Les grandes écoles : la fabrique des imitateurs

Près d'une étudiante sur quatre à Polytechnique a été victime d'agression sexuelle. Une enquête a été ouverte.
Benoit Tessier via Reuters Près d'une étudiante sur quatre à Polytechnique a été victime d'agression sexuelle. Une enquête a été ouverte.

Benoit Tessier via Reuters

Polytechnique : grande intelligence en tout, ils feront globalement comme les autres, n’apporteront pas grand-chose à l’humanité, pas grand-chose pour l’écologie, pour lutter contre la pauvreté, pour venir en aide à leurs semblables.

ENSEIGNEMENT - En cette période de rentrée scolaire, peut-être convient-il de revenir sur un point essentiel des études. On critique la baisse du niveau des élèves, voire des étudiants, en soulignant le désastre de la chute des connaissances en français et en mathématique, entre autres. C’est possible, même certain. Alors faisons une distinction entre les élèves considérés comme brillants et ceux dont le niveau s’affaisse.

Qu’est-ce qu’un élève et un étudiant au niveau élevé ? C’est un élève qui participe globalement à la reproduction sociale et économique, autrement dit qui sait parfaitement imiter.

Qui sont celles et ceux qui font des études considérées comme brillantes ?

« Les grands écoliers » 

Grandes écoles de commerce : ils vont, pour la plupart, faire de l’argent et suivre brillamment les règles du système capitaliste. Directeurs commerciaux, PDG, ils vont s’assurer que les exigences économiques soient bien respectées. Très brillants pour imiter leurs prédécesseurs. Leur vocabulaire tournera autour de quelques termes récurrents : chiffre d’affaires, bénéfices, vente, etc. Ils croiront que le « réalisme » dans la vie consiste à obéir au marché financier et que les « dieux » sont les investisseurs.

L’ENA, école prestigieuse qui ne veut que des élèves d’une haute intelligence, ne produit globalement que des bureaucrates issus de la même classe sociale, qui pensent en gros la même chose, qui ont le même vocabulaire, les mêmes désirs ; ils pensent, si l’on peut dire, à bien reproduire leur système de compréhension du monde, basé sur un « réalisme » qui manque de la moitié du monde, autrement dit de la vie quotidienne. Ils ont des cadres de compréhension préformés. Ils fréquentent les mêmes personnes, vont dans les mêmes soirées, parlent des mêmes sujets et veulent en gros la même carrière. Niveau d’imitation très élevé.

Polytechnique : grande intelligence en tout, ils feront globalement comme les autres, n’apporteront pas grand-chose à l’humanité, pas grand-chose pour l’écologie, pour lutter contre la pauvreté, pour venir en aide à leurs semblables. Ils feront de grandes carrières, seront de hauts fonctionnaires reproducteurs, etc. Bien sûr il y a des exceptions, comme pour les autres, mais l’exception veut bien dire ce qu’elle veut dire. Ils reproduisent comme les autres. Ils imitent.

Si l’on recense les études que l’on dit prestigieuses, on constate que ce prestige mène généralement à la reproduction des structures.

Écoles normales supérieures : ils sont exceptionnels, c’est vrai, car ils savent faire des dissertations superbes très vite, des équations à mille inconnus en un temps record, etc. Ce sont eux, entre autres, qui enseignent à nos élèves dont on remarque une baisse de niveau. On peut se questionner.

Écoles d’ingénieurs : pour la plupart ils vont penser des techniques qui n’auront aucun impact direct sur le bien-être de l’humanité : faire de jolis smartphones sophistiqués, des écrans plats, avoir du wifi dans les avions, enrichir les grandes industries polluantes. Produire un portable qui fasse télévision, couteau, tire-bouchon, trottinette en même temps, c’est très brillant.

Certains de ces « grands écoliers » feront de la politique classique, bien traditionnelle, imitateur de leurs aînés avec un grand talent pour la démagogie, le mensonge, les privilèges, les débats stériles, les ego surdimensionnés, etc. Reproduction des sophismes. Rien de nouveau sous le soleil. Est-ce cela être brillant ?

Force est de constater qu’aucun n’a empêché la paupérisation, la déliquescence de notre système de santé, les crises économiques, la dépendance envers des dictatures, le réchauffement climatique, etc.

Être « brillant » : reproduire un schéma

Être « brillant », c’est savoir faire de bonnes équations en sachant bien appliquer les règles. Une bonne dissertation avec un plan en trois parties. Bien réciter sa poésie, savoir passer un grand oral avec une culture issue du bachotage, trouver de bons jeux de mots dans des débats stériles. Cela est tout à fait insuffisant pour être authentiquement brillant.

Et toutes ces « têtes pensantes » continuent leur imitation dans leur vie : ils vivent globalement dans les mêmes quartiers, ont globalement les mêmes maisons, les mêmes meubles, les mêmes voitures, les mêmes costumes, les mêmes croyances, les mêmes divertissements et se croient cultivés parce qu’ils ont une culture générale reproduite et imitée. Ils devraient au moins lire Pierre Bourdieu et Jean-Jacques Rousseau. Un peu Michel Foucault.

Alors quand on considère que le niveau baisse, on serait tenté de leur proposer de poser le regard sur ce qu’on appelle être brillant. Parce qu’ils ne sont pas responsables de cela, ou du moins pas totalement, nous sommes tous emportés par l’imitation. Dans les mêmes pays on a globalement la même religion, la même manière de penser, les mêmes habitudes. On imite, on reproduit.

Mais eux, considérés comme brillants, devraient s’en rendre compte. Si c’est le cas et qu’ils n’en ont cure, c’est encore plus grave.

Être brillant, n’est-ce pas le propre d’une pensée qui s’élargit un peu, par exemple, pour percevoir la catastrophe climatique qui nous menace, la nature qui va se débarrasser de nous dans peu de temps, la ploutocratie (notre système fondé sur l’argent) qui s’effondre, la mondialisation économique dont on nous fait croire qu’il est impossible de faire autrement, et qui mène au désastre ; percevoir qu’on fait croire au pauvre que son ennemi c’est le pauvre, comme lui ; percevoir qu’une partie de l’humanité se fiche de savoir si nous sommes bien classés dans les hiérarchies universitaires ou si nos « grands écoliers » sont brillants, tout simplement parce qu’ils veulent survivre, et qu’ils survivront légitimement là où ils pourront ; percevoir que les espèces disparaissent et que l’être humain est la seule espèce qui se fera, peut-être, disparaître elle-même, etc.

Être brillant authentiquement c’est acquérir une culture, non pour briller, mais pour se transformer soi-même, élargir son regard sur le monde, bousculer sa compréhension parcellaire, « expatrier » son intelligence, appréhender autrui comme un autre soi-même, saisir autant que faire se peut les infinies nuances de la réalité humaine…

On dira que cet article est une caricature. Oui, certainement, en ce sens où la caricature souligne en exagérant des traits non moins présents.

Parcoursup : la reproduction des imitateurs

L’idée catastrophique qui renforce la brillance imitatrice est celle de Parcoursup. Voilà une belle ineptie. Quel en est le principe ? Avoir un bon dossier.

À seize ans à peine on oriente la vie de jeunes dans cette « brillance » en leur interdisant des possibilités d’études parce qu’ils ne sont pas assez « intelligents », donc pas assez imitateurs, pas assez au service d’une société de la performance stérile qui va former, non des êtres cultivés qui vont œuvrer pour leurs semblables et pour le monde dans lequel ils vivent, mais qui va produire des êtres performants, producteurs et consommateurs.

L’idéal de l’université était l’accès à toutes les cultures pour tout le monde.

Aujourd’hui c’est la fermeture pour soi-disant produire des élites dont le destin est la reproduction des cadres, et donc l’imitation.

Si c’est cela être brillant, il vaut mieux rester dans l’ombre…

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