Yahoo Actualités Sur Gérard Depardieu, « les propos d’Emmanuel Macron ont été indignes » selon Michelle Perrot
VIOLENCES SEXUELLES - « Il rend fier la France. » Deux semaines après la diffusion d’un numéro de Complément d’enquête mettant en cause Gérard Depardieu, Emmanuel Macron a vigoureusement défendu l’acteur - que l’on voit pourtant, dans des images obtenues par l’émission, sexualiser une petite fille et tenir des propos insultants et obscènes envers plusieurs femmes.
Invité de C à vous ce mercredi 20 décembre, le président de la République s’est dit « inattaquable sur la lutte contre les violences faites aux femmes », avant de regretter que « tout le monde tombe » sur Gérard Depardieu (« un immense acteur »), sans qu’il « ait même la possibilité de se défendre ».
Quelques jours plus tôt, la ministre de la Culture, Rima Abdul-Malak, annonçait le lancement d’une « procédure disciplinaire » à l’encontre de l’acteur, visé par trois plaintes pour viol, pour décider si sa Légion d’honneur devait lui être retirée. Une annonce qui n’a visiblement pas plu au chef de l’État, qui a estimé dans C à vous que sa ministre s’était « un peu trop » avancée. « La Légion d’honneur est un ordre qui n’est pas là pour faire la morale », a-t-il précisé.
Pour revenir sur la défense de Gérard Depardieu d’Emmanuel Macron et ses propos sur la Légion d’honneur, Le HuffPost a parlé à l’historienne Michelle Perrot. La spécialiste de l’Histoire des femmes se dit « scandalisée » et estime que le président s’est « droitisé », notamment sur la question des femmes.
Le HuffPost. Qu’avez-vous pensé des propos d’Emmanuel Macron sur l’affaire Depardieu ?
Michelle Perrot. J’ai été très, très choquée, voire scandalisée, par les propos d’Emmanuel Macron. Je trouve que c’est indigne. Oui, on a le droit à la présomption d’innocence en ce qui concerne les viols, il faut laisser la justice faire son travail. Mais il y a eu des témoignages quand même importants. Et il y a eu des paroles publiques de Gérard Depardieu, qui ont été diffusées et qui étaient véritablement indignes.
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J’ai regretté que le président de la République ne dise pas, au moins, « c’est un grand acteur, mais il s’est comporté en homme lamentable ». Qu’il n’émette pas une réserve, voire une condamnation, sur les propos qu’il a tenus me paraît incroyable.
Le Président a aussi affirmé que « la Légion d’honneur est un ordre qui n’est pas là pour faire la morale ». Vous pensez quoi d’une telle déclaration ?
La Légion d’honneur a des règles et c’est à la Légion d’honneur de les appliquer, ce n’est pas à moi de dire « il ne faut plus qu’un tel soit dans la Légion d’honneur ». Ceci étant, la Légion d’honneur récompense des mérites publics et, surtout à l’époque où elle a été fondée, il est vrai qu’on ne s’occupait pas de la vie privée. Donc, quand le Président dit « je ne suis pas là pour faire la morale », ça dépend du sens qu’il donne à « morale ».
Car, certes, la Légion d’honneur ne s’occupait pas de la morale privée, mais notre notion de la morale a beaucoup évolué. Notamment, parce que nous, les femmes, nous sommes battues pour que, justement, l’État intervienne sur des choses qui étaient considérées comme privées : les mauvais traitements, les injures… On peut aussi réfléchir en ces termes à propos de la Légion d’honneur.
L’un des deux critères d’attribution de la Légion d’honneur est « l’honorabilité », qui se définit comme le fait d’avoir un casier judiciaire vierge, mais aussi une « bonne moralité ». Mais « une bonne moralité » reste un concept assez flou, non ?
C’est flou et dangereux, car la question de la morale pose problème. C’est un terrain où on peut tous se faire piéger. Il pourrait y avoir des gens beaucoup plus à droite qui se serviraient de ces critères de moralité contre des valeurs de liberté. J’appartiens à une génération qui a combattu pour libérer la morale des diktats qui pesaient sur elle, y compris dans le domaine de la sexualité. La sexualité, c’est libre, l’homosexualité, c’est libre, etc. Les frontières de la morale sont difficiles parce qu’elles se déplacent. Il ne faut pas trop mettre la morale en avant tout le temps, parce que c’est réversible et que ça peut se retourner contre les libertés.
Mais dans le cas de Depardieu, je pense que ce n’est pas une question de morale, mais une question de droits des femmes. Les femmes ont conquis leurs droits. Gérard Depardieu, par son attitude, bafoue les droits des femmes, et on peut se poser la question, est-ce que c’est honorable qu’un homme qui a la Légion d’honneur bafoue des droits reconnus aux femmes ?
En 2017, Emmanuel Macron annonçait avoir engagé des démarches pour retirer sa Légion d’honneur à Harvey Weinstein, en pleine affaire MeToo. Le Président semblait donc, à l’époque, considérer une affaire de violences sexuelles comme légitime pour remettre en question cette distinction. Qu’est ce qui a changé, selon vous, entre l’Affaire Weinstein et l’Affaire Depardieu ?
Je pense que le président de la République s’est droitisé. C’est ce que l’on voit aussi sur la loi sur l’immigration, elle comporte des quantités d’aspects de droite. Toutes ces choses vont un peu ensemble, il me semble. Il y a une espèce d’évolution en ce sens, il se raidit et se droitise dans tous les domaines, aussi bien pour les étrangers que pour les femmes.
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