"Je suis écœuré": comment le conflit Israël-Hamas fait monter les tensions dans les campus américains

C'est une scène devenue habituelle dans certaines universités américaines. Sur le campus de l'université George Washington, au coeur de la capitale, un homme égrène au mégaphone le nom et l'âge de quelque 1.200 Palestiniens tués depuis le déclenchement de la guerre entre Israël et le Hamas.

Plusieurs dizaines d'étudiants sont venus écouter ce triste décompte, le visage masqué pour ne pas être identifiés. Si le rassemblement, qui aura duré trois heures, s'est déroulé dans le calme, certains slogans ne passent pas.

"Quand ils disent des choses comme 'gloire à nos martyrs' alors qu'il y a eu une attaque terroriste massive en Israël, il y a de l'antisémitisme là-dedans. Ça fait vraiment peur", confie au micro de BFMTV Dylan, étudiant de confession juive.

Son camarade David, lui aussi juif, dit ressentir "l'impression de ne pas être le bienvenu sur le campus", alors que la Maison Blanche dénonce une "hausse alarmante des incidents antisémites dans les écoles et sur les campus universitaires".

Un sujet explosif

La guerre entre Israël et le Hamas embrase les campus de plusieurs des universités les plus prestigieuses du pays, viviers de futurs dirigeants américains et laboratoires bouillonnants de militantisme.

À Harvard, c'est un communiqué signé par une trentaine d'organisations étudiantes qui a mis le feu aux poudres. Le texte tient "le régime israélien pour entièrement responsable de la violence", affirme que l'assaut du mouvement islamiste palestinien "n'est pas venu du néant" et que "la violence israélienne structure le moindre aspect de l'existence des Palestiniens depuis 75 ans".

"Je suis écœuré" à la fois par ce communiqué et par "le silence des dirigeants de Harvard", a réagi l'ancien secrétaire au Trésor Lawrence Summers, qui fut président de cette université. Harvard semble "au mieux neutre face à des actes de terrorisme contre l'État juif d'Israël", a-t-il jugé sur X (anciennement Twitter).

L'élu démocrate du Massachusetts Jake Auchincloss a lui dit avoir "honte" de son université, qualifiant de "moralement corrompu" le texte des associations et de "lâcheté morale" la position des dirigeants.

L'identité des manifestants affichée sur internet

La direction de l'université a bien publié un communiqué, mais il a été jugé trop timoré. Face à l'avalanche de critiques, la présidente d'Harvard, Claudine Gay, a dû en publier un deuxième. "Je ne veux pas qu'il y ait le moindre doute sur le fait que je condamne les atrocités terroristes perpétrées par le Hamas", y écrit-elle. À la suite de l'esclandre, "et pour la sécurité des étudiants", la liste complète des organisations estudiantines signataires a disparu du document originel. Car certains de leurs membres ont été victimes de "doxxing", la diffusion de leurs données personnelles sur internet sans leur consentement.

Un véhicule arborant un écran avec des noms et des photos a même circulé près de l'université avec cette dénonciation: "Les plus grands antisémites de Harvard."

Offres d'emploi annulées

Certains de ces groupes ont depuis retiré leur signature, selon le Harvard Crimson, journal étudiant de l'université, et des étudiants ont aussi pris leurs distances avec le texte.

Trop tard peut-être: sur X, l'homme d'affaires Bill Ackman a affirmé que des PDG réclamaient que l'identité des signataires soit rendue publique, afin d'être sûrs de ne jamais les embaucher. La présidente de l'association des étudiants en droit de l'Université de New York (NYU) a déjà fait les frais d'une politique similaire. Après avoir écrit qu'elle ne condamnerait pas "la résistance palestinienne" et qu'Israël portait "l'entière responsabilité" des pertes humaines, elle a vu annulée l'offre d'emploi que le cabinet d'avocats Winston & Strawn lui avait faite.

Des directions jugées trop silencieuses

La prestigieuse université californienne de Stanford s'est elle aussi retrouvée sous le feu des critiques après avoir refusé de condamner des banderoles pro-palestiniennes, au nom de la liberté d'expression de ses étudiants et de son désir de rester neutre.

Situation similaire à l'université Georgetown, dans la capitale Washington, où des enseignants ont écrit à leur président pour lui reprocher son "long silence sur la souffrance des Palestiniens"; tandis que plus de 44.000 personnes ont signé une pétition pour demander qu'une professeure de Yale soit limogée pour des tweets qualifiant Israël d'"État colon, génocidaire et meurtrier".

Certains campus affichent une position plus répressive. La prestigieuse université Columbia située à Manhattan, à New York, a ainsi annoncé suspendre durant tout le premier semestre Jewish Voice for Peace (JVP) et Students for Justice in Palestine (SJP), deux associations étudiantes qui avaient organisé des manifestations appelant à un cessez-le-feu au Proche-Orient, les accusant d'avoir "violé" le règlement intérieur.

Un critère pour le choix des études

Dans cette ambiance tendue, des étudiants des deux bords disent leur malaise. "Tant d'étudiants juifs" se sentent "menacés", "nous ne nous sommes jamais sentis comme ça avant sur le campus", a expliqué sur CNN Jillian Lederman, présidente de l'association Etudiants pour Israël de l'Université Brown.

"C'est vraiment, vraiment effrayant d'être Palestinien aujourd'hui (...) dans un environnement si hostile", a de son côté dit un étudiant de Harvard, cité par ABC News et qui a préféré ne pas donner son identité.

Pour d'autres jeunes, pas encore inscrits à l'université, le sujet israélo-palestinien peut même devenir un critère pour le choix de leur établissement, comme l'expliquent plusieurs d'entre eux à USA Today.

Josh, jeune juif de 17 ans, a ainsi écarté l'université George Washington de sa liste. Il a jugé la réaction de l'établissement "décourageante" après que des étudiants ont projeté sur la bibliothèque du campus les mots "Libérez la Palestine, du fleuve à la mer", un slogan qui peut être entendu comme une négation de l'existence de l'État d'Israël.

Cette semaine, plusieurs campus dont ceux d'Harvard et de George Washington ont annoncé un renfort de la présence policière.

Article original publié sur BFMTV.com