Guerre en Ukraine : derrière les 50.000 soldats russes morts identifiés, un bilan bien plus conséquent

La BBC a affirmé ce mercredi 17 avril avoir identifié 50.000 soldats russes morts sur le front ukrainien depuis février 2022. Un chiffre qui montre l'ampleur des pertes humaines russes tout en présageant un bilan bien plus important.

Un chiffre lourd. 50.000 soldats russes ont été identifiés par la BBC comme ayant été tués depuis le début de l'offensive en Ukraine en février 2022. En collaboration avec le média russe indépendant Mediazona, des journalistes ont pu mettre des prénoms, des noms, des grades, voire des visages sur ses soldats morts pour '"l'opération spéciale" de Vladimir Poutine. Une "opération spéciale" qui se voulait éclair mais qui perdure depuis plus de deux ans.

Plus de 27.300 soldats russes seraient morts au cours de la deuxième année de combat, soit 25% de plus que la première année, d'après leur enquête publiée le mercredi 17 avril.

Pour établir cette liste macabre, nos confrères ont épluché minutieusement les rapports officiels, les journaux et les réseaux sociaux en quête de la mention de décès de la part des autorités locales ou des proches. Ils se sont également intéressés aux données des registres des successions ou encore à 70 cimetières à travers la Russie. Des images aériennes leur permettaient de remarquer les nouvelles tombes implantées, puis de confirmer via des photos ou des vidéos prises sur le terrain qu'elles appartenaient à des anciens soldats ou des officiers.

Ce chiffre, qui ne comprend pas les miliciens morts dans les régions occupées de Donetsk et de Louhansk, est huit fois plus élevé que le seul bilan officiel donné par Moscou en septembre 2022 qui était alors de 5.937 soldats.

Un chiffre bien en deçà de la réalité

Comme les Ukrainiens, les Russes communiquent très peu à ce sujet. "Si un bilan conséquent est confirmé, cela peut susciter des questions au sein de la société civile", souligne Arnaud Dubien, directeur de l'Observatoire franco-russe à Moscou et chercheur associé à l'Institut de relations internationales et stratégiques, contacté par BFMTV.com.

"Elle pourrait alors se demander si le conflit justifie autant de morts. Alors qu'actuellement, 90% de la population russe ne se sent pas affectée", note-t-il.

Pourtant, les 50.000 soldats identifiés ne sont probablement que la partie émergée de l'iceberg. Des estimations bien plus importantes se multiplient du côté des Occidentaux. Ces derniers "ne parlent pas seulement des soldats tués mais de ceux dits 'hors de combat'", précise le général Jérôme Pellistrandi, consultant défense pour BFMTV. 

En août dernier, le New York Times, citant des officiels américains, évaluait les pertes militaires russes à 120.000 morts. Fin janvier, le ministre britannique de la Défense James Heappey estimait lui les pertes russes à plus de 350.000 morts et blessés. Ces estimations restent quantitatives, contrairement à celles de la BBC qui a fait tout un travail d'identification.

"On estime que pour chaque soldat tué, trois autres sont blessés", relève par ailleurs Arnaud Dubien qui signale qu'une partie des blessés "est ensuite soignée et revient au combat". Ce spécialiste de la Russie nous communique une autre estimation établie par un "démographe russe reconnu" dont il tait le nom pour sa sécurité.

"Fin octobre, ce démographe a donné un colloque très restreint. Il estimait alors qu'entre 75.000 et 83.000 soldats russes avaient été tués depuis février 2022", nous confie-t-il jugeant ces chiffres "extrêmement crédibles".

Avant d'ajouter: "Depuis la fin octobre, avec un ordre de grandeur, on peut estimer que ce bilan monte entre 100.000 et 120.000".

Trois soldats tués pour un char détruit

Une autre théorie militaire étaye la probabilité que le bilan global soit bien supérieur aux 50.000 soldats russes identifiés par la BBC. Le général Jérôme Pellistrandi nous explique que pour chaque véhicule de guerre détruit, on peut estimer que trois soldats sont morts.

Selon le blog spécialisé Oryx, qui tient une liste des pertes matérielles russes et ukrainiennes depuis février 2024, 10.952 véhicules russes ont été détruits à ce jour. S'il l'on multiplie ainsi 10.952 par trois, on obtient 32.856 morts. Un chiffre qui ne comprendrait que les soldats présents dans les véhicules au moment de leur destruction.

Le média russe Mediazona vient toutefois nuancer cette théorie: "Toucher des véhicules blindés ne signifie pas toujours la mort de l'équipage: les images de drones montrent souvent des soldats en train d'évacuer".

La BBC précise qu'une augmentation du nombre de soldats tués a été observée en janvier 2023 dans la région de Donetsk, occupée par Moscou, au printemps 2023 lors de la bataille de Bakhmout ou encore lors de l'offensive d'ampleur sur la ville d'Avdiïvka, lancée à l'automne dernier et qui aura duré quatre mois.

Le groupe de mercenaires Wagner, qui a aidé la Russie à capturer Bakhmout, estimait alors les pertes de son groupe à 22.000 personnes, précise le média britannique.

La stratégie de la "chair à canon"

Cette hausse des pertes humaines s'explique par la stratégie alors adoptée par Moscou: la stratégie de la "chair à canon" ou du "hachoir à viande".

"Cela consiste à envoyer massivement des soldats pour submerger le front et épuiser les forces ukrainiennes", explique le général Jérôme Pellistrandi qui fait un parallèle avec l'Armée rouge durant la Seconde Guerre mondiale qui "n'hésitait pas à sacrifier pour gagner".

Mais comparé au XXème siècle, Moscou ne possède plus de la même ressource démographique. "Aujourd'hui, la Russie ne peut plus envoyer des millions d'hommes, de la chair à canon gratuite. Mais aujourd'hui, elle a de l'argent pour se payer des contractuels", déclare Arnaud Dubien, le directeur de l'Observatoire franco-russe à Moscou. Des contractuels dont la mort coûte donc cher.

L'enquête de la BBC nous apprend d'ailleurs que le profil des soldats a évolué au fil de la guerre. Les soldats expérimentés, blessés ou tués au début du conflit, ont peu à peu été remplacés par des volontaires, des civils ou encore des prisonniers à qui on promettait l'amnistie en échange de leur engagement. Faiblement formés, ces soldats ont une chance de survie moindre.

Article original publié sur BFMTV.com