Grève du 31 janvier : ils sont contre la réforme des retraites mais ne vont pas manifester

Pourquoi ne pas aller manifester lorsqu’on est contre la réforme des retraites ? C’est la question que « Le HuffPost » a posée à ses lecteurs. Des raisons financières, professionnelles ou physiques expliquent leur absence des cortèges du 31 janvier.

REFORME DES RETRAITES - Combien seront-ils dans les rues de France ce mardi 31 janvier ? Alors que la première mobilisation contre la réforme des retraites le 19 janvier a été un succès, c’est la question que tout le monde se pose en cette deuxième journée de grève organisée par les syndicats.

Le nombre de personnes mobilisées ce mardi sera évidemment attendu et scruté, tant par le gouvernement que par les opposants à la réforme, et comparé à celui du premier round : 1,12 million de manifestants selon le ministère de l’Intérieur, 2 millions selon la CGT.

Mais ces chiffres ne disent pas tout du mécontentement des Français envers cette réforme, car ils ne prennent pas en compte la catégorie suivante : les Français opposés à ce projet d’Emmanuel Macron mais qui ne vont pas manifester. C’est à eux que Le HuffPost s’est intéressé en lançant un appel à témoignages pour comprendre ce qui peut être pris pour un paradoxe : pourquoi ne pas aller gonfler le rang des cortèges si on est contre la réforme des retraites ?

Travailleurs précaires, retraités, cadres, des hommes en grande majorité... Ils sont nombreux à nous avoir répondu. Certains évoquent leurs difficultés financières qui les dissuadent de faire grève. D’autres se justifient par la pression de leur entreprise et leurs obligations salariales quand certains n’ont même pas la capacité physique de se rendre sur place. Même s’ils sont directement concernés.

« Une journée de travail en moins coûte cher »

Ce n’est pourtant pas l’envie qui leur manque. « Je suis contre la réforme. Travailler plus longtemps, c’est nous demander toujours plus. Quels sont les efforts de ceux qui gagnent toujours plus depuis des décennies ? » Se demande Yann, un conseiller à la MSA (Mutualité sociale agricole) qui ne suivra pas la grève car son salaire ne lui permet pas - il touche 1 450 euros.

« Je ne peux pas me permettre de perdre une journée de salaire. J’ai pris une heure de grève pour aller manifester le 19 janvier, mais une journée complète, ce n’est pas possible » continue-t-il avant d’estimer : « Le salaire décent, c’est 1 760 €. Travailler au quotidien pour cette somme pendant 42-43 ans, c’est un calcul au quotidien, une usure intellectuelle, une vie de choix… On aspire au repos. »

Le problème est le même pour Laurence, une professeure des écoles en Normandie : « Un jour de travail en moins coûte cher. » Elle est aussi opposée à la retraite à 64 ans : « On ne l’envisage pas au niveau physique. Ce n’est pas souhaitable pour des jeunes enfants d’être avec des personnes plus fatigués, qui ont moins de patience. J’ai adoré mon métier mais je me sens épuisée nerveusement. »

Rajoutez à cela le contexte actuel d’inflation… « Je ne peux pas me permettre d’acheter du gazole pour me rendre à la manif la plus proche » nous glisse Philippe*, habitant de la Drôme sans emploi depuis deux ans qui vit grâce à l’Allocation Spécifique de Solidarité. Lui et son entourage se disent tous solidaires du mouvement contre la réforme : « Paysans, bûcherons et autres métiers pénibles sont unanimes et regrettent même la retraite à 60 ans ».

La pression des entreprises

Pour Erwan*, la retraite à 64 ans n’est pas non plus envisageable… Pour une autre raison : « J’ai commencé à travailler tard, je suis sûr de partir après 64 ans. Ce qui ne m’empêche pas d’être contre cette réforme incroyablement injuste. » Mais il ne pourra pas non plus faire grève. La raison ? Il est en période d’essai « dans une entreprise non française où personne ne fait grève ou presque pas » et ne souhaite pas prendre le risque de voir son contrat prendre fin.

« Ça me tue de voir une si forte mobilisation sans y participer. Sans cette période d’essai, je n’hésiterai pas une seconde à participer aux manifestations chaque semaine », assure celui qui espère « voir un jour une grande manifestation unie durant le week-end pour permettre à ceux qui comme moi ne peuvent pas faire grève d’exprimer aussi leur mécontentement ». C’est d’ailleurs ce qu’a réclamé récemment Jean-Luc Mélenchon rappelant aux syndicats « que pendant la semaine, ne peuvent entrer dans l’action, par la grève, que ceux qui sont au travail. Ce qui n’est pas toujours simple pour eux ».

Justin* ne pourra pas non plus se rendre à la manifestation à cause de sa situation dans son entreprise. Cette dernière a récemment décidé de se séparer de lui… Mais il espère encore obtenir un licenciement économique au lieu d’une rupture conventionnelle - comme son entreprise lui propose. « Je suis un peu obligé de rester » nous dit celui qui « adorerait être dans le cortège du 31 janvier ».

Plus la capacité physique

D’autres aussi adoreraient y être. Mais ils n’en ont plus la capacité physique. « Je souffre de tremblements et je ne peux pas aller manifester », confit Bruno, sexagénaire à la retraite depuis 2019 mais qui ne peut pas en profiter pleinement. « Je suis tombé malade à 64 ans ! Avec un départ à 64 ans, cela laisse peu de temps pour profiter de la vie en bonne santé. Après une vie de labeur et de cotisations, c’est faible », proteste-t-il.

En France, selon l’INSEE, l’espérance de vie en bonne santé est fixée à 64,4 ans pour un homme et à 65,9 ans pour une femme - la durée de vie moyenne sans limitation irréversible d’activité dans la vie quotidienne ni incapacités. Cet argument est utilisé par les opposants au départ à la retraite à 64 ans.

« J’espère être à la retraite au plus tôt, afin de n’avoir qu’une chose à faire : m’occuper de moi afin de me préserver au mieux. Et si ce doit être à 64 ans, ce sera alors à la petite cuillère », nous confie Robert*, un travailleur handicapé de 57 ans qui souffre de spondylarthrite, une inflammation chronique des articulations. Il n’ira pas manifester car il n’en a « pas la capacité physique ».

Peter, aujourd’hui octogénaire, a aussi eu de graves problèmes de santé dès ses 58 ans : « J’ai été en arrêt maladie pendant 3 mois. Au cours des 3 années suivantes j’ai dû être anesthésié 6 ou 7 fois », témoigne celui qui a bénéficié de la retraite à 60 ans. Il s’estime « trop vieux » pour se rendre dans le cortège, alors qu’il se déplace difficilement. Mais il sera de « tout cœur avec les manifestants. »

La peur des manifestations

Autre frein pour ceux qui souhaitent se rendre dans le cortège du 31 janvier : la peur des manifestations. Adrien « n’a pas envie de finir borgne ou émasculé ». Cet ingénieur informatique de 38 ans, qui dit avoir toujours manifesté, ne s’y sentirait plus en sécurité. Il dénonce : « Les policiers nous ont montré qu’ils utilisent sans frein les matraques, les flash-balls, les gaz, les grenades de désencerclement et j’en passe ».

Marc partage le même raisonnement : « Après avoir vu les violences policières de près depuis la crise des gilets jaunes, je ne me sens pas en sécurité et j’ai développé une phobie de la police ». Même son de cloche du côté de Justine qui confesse avoir « la sensation que participer à une manifestation est quelque chose de risqué, que rien ne garantit que je n’en sortirai pas éborgnée ou carrément blessée ».

« Je ne suis sans doute pas la seule (à avoir peur, ndlr), le gouvernement doit bien le savoir et s’en frotter les mains ! » Mais cette mère qui vit seule avec un enfant et un Smic va quand même « essayer de surmonter cette peur pour aller à la prochaine manifestation ».

*Ces prénoms ont été modifiés

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