Guerre en Ukraine : la bataille de Kherson se prépare

Dans cette photo d’archive prise le 20 mai 2022, des militaires russes patrouillent à la centrale hydroélectrique de Kakhovka, sous contrôle russe depuis le début de l’invasion de l’Ukraine et qui pourrait s’avérer stratégique dans la bataille pour Kherson.
OLGA MALTSEVA / AFP Dans cette photo d’archive prise le 20 mai 2022, des militaires russes patrouillent à la centrale hydroélectrique de Kakhovka, sous contrôle russe depuis le début de l’invasion de l’Ukraine et qui pourrait s’avérer stratégique dans la bataille pour Kherson.

GUERRE EN UKRAINE - Peut-on imaginer une ville plus symbolique de l’« opération militaire spéciale » de la Russie depuis le 24 février en Ukraine ? À Kherson, ville du sud du pays tombée aux mains des Russes depuis début mars, la menace d’un affrontement entre les troupes ukrainiennes et russes se fait grandissante.

L’annonce de l’évacuation russe de 50 000 à 60 000 civils de la cité n’a fait qu’amplifier l’imminence d’une opposition à venir entre les deux armées au milieu de Kherson, surtout que les Ukrainiens enchaînent les victoires depuis le 29 août et s’approchent à grand pas de la capitale de la région éponyme récemment annexée par Moscou, au même titre que les régions de Donetsk, Lougansk et Zaporijjia.

Des troupes russes bien préparées mais mal positionnées, des Ukrainiens à la manœuvre et enhardis par leurs succès, des civils évacués… Kherson sera-t-elle le théâtre d’une grande bataille ? Le HuffPost fait le point sur la situation, avant l’arrivée prochaine des troupes ukrainiennes aux portes de la ville.

Des Russes entre repli et résistance frontale

Le responsable adjoint en charge de l’occupation russe à Kherson, Kirill Stremoussov déclarait ce vendredi 21 octobre : « La ville de Kherson, comme une forteresse, prépare sa défense ». Il faut dire qu’à Kherson et dans sa région, les soldats russes sont nombreux et aguerris et donc dans une situation favorable pour tenir la position dans le temps. Ils pourraient logiquement se retrancher dans la ville et infliger de lourdes pertes si jamais les Ukrainiens décidaient de lancer l’assaut.

Mais la géographie des lieux aura son rôle à jouer. En effet, les forces de Moscou se trouvent sur la rive occidentale du Dniepr sur une bande de près de 140 kilomètres de largeur, avec le fleuve dans le dos et leurs positions de repli au-delà des flots, dont le franchissement se ferait sous le feu de l’artillerie de précision des Ukrainiens. Ils sont aussi exposés au risque de se faire encercler, comme vous pouvez le constater sur les cartes ci-dessous.

La situation militaire autour de Kherson, le 20 octobre 2022.
AFP La situation militaire autour de Kherson, le 20 octobre 2022.

Voilà pourquoi de nombreux experts du conflit estiment aujourd’hui que la Russie se trouve dans un cul-de-sac à Kherson, au point de devoir faire marche arrière après l’évacuation civile, comme en témoigne sur place l’envoyé spécial du Figaro. Pour le capitaine de vaisseau en retraite Valentin Mateiu, ancien membre du renseignement militaire roumain, les Russes souffrent surtout d’un « désavantage stratégique » après avoir laissé s’exprimer le talent manoeuvrier des Ukrainiens.

D’ailleurs, avant la contre-offensive de fin août, « les Ukrainiens ont systématiquement préparé le champ de bataille », détruisant les ponts, les nœuds logistiques, les centres de commandement, « et les Russes n’ont pas eu de réaction adéquate », ajoute encore Valentin Mateiu. « Je pense que les Russes essaieront de faire de Kherson un centre de résistance tout en évitant d’être encerclés », anticipe-t-il.

Reste la menace d’une « catastrophe » préméditée en cas de déroute russe : Volodymyr Zelensky accuse en effet la Russie d’avoir miné le barrage et les unités de la centrale hydroélectrique de Kakhovka, à moins de 60 km de Kherson et qu’elle contrôle depuis le 24 février. Si ce barrage explose, « plus de 80 localités, dont Kherson, se retrouveront dans la zone d’inondation rapide » et cela affecterait aussi le refroidissement des réacteurs de la centrale nucléaire de Zaporijjia, qui y puise son eau.

La centrale hydroélectrique de Kakhovka controlée par la Russie se situe à seulement 58 kilomètres (à vol d’oiseau) de la ville de Kherson.
Capture d’écran Google Maps La centrale hydroélectrique de Kakhovka controlée par la Russie se situe à seulement 58 kilomètres (à vol d’oiseau) de la ville de Kherson.

Le dilemme de Kiev

À ce jour, Kherson est la seule capitale d’oblast conquise et reste la plus belle prise russe depuis le début de l’invasion du 24 février. « C’est un point stratégique, de par sa position sur le Dniepr. Il a aussi une importance symbolique », explique Olga Chiriac, chercheuse au Middle East Institute. De quoi expliquer la volonté ukrainienne de reprendre cette position, au nez et à la barbe de Moscou.

Sauf si l’Ukraine s’en tient à sa volonté de ne pas reproduire les exactions russes sur son propre territoire. Ils « ne vont pas mener de bataille pour Kherson, ils ne détruisent pas les villes comme les Russes à Marioupol », assure l’Ukrainien Mykhailo Samus, directeur du New Geopolitics Research Network. Ils vont « maintenir les troupes russes fixées et, à un moment, ils pourront former une poche », pronostique également le général américain en retraite Ben Hodges.

Tout un dilemme donc pour le commandant des troupes ukrainiennes, Valery Zaloujny, « sous pression politique » de la part de Zelensky, qui souhaite plus que tout « cette victoire stratégique ». L’erreur de Kiev serait donc de trop s’avancer et de « s’engager dans la banlieue de Kherson », souligne le chercheur français Pierre Grasser. Il ajoute que « le combat urbain fait toujours beaucoup de morts pour l’attaquant et au niveau des dégâts ceci risquerait de causer un nouveau Marioupol. La ville a beaucoup plus de valeur, pour les deux camps, si elle reste intacte ».

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