Gérald Darmanin, la semaine où le ministre de l’Intérieur a touché les limites de la surexposition

Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin photographié à l’Assemblée nationale mardi 17 octobre (illustration).
JULIEN DE ROSA / AFP Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin photographié à l’Assemblée nationale mardi 17 octobre (illustration).

POLITIQUE - Le pays est en alerte. Après l’attentat commis à Arras vendredi 13 octobre, et les répercussions nationales de l’attaque terroriste commise par le Hamas sur Israël, la société est sous tension. Des aéroports et des établissements scolaires sont évacués à la moindre alerte, et le débat politique s’envenime. Dans ce contexte, Gérald Darmanin, qui a fait de l’occupation du terrain médiatique sa spécialité, a vécu des jours plutôt compliqués.

Lundi 16 octobre, le ministre de l’Intérieur a une journée chargée. Elle commence par une réunion de sécurité organisée à l’Élysée, qui se termine par une allocution aux accents martiaux. Il annonce que 193 étrangers inscrits au fichier des personnes radicalisées sont en voie d’expulsion, alors que Les Républicains et le Rassemblement national reprochent à l’exécutif de ne pas avoir expulsé Mohammed M., terroriste qui a tué Dominique Bernard.

Soucieux de se montrer intraitable sur le sujet, alors qu’il entend justement utiliser l’attentat d’Arras pour durcir son projet de loi immigration, Gérald Darmanin prend le soir la direction du plateau de Pascal Praud sur CNews, chaîne préférée de l’extrême droite. À l’antenne, il va balancer une petite bombe comme les affectionne le média de Vincent Bolloré : le footballeur Karim Benzema aurait des « liens notoires » avec les Frères musulmans.

Fidèle à son style

La sortie passe inaperçue. Du moins en France. De l’autre côté des Pyrénées, où l’attaquant tricolore a marqué les esprits avec son brillant passage au Real Madrid, la presse s’émeut : « La France accuse Benzema d’avoir des liens avec le terrorisme ». Car oui, un ministre de l’Intérieur en exercice tenant une telle affirmation, ce n’est pas rien. Mais l’orage épargne (pour un temps seulement) la France.

Mardi 17 octobre, le contexte est toujours aussi éruptif. Et alors que la députée insoumise Danièle Obono répond par l’affirmative à une question désignant le Hamas comme un « mouvement de résistance », Gérald Darmanin saisit la balle au bond. Un signalement au parquet pour « apologie du terrorisme », et un tweet pour le faire savoir. Le ministre, fidèle à son style, semble jouer son rôle.

Le soir même, au Palais des Sports de Créteil, à l’occasion du dîner annuel républicain du Conseil des Communautés Juives du Val-de-Marne, Gérald Darmanin va troquer le ton martial contre celui de la polémique. Ciblant, sans les citer, les élus insoumis, le ministre de l’Intérieur va établir un parallèle étonnant : « La haine du juif et la haine du flic se rejoignent ». L’accusation est grave, puisqu’elle affirme en creux que la gauche verse opportunément dans l’antisémitisme et la haine de police à des fins électorales.

La réaction indignée de la gauche ne se fait pas attendre, et le locataire de la place Beauvau se retrouve dès le lendemain accusé d’instrumentaliser la lutte contre l’antisémitisme. En outre, nombreux sont ceux qui rappellent que les forces de l’ordre continuent de compter dans leurs rangs des agents ayant arboré des signes néonazis. Comme quoi, la « haine du juif » peut aussi très bien se retrouver sous un uniforme.

Soit le début d’un mercredi 18 octobre délicat pour Gérald Darmanin. Car il s’avère que son accusation visant Karim Benzema a réveillé les habituels détracteurs du footballeur, donnant lieu à un festival de surenchère populiste. À l’image de la sénatrice LR des Bouches-du-Rhône qui publie un communiqué flanqué du logo du Sénat réclamant la déchéance de nationalité de l’international français. Rien que ça.

Au HuffPost, l’entourage du ministre dit constater « une lente dérive des prises de position de Karim Benzema vers un islam dur, rigoriste, caractéristique de l’idéologie frériste consistant à diffuser les normes islamiques dans différents espaces de la société, notamment dans le sport ». À l’appui, un « prosélytisme sur les réseaux sociaux autour du culte musulman, comme le jeûne, la prière, le pèlerinage à la Mecque ».

Pas de quoi pour autant faire du footballeur un compagnon des Frères musulmans, d’autant que l’organisation est classée comme terroriste par l’Arabie saoudite, pays où il poursuit sa carrière. En Macronie, cette attaque en règle laisse pantois. « Je ne la comprends pas, je ne sais pas sur quoi elle se fonde et je ne vois aucun intérêt à s’en prendre à cette figure populaire que j’apprécie à titre personnel », déplore au HuffPost Sacha Houlié, président Renaissance de la Commission des Lois à l’Assemblée nationale.

« Il perd totalement son sang-froid »

Alors que l’entourage du joueur dément tout lien et affirme travailler sur des poursuites à l’encontre de Gérald Darmanin, ce dernier va, ce même jour, recevoir une nouvelle encore plus pénible : le Conseil d’État refuse l’interdiction sans distinction des manifestations en soutien des Palestiniens, décrétée par ses soins cinq jours plus tôt. Un camouflet pour le ministre, immédiatement raillé par les oppositions.

Jeudi 19 octobre, le maire LR de Cannes, David Lisnard, prend la parole dans un long billet publié sur Facebook. Il dénonce un « emballement médiatique et politique assez grotesque » concernant un fait divers survenu dans sa ville. Une altercation dans laquelle un homme armé d’un couteau était impliqué, mais qui a été traitée comme un événement à caractère terroriste. En cause, « la tonalité du tweet (très “prompt”) du ministre de l’intérieur », regrette David Lisnard. La veille dans la soirée, Gérald Darmanin avait effectivement publié un message sur cette histoire, qui n’avait rien de terroriste.

En parallèle, la polémique Benzema ne cesse d’enfler. Sur RMC, radio de la France populaire chère à Gérald Darmanin, des figures du ballon rond très suivies dézinguent le ministre à l’antenne. Pour répondre, le ministre va sur le plateau de BFMTV, mais donne l’impression de botter en touche, incapable de livrer le moindre élément probant étayant son accusation. Au contraire, il inverse la charge de la preuve en expliquant qu’il retirera ses propos si Karim Benzema publie un tweet de compassion à l’égard de Dominique Bernard. « On quitte l’État de droit, pour entrer dans l’ère du soupçon. Le signal donné est terrifiant », réagit le premier secrétaire du PS Olivier Faure.

Ce vendredi 20 octobre, et alors que la menace est toujours aussi forte en France, plusieurs responsables de l’opposition accusent Gérald Darmanin d’utiliser Karim Benzema pour faire « diversion ». Un avis que certains partagent dans le camp présidentiel. À l’image de cette parlementaire expérimentée qui finit par lâcher au HuffPost : « Je trouve qu’il s’agite beaucoup et que l’on a l’impression qu’il perd totalement son sang-froid ».

Ironie de l’histoire, Karim Benzema était sacré Ballon d’or il y a un an quasiment jour pour jour. Une récompense qui avait été saluée par Emmanuel Macron, lequel avait tweeté les initiales de l’attaquant - « KB9 »- suivi d’un drapeau tricolore pour le féliciter. Ce qui, si on suit la logique de Gérald Darmanin, pourrait constituer un « lien notoire » entre le chef de l’État et le joueur qu’il incrimine.

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