Guerre entre le Hamas et Israël : le point de non-retour ?
Le 7 octobre 2023, le monde s'éveille sous le choc de l'attaque terroriste des militants du Hamas sur le sud d'Israël depuis la bande de Gaza, tuant plus de 1400 personnes et prenant au moins 240 otages. En représailles, Israël lance une offensive militaire sans précédent sur la bande de Gaza, jurant de détruire le Hamas. Au cours des deux premières semaines de l'opération "Glaives de fer", des milliers de civils palestiniens sont tués, et plus d'un million, déplacés.
Tourné entre le 13 et le 23 octobre, ce reportage livre des témoignages de citoyens israéliens et palestiniens. Pour beaucoup, la guerre a aussi condamné à mort tout espoir de cohabitation future.
Quelques jours après les attaques terroristes du Hamas, les troupes israéliennes se préparaient à l'offensive terrestre annoncée sur l'enclave palestinienne. Des dizaines de milliers de réservistes avaient été appelés à combattre, comme dans le bataillon que nous découvrons campé à la lisière du tristement célèbre kibboutz Be'eri, l'un des plus durement touchés par les terroristes du Hamas. 10% de ses 1 100 habitants ont été tués.
Des allégations de tortures sur les civils au kibboutz de Be'eri
Les secouristes de l'organisation israélienne ZAKA étaient encore sous le choc des atrocités découvertes, après la reprise du village par l'armée israélienne.
Yossi Landau, commandant de ZAKA dans le sud d'Israël, témoigne de ce qu'il a vu dans la première maison dans laquelle son équipe est entrée. "Il y avait un couple, le père et la mère, les mains attachées dans le dos, torturés, avec des membres arrachés alors qu'ils étaient en vie," raconte-t-il. "À côté, deux enfants, un garçon et une fille de six et sept ans, dans la même position, torturés," poursuit-il.
"On rentre dans la maison suivante : une femme enceinte est couchée sur le sol, face contre terre, on la retourne, elle est dépecée à vif," raconte le commandant. "Dans son ventre, un enfant à naître qui est encore relié au cordon," décrit-il, bouleversé. "Il a été poignardé et elle a reçu une balle dans le dos," ajoute-t-il.
Nombre d'autres allégations de torture et d'abus sur des civils, dont des viols et des décapitations, allaient suivre.
Rami Gold est parmi un groupe d'habitants du kibboutz qui ont défendu le village avec leurs fusils contre les assaillants du Hamas pendant douze heures, avant que l'armée israélienne n'atteigne le site. "Nous allons rentrer chez nous et tout reconstruire pour que notre vie reprenne ses droits," assure Rami Gold.
Plus d'une centaine d'habitants de Be'eri ont été pris en otage ou portés disparus.
Nous entrons dans l'une des maisons du kibboutz dévastées. Le spectacle y est tout simplement accablant. On ne peut qu'imaginer la manière dont ses occupants ont été arrachés de leurs foyers, alors qu'ils partageaient un moment paisible, pendant un week-end, en famille.
Des familles de disparus dans l'angoisse
Yarden Roman-Gat, qui possède la double nationalité israélienne et allemande, et sa belle-sœur Carmel, font partie des civils disparus à Be'eri.
Depuis la maison des parents de Yarden, près de Tel-Aviv, leurs familles élargies et leurs amis travaillent sans relâche pour les retrouver. Yarden rendait visite à ses beaux-parents à Be'eri avec son mari et leur fille, lorsqu'ils ont été capturés par les assaillants. Ils ont pu s'échapper de la voiture qui les emmenait à Gaza et ont fui dans les bois, sous les tirs de quatre hommes armés du Hamas. La jeune femme a remis l'enfant à son mari, qui a pu s'enfuir. Mais elle n'a pas couru assez vite.
La famille est sans nouvelles de Yarden et de Carmel depuis. La belle-mère de Yarden a elle été tuée par les terroristes.
"Comment dire à un enfant de 3 ans que sa grand-mère a été assassinée par les "méchants" qui sont entrés chez elle ?" interroge le frère de Yarden, Liri Roman. "Elle les a vus, elle comprend," poursuit-il. "J'avais juste peur qu'elle demande : Est-ce qu'ils vont faire la même chose à maman ?" confie-t-il, la gorge serrée.
La famille a appelé l'Allemagne et la communauté internationale à l'aide. "Je ne veux même pas penser à la façon dont ils les traitent, à ce qu'ils leur font," déclare Liri. "Ce sera la nouvelle terreur, ce sera partout dans le monde," met-il en garde avant d'ajouter : "Aujourd'hui, c'est Israël ; mais demain, qui sait ?"
Jérusalem-Est sous tension
Une semaine après le lancement de l'offensive israélienne, le ministère de la Santé du Hamas faisait état de plus de 1 500 morts, près de la moitié étant des enfants et des femmes, et de milliers de blessés dans la bande de Gaza, soumise à des bombardements incessants.
Le grondement de la guerre résonnait en Cisjordanie et à Jérusalem-Est occupée. La sécurité avait été renforcée dans la vieille ville de Jérusalem, où quelque 2 500 policiers et militaires étaient déployés pour les premières prières musulmanes du vendredi depuis le 7 octobre.
L'activité était à l'arrêt et les contrôles de sécurité constants. "La situation est très difficile pour nous dans la vieille ville depuis une semaine à cause de la guerre," nous indique Ali Jaber, résident de Jérusalem-Est. "Ils ont des ordres, un feu vert pour nous tirer dessus et nous frapper," s'indigne-t-il. "Après 17h, il est interdit de sortir de chez nous," dit-il.
Les hommes de moins de 60 ans ne sont pas autorisés dans l'enceinte de la mosquée Al-Aqsa. Les soldats filtrant l'accès sont à cran. Nous assistons à une bousculade où les militaires repoussent une femme avec force. "Vous avez vu de vos yeux comment ils m'ont entravée et m'ont empêchée d'entrer," s'écrie-t-elle. "Ce sont des sauvages !"
Un passant, juif orthodixe, lui lance : "Partez à Ramallah !" La femme rétorque : "Allez-vous en ! C'est mon pays !" L'homme se tourne vers nous. "Elle est notre ennemie ; quand je viens ici, ils me jettent des pierres, ils nous jettent des pierres !" s'emporte-t-il.
"En Europe, vous êtes les prochains !" avertit un Israélien
Pendant ce temps, un exode massif avait commencé dans le nord de la bande de Gaza, après que l'armée israélienne ait donné 24 heures à plus d'un million de personnes pour évacuer vers le sud du territoire contrôlé par le Hamas. Les Nations Unies alertaient le monde qu'une catastrophe humaine sans précédent était en cours.
Les roquettes du Hamas continuaient à pilonner le sud et le centre d'Israël, sous le feu du Hezbollah libanais dans le nord. Plus de 120 000 personnes ailaient être évacuées. Tout le pays était en état d'alerte.
Alors que nous sommes en route pour Tel-Aviv depuis Jérusalem, une alerte au raid aérien retentit. Des voitures se sont arrêtées sur le bord de la route pour que les gens se mettent à l'abri sous un pont.
"Ils ne veulent pas seulement le sud, ils veulent Tel Aviv, Jaffa, Haïfa et tout !" assure alors une femme, sous le pont. "Nous essayons de ne pas faire de mal aux civils, nous leur disons : Partez, sauvez votre vie, fuyez le Hamas, Daesh !" nous dit son mari.
"Et l'Europe, ils ne comprennent pas ça, vous êtes les prochains !" avertit l'homme. "Ils ne s'arrêteront pas en Israël !"
"Personne ne veut se battre ! Tout le monde veut juste survivre !" lance la mère d'une otage
Pour certains en Israël, la politique du gouvernement du Premier ministre Benyamin Netanyahou a contribué à la situation actuelle.
Lors du premier shabbat, jour de repos juif, depuis les attaques du Hamas, des centaines de personnes étaient venues manifester contre le gouvernement devant le ministère israélien de la défense à Tel Aviv. Ils s'étaient rassemblés avec les familles des otages, exigeant leur libération immédiate.
"Ramenez-les !" lancent alors des manifestants, en brandissant des photos de leurs proches. Parmi eux, Shira Elbag: "Ma fille Liri__a été kidnappée, en pyjama tôt le matin, et emmenée à Gaza et je veux qu'elle revienne maintenant !"s'écrie-t-elle.
"Elle était dans une base militaire, elle a 18 ans, mais elle ne veut pas se battre," insiste Shira. "Je crois qu'à Gaza aussi, ils ne veulent pas se battre," estime-t-elle. "Personne ne veut se battre ! Tout le monde veut juste vivre !"
Ronit Chitayat Kashi, militante des droits de l'homme, s'indigne. "Le fait qu'ils déshumanisent tous les habitants de Gaza et tous les Palestiniens, en fin de compte, va se retourner contre les Israéliens," prévient-elle. "La cause de tout cela, c'est cette spirale interminable de vengeance ; être contre le Hamas ne signifie pas qu'il faille tuer un seul enfant à Gaza !" insiste-t-elle.
"Quand il s'agit du peuple palestinien, les droits de l'homme n'existent plus ?" s'interroge-t-on à Ramallah
Alors que le décompte des morts continuait d'augmenter dans la bande de Gaza, la colère et l'angoisse des Palestiniens de Cisjordanie ne cessait de croître. Beaucoup pleuraient la perte de leurs proches à Gaza.
Dans un quartier tranquille de la ville de Ramallah, Eman Radwan et son mari étaient en deuil, accablés par la nouvelles reçue de Gaza quelques jours plus tôt, après que la maison familiale d'Eman a été bombardée.
La directrice du Centre de Genève pour la gouvernance du secteur de la sécurité (DCAF) à Ramallah a perdu son frère âgé de 38 ans, sa mère qui avait 75 ans et son père âgé de 82 ans. "Ma mère a été trouvée sans mains, sans jambes, sans tête," confie-t-elle, choquée.
"Je travaille sur la question des droits de l'homme depuis 27 ou peut-être 28 ans, je croyais vraiment aux droits de l'homme," poursuit-elle. "Mais quand il s'agit du peuple palestinien, des citoyens, des enfants, ce concept n'existe plus ?" interpelle-t-elle.
"Quel est le taux de change de notre sang, combien doit être versé jusqu'à ce qu'ils soient satisfaits ?" lance son mari, Abbas Milhem, directeur de l'Union des agriculteurs palestiniens. "C'est un nettoyage ethnique, une extermination, un génocide !" tonne-t-il.
"La source de tous les problèmes, c'est l'occupation," poursuit-il. "Personne ne soutient l'assassinat de civils dans cette guerre, mais depuis 57 ans, nous sommes tués, des enfants, des familles, des civils, des personnes âgées, en Cisjordanie et à Gaza, jour après jour, constamment, et personne ne s’attache vraiment à mettre fin à cette situation, qui est l'origine de tout !"
Des civils juifs de Cisjordanie se forment à l'autodéfense
La violence se propageait en Cisjordanie, où des centaines de Palestiniens étaient arrêtés.
Selon les Nations Unies, plus de 50 Palestiniens avaient été tués dans des affrontements avec l'armée israélienne ou avec des colons, en l'espace de dix jours. Un chiffre qui fera plus que tripler au cours des semaines suivantes.
La ville de Beitar Illit, à quelques kilomètres au sud de Jérusalem, est l'une des plus importantes du bloc de colonies juives de Gush Etzion. Elle abrite quelque 70 000 personnes. La crainte d'attaques en provenance des villages palestiniens voisins était forte au sein de la population, après qu'une roquette du Hamas tirée depuis Gaza a frappé la ville, le 9 octobre.
Les habitants saluaient la décision du gouvernement israélien de fournir gratuitement 10 000 armes aux colons de Cisjordanie et d'assouplir les règles relatives aux permis de port d'armes. La municipalité avait organisé des programmes de formation à l'autodéfense.
Les ventes d'armes à feu atteignaient un niveau record depuis l'attaque du Hamas du 7 octobre, comme dans cette armurerie située dans le plus grand centre d'entraînement à l'autodéfense d'Israël, près de Beitar Illit.
Des dizaines de civils venaient également s'entraîner au stand de tir du centre. Beaucoup d'entre eux n'avaient encore jamais manié une arme, comme Kalanit.
"En tant que secouriste, ma priorité avant tout, c'est de sauver des vies et je ne veux faire de mal à personne, mais parfois, on n'a pas le choix, c'est soit tuer, soit être tué et c'est horrible," soupire-t-elle. "J'espère ne jamais, jamais, avoir besoin d'utiliser mon arme."
"Nous, les citoyens palestiniens d'Israël, sommes dans une situation très délicate"
Dans les villes mixtes d'Israël, les communautés sont plus divisées que jamais. La liberté de mouvement et d'expression est restreinte pour les deux millions de Palestiniens ayant la citoyenneté israélienne, comme dans l'une des villes mixtes proches de Tel Aviv : Lod pour les Israéliens, Lydd, pour les Palestiniens.
Ceux qui se nomment les citoyens palestiniens d'Israël et que les Juifs appellent les Arabes israéliens, représentent 20% de la population d'Israël. Beaucoup craignent de s'exprimer, et ont le sentiment que leur sort est plus que jamais compromis.
Ghassan Monayer est un militant des droits de l'homme et un travailleur social. Il est l'un des rares citoyens palestiniens d'Israël à Lydd à avoir accepté de nous parler. "Les gens ont peur, j'ai peur," confie-t-il. "Ils arrêtent beaucoup de jeunes hommes et ils ont arrêté à Lydd, une femme de 73 ans pour avoir posté un extrait du Coran ou quelque chose comme ça," raconte-t-il.
"Nous, les citoyens palestiniens d'Israël, sommes dans une situation très, très délicate parce que nous voyons les deux côtés, nous entendons les deux côtés," poursuit Ghassan. "En Israël, nous savons, nous reconnaissons que des innocents ont été tués et nous sommes contre cela," affirme-t-il. "Mais il y a 2,2 millions de personnes à Gaza et ils ont besoin d'espoir et de libération, ils ne peuvent pas vivre dans une cage," souligne-t-il. "Et vous, les Européens, vous les regardez depuis 70 ans sans rien faire," dénonce-t-il.
"Maintenant, vous reprochez à un petit groupe d'entre eux d'être à l'origine de cette horreur et de ces crimes - et il s'agit bien de crimes -, mais tout le monde est en train de payer pour ce crime," s'insurge-t-il.
"Il faut une solution politique"
Parler avec nous, c'est aussi un risque pour Maha Nakib, une militante des droits des femmes que nous rencontrons près d'un mur séparant un quartier arabe d'un quartier juif à Lod. "Le mur de séparation ne se trouve pas seulement en Cisjordanie ; à l'intérieur d'Israël, il y a un apartheid évident," décrit-elle.
Le mari de Maha a perdu 20 membres de sa famille, tués dans les bombardements à Gaza. "Il y a trois générations et une seule personne de cette famille est restée en vie," explique-t-elle. "Je suis sûre que cette personne ne pourra jamais aimer Israël ou le peuple juif. Nous sommes maintenant dans une spirale de haine et de guerre, avec toujours de plus de morts et toujours plus de guerres" , dit-elle, d'une voix brisée.
"Nous devons arrêter cela, nous avons besoin d'une vraie solution pour deux peuples, je me moque de savoir s'il s'agira d'une solution à deux États ou d'un seul, égal pour tous, mais il faut que ce soit une solution politique," assure-t-elle.
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Une solution à laquelle Chani Luz, une militante juive orthodoxe, ne croit pas. Les relations entre les communautés, dans son quartier, ont été durement touchées par les violences qui ont éclaté à Lod et dans d'autres villes mixtes d'Israël en mai 2021, dit-elle. Et le peu de confiance restaurée depuis a été anéantie par les attentats du 7 octobre.
"Le pogrom que nous avons connu au cœur du pays nous rappelle des scènes et des souvenirs de l'Holocauste," dénonce la militante. "On ne peut pas vivre avec une société dont le slogan est la mort ; la mort pour les Juifs n'est pas quelque chose qu'un Juif peut accepter," s'indigne-t-elle.
"Maintenant, je vous demande, et j'ai demandé aux personnes qui ont financé Gaza et qui ont donné tout cet argent à Gaza ce qu'est advenu de leur argent," dit-elle. "Il a été acheminé sous terre, pour construire des tunnels, pour détruire Israël," dénonce-t-elle. "Ils veulent tuer, anéantir les Juifs ; si vous lisez ce que dit la charte du Hamas, c’est écrit noir sur blanc, ils le disent au monde entier," déclare-t-elle. "Rien ne justifie la terreur et les horribles atrocités qu'ils ont commises et nous ne pouvons pas continuer à vivre avec eux comme voisins," renchérit-elle.
"Alors s' il vous plaît, nations arabes, accueillez vos frères, vous avez Gaza," appelle-t-elle. "Si vous avez vraiment peur qu'ils soient tués par les Juifs et si vous vous souciez des Arabes, de vos frères arabes, ouvrez vos portes et accueillez-les!"
Au moment de la diffusion de notre reportage, l'offensive aérienne et terrestre d'Israël sur Gaza montait en puissance. Le ministère de la Santé du Hamas déclarait que plus de 10 000 Palestiniens avaient été tués, dont au moins 4 000 enfants. Exigeant la libération sans conditions de tous les otages, Israël rejetait les appels internationaux de plus en plus nombreux à une trêve humanitaire. Pendant ce temps, la milice libanaise du Hezbollah et l'armée israélienne continuaient à échanger des tirs le long de la frontière commune aux deux pays, laissant le monde dans la crainte d'un conflit régional.