Guerre en Ukraine : Derrière la reconstruction, une rivalité entre UE et États-Unis

US President Joe Biden and French President Emmanuel Macron hold a joint press conference in the East Room of the White House in Washington, DC, on December 1, 2022. (Photo by Ludovic MARIN / AFP)
LUDOVIC MARIN / AFP US President Joe Biden and French President Emmanuel Macron hold a joint press conference in the East Room of the White House in Washington, DC, on December 1, 2022. (Photo by Ludovic MARIN / AFP)

INTERNATIONAL - Surtout, ne leur parlez pas de « concurrence » entre Français et Américains sur l’aide aux Ukrainiens. Les proches d’Emmanuel Macron préfèrent largement le terme de « complémentarité ». En coulisses cependant, la question reste posée, a fortiori au regard de la conférence sur la reconstruction de l’Ukraine qui se tient ce mardi 13 décembre à Paris.

L’entourage du président insiste : cette journée de conférence et la thématique sur la reconstruction sont issues d’une initiative partagée entre Paris et Kiev. Et si la reconstruction est au programme, c’est avant tout parce que le président ukrainien Volodymyr Zelensky l’a souhaité.

La France satisfait donc à sa demande mais y trouve aussi son intérêt. Alors que l’Ukraine a officiellement fait acte de candidature pour adhérer à l’UE, il s’agit aussi pour les 27 de poser des bases utiles pour un avenir européen, de préférence avant et mieux que les États-Unis.

« Nous n’avons pas à rougir de ce qui est fait. En additionnant l’intégralité de notre aide militaire, nous sommes dans les cinq premiers pays ». La mise au point du ministre des Armées Sébastien Lecornu dans le Journal du Dimanche le 19 novembre disait beaucoup des reproches qui sont faits à la France sur son soutien militaire en Ukraine.

En termes de soutien militaire, l’UE s’incline devant les États-Unis

Selon un classement - contesté par le gouvernement français - et des chiffres de l’Institut de Kiel pour l’économie mondiale qui compile les soutiens à l’Ukraine, au 20 novembre, la France était le septième fournisseur d’aide militaire à l’Ukraine. Derrière la Pologne, le Canada, les Allemands et les Anglais, mais surtout très en deçà de la contribution américaine.

Sur son site, le département d’État américain dresse une liste longue et détaillée du matériel : système de défense antiaérienne, véhicules, missiles antiradiation… Le tout pour une note de 19 milliards de dollars. À titre de comparaison, les contributions militaires des institutions et pays membres de l’UE se chiffrent à près de 9 milliards d’euros, selon le vice-président de la Commission européenne Joseph Borell.

La France justifie sa non-communication sur le soutien militaire pour des raisons stratégiques. Ce qui s’entend. Néanmoins, les retombées en termes d’image sont peu glorieuses : « Si la France veut prendre la main sur une nouvelle ère d’indépendance militaire européenne, pourquoi sa contribution à l’effort de guerre ukrainien est-elle si faible ? », interrogeait par exemple la BBC le 3 octobre.

« Tout ce que l’on promet, on le livre. Les Ukrainiens le reconnaissent et cela nous différencie parfois d’autres… », tacle pour sa part le ministre des Armées françaises dans le JDD face à la mauvaise presse internationale. Qui est visé ? Sébastien Lecornu se garde bien d’aller plus loin. Mais selon l’institut Kiel, le Royaume-Uni s’est retrouvé dans le cas… ainsi que les Américains.

« L’idée n’est pas de se partager le marché ukrainien »

Ces critiques à demi-mot n’empêchent pas les dirigeants d’afficher leur volonté commune, comme récemment lors de la visite d’État d’Emmanuel Macron aux États-Unis. « Nous avons décidé de continuer d’agir ensemble pour aider la population civile ukrainienne à résister et (...) nous serons là pour aider à bâtir la paix », avait déclaré le chef d’État Français le 1er décembre à Washington aux côtés de son homologue américain Joe Biden.

Bâtir la paix ensemble, d’accord. Mais sans, pour autant, se laisser damer le pion par son allié. C’est dans cet esprit que 500 entreprises françaises participeront à des tables rondes avec les ministres ukrainiens ce mardi après-midi pour discuter d’investissements dans les infrastructures, la technologie et le digital, la santé, l’énergie et l’agroalimentaire.

« Il s’agit d’une guerre sur le continent européen, donc il est aussi normal que l’Europe prenne sa part pour aider son voisin », justifient les conseillers présidentiels. Pour autant, « l’idée n’est pas de se partager le marché ukrainien en parts plus ou moins égales entre l’Europe et les États-Unis. Les besoins sont et vont être tellement massifs qu’il faut que chacun puisse se mobiliser à la hauteur de ses capacités. »

« Il s’agit d’une guerre sur le continent européen, donc il est aussi normal que l’Europe prenne sa part pour aider son voisin » Un conseiller d’Emmanuel Macron

L’intention est plus que louable, mais c’est oublier un peu vite que les Américains ont aussi un intérêt majeur en Ukraine : le pays, limitrophe de la Russie, ne doit pas contribuer au projet d’extension du territoire russe qui anime Vladimir Poutine selon Washington. Et fournir de l’argent pour la résistance est un bon premier pas. « Se focaliser sur le coût de l’aide américaine en Ukraine, c’est ignorer à quel point cette aide a permis de mettre des limites concrètes aux ambitions de Poutine et montrer aux autres États qu’ils peuvent faire confiance aux États-Unis dans la compétition avec la Chine. C’est ignorer à quel point cette aide permet de restaurer et renforcer le rôle que les États-Unis jouent de facto comme leader de l’Ouest », analyse Anthony H. Cordesman, spécialiste américain titulaire d’une chaire universitaire en stratégie pour le Centre d’études stratégiques et internationales.

En creux, c’est donc le retour d’une lutte d’influence qui se joue entre le Vieux Continent et le pays de l’Oncle Sam. Chacun a choisi sa partition : militaire pour les Américains, économique pour les Européens. À l’issue de la guerre, l’Ukraine aura le choix.

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