Guerre en Ukraine : À quoi pensent les Russes depuis le début de l’invasion ? Nicolas Wild répond en BD

« A quoi pensent les Russes », la nouvelle BD de Nicolas Wild, sort le 4 octobre 2023.
La Boîte à bulles « A quoi pensent les Russes », la nouvelle BD de Nicolas Wild, sort le 4 octobre 2023.

CULTURE - Mais à quoi peuvent bien penser les Russes ? C’est une question à laquelle il est difficile de répondre depuis le début de la guerre en Ukraine le 24 février 2022, conflit qui n’a cessé d’ostraciser Moscou sur la scène internationale face au soutien (presque) unanime des Occidentaux à Kiev.

À quoi pensent les Russes, c’est précisément le titre de la bande dessinée de Nicolas Wild publiée ce mercredi 4 octobre (éd. La Boîte à bulles). Le dessinateur a été envoyé dans le pays de Vladimir Poutine six mois après le début de « l’opération spéciale » pour un magazine indien spécialisé dans la BD de reportage. Aléas du calendrier, le magazine n’est pas encore paru à l’heure où le livre sort en librairies.

Pour le HuffPost, l’auteur de Kaboul Disco revient sur ses rencontres avec des membres de l’opposition et ses échanges avec les habitants de Saint-Pétersbourg, Moscou et de la Bachkirie. Et tente, en quelques mots, de nous éclairer sur l’état d’esprit du pays.

Vous êtes restés deux semaines en Russie au mois de juillet 2022. Quelle était l’ambiance par rapport à la première fois où vous y avez été ?

J’avais en effet déjà voyagé en Russie et notamment à Saint-Pétersbourg en 2004. La ville venait d’être repeinte pour son 300e anniversaire. Saint-Pétersbourg est la ville de naissance de Vladimir Poutine, il voulait faire un gros coup. Il y avait aussi plus de touristes étrangers, on entendait du français et de l’anglais. Là, pas du tout.

J’avais l’impression d’être dans un épisode du Bureau des légendes ! - Nicolas Wild

C’était très étrange, j’allais dans des endroits que je connaissais mais tout était différent. J’avais l’impression d’avoir le pays rien que pour moi, les gens parlaient en russe parce que personne n’imaginait qu’un Français soit là… C’était comme dans un épisode du Bureau des légendes !

En 2022, les gens paraissaient plus heureux. 20 ans plus tôt, le pays était moins riche et sortait des années 1990, une décennie difficile suite à la chute de l’URSS. Le contexte de ma venue était également différent, cette fois je n’étais pas qu’un touriste. Je travaillais avec une fixeuse [habitante qui aide les reporters à trouver des contacts et à traduire, NDLR] et on avait une liste de personnes précises à rencontrer.

Vous avez interrogé des militants LGBT et anti-Poutine, mais aussi des passants dans la rue. Comment vous ont-ils accueillis ?

L’angle d’approche pour ma fixeuse c’était de dire : « Bonjour mon ami Nicolas voyage dans le pays pour mieux le connaître, il fait des croquis des gens qu’il rencontre. » Et ça marchait plutôt bien ! La plupart ont accepté de nous parler, étaient très contents de rencontrer un étranger et de bavarder. Je pensais que ce serait plus difficile.

Les gens croisés par hasard sont souvent les plus intéressants d’ailleurs. Dans le train pour Moscou, on a rencontré une maman et sa fille Louba, très sympathiques, francophiles, une famille bien dans sa peau. Et dans un deuxième temps, Louba raconte qu’elle suit un entraînement militaire.

« A quoi pensent les Russes », extrait
« A quoi pensent les Russes », extrait

C’est grâce à elle que j’ai appris l’existence du centre international pour enfants d’Artek, en Crimée. Je me rends alors compte que Poutine investit beaucoup dans cette région [annexée illégalement en 2014] pour en faire une région modèle, qui mérite d’être russe.

Après, certaines personnes étaient assez fâchées contre l’Otan ou l’Occident mais quand on parle avec eux, ils ne restent pas en colère longtemps. Ils sont heureux de voir quelqu’un faire le déplacement pour savoir à quoi ils pensent.

Justement, à quoi pensent-ils ?

Il y a beaucoup d’inquiétude du côté des militants et des artistes qui sont contre la guerre ou le pouvoir. Mais aussi du côté des pro-Poutine, qui parfois avaient des doutes ou étaient un peu confus sur la situation.

J’ai rencontré un homme assez désagréable qui parlait du grand remplacement, qui assurait qu’il y aurait des manifestations en France dans quelques mois contre l’Ukraine. Au début, je ne voulais pas le mettre dans la BD, mais je me suis rendu compte que beaucoup de Russes avaient une vision similaire de l’Occident décadent avec, notamment, ses lois favorables au mariage pour tous.

« A quoi pensent les Russes », extrait
« A quoi pensent les Russes », extrait

Malgré la propagande du Kremlin, il y a beaucoup de francophilie, mais une francophilie vintage. On m’a parlé de Joe Dassin, Louis de Funès, Patricia Kaas. Beaucoup ont une image fantasmée. Ils aiment une idée de la France, mais pas l’image de la France qu’ils voient à la télé.

Et sur la guerre en Ukraine ?

J’ai parlé avec beaucoup de Russes qui ont de la famille en Ukraine ou qui ont des origines ukrainiennes. Pour eux, il y a vraiment une différence entre l’est et l’ouest de ce pays, entre les « pro-russes » et les « pro-européens ». C’est un facteur de division assez profond. Quand la guerre a éclaté, on a dit que Poutine était fou mais en fait, plusieurs événements ont mené à cette guerre notamment la révolution orange de 2004 en Ukraine [la victoire à la présidentielle du pro-russe Viktor Ianoukovitch, contestée et entraînant des manifestations monstres].

Ils se plaignent aussi du deux poids deux mesures entre la Russie et les États-Unis. La France, par exemple, s’est prononcée contre l’invasion de l’Irak en 2003. Pourquoi n’y a-t-il pas eu de sanctions contre Washington à l’époque, alors qu’il y en a aujourd’hui contre Moscou ? Les Russes sont remontés contre ça.

Globalement, la société est divisée. Des personnes prient pour Poutine, le qualifient de héros, en parlent avec joie. D’autres ne l’aiment pas comme les jeunes de Saint-Pétersbourg, car il brise leur rêve d’émancipation et d’Europe. Mais les gens préfèrent ne pas parler politique, c’est trop risqué.

Pour autant, ils n’étaient pas hostiles avec moi. Ils étaient même tristes et disaient « vous n’allez plus avoir de gaz, vous allez avoir froid ! » J’y étais en plus à un moment où il y avait une pénurie de moutarde, du coup j’en ai eu en cadeau… Comme souvent quand je vais dans des pays en crise, les gens ont beaucoup d’humour !

Avez-vous eu peur pendant ces deux semaines au pays de Poutine ?

Bizarrement, j’ai eu peur avant. Deux jours avant de partir, j’étais un peu paniqué. Qu’est-ce que j’allais faire si Poutine décidait de fermer les frontières et décrétait la mobilisation générale ? J’ai imaginé des scénarios plus romanesques : si on était entendu et qu’on me prenait pour un espion, est-ce que je finirais en prison ?

Mais finalement je faisais des choses assez innocentes. Je devais surtout éviter de passer pour un journaliste. J’ai déjà vécu dans des pays compliqués comme l’Afghanistan, l’Irak ou l’Iran et il ne m’est jamais rien arrivé. La fascination a vite pris le relais. J’avais une chance inouïe d’être là, d’assister à un grand bouleversement du monde de l’intérieur.

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