Russes subissent depuis quelque temps.

Il a été annoncé que les frappes russes ont touché des sites énergétiques, que cherche à faire le Kremlin ?

On constate en effet que les frappes russes ont particulièrement touché des infrastructures, notamment dans le secteur énergétique. Des frappes qui visent à affaiblir davantage le potentiel économique de l’Ukraine. C’est un point important : la guerre menée par la Russie est hybride, elle utilise l’économie comme une arme pour mettre l’Ukraine à genou.

Ce n’est pas nouveau, on a déjà pu voir cette tactique avec la prise de contrôle de la centrale nucléaire de Zaporijjia. Pour Poutine, la guerre économique semble aussi pratiquement importante que la guerre militaire.

Est-ce que ces attaques auraient pu être une réaction aux critiques qu’essuie Poutine ces derniers temps ?

Vladimir Poutine subit des pressions d’un certain nombre de forces nationalistes qui lui reprochent de ne pas être assez « ferme » à l’égard de l’Ukraine. Ces bombardements vont dans le sens souhaité par ces personnes.

Par ailleurs, le président russe avait souvent annoncé qu’il réagirait fermement en cas d’attaque du territoire russe. Lorsque la Crimée - de son point de vue le territoire russe - a été attaquée, et après les multiples revers subis, il ne pouvait pas ne rien faire. Cela aurait rendu sa politique encore plus incohérente qu’elle ne l’est déjà.

Dernier point : il a, à plusieurs reprises, brandi la menace nucléaire en cas d’attaque du territoire russe. Constatons qu’il ne l’a pas fait.

À voir également sur Le HuffPost : À Kiev, Hugo Bachega de la BBC se met à l’abri en plein direct

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