Comment la génération Manif pour tous a infiltré le jeu politique

Une photo du cortège de la « Manif pour tous »  en avril 2013
Une photo du cortège de la « Manif pour tous » en avril 2013

POLITIQUE - C’était il y a 10 ans. Des drapeaux bleus et roses coloraient les artères de Paris et d’ailleurs, pour s’opposer à l’ouverture d’un nouveau droit pour les couples homosexuels : celui de se marier. Durant plusieurs semaines, les militants hostiles au mariage pour tous battaient le pavé contre la Loi Taubira, menés par Frigide Barjot, ovni politique depuis disparu des radars médiatiques. À cette époque, des poids lourds de la droite, comme Jean-François Copé, Valérie Pécresse ou Laurent Wauquiez, participent à la mobilisation.

En parallèle, d’autres émergent de ce marigot réactionnaire, qui a fourni à plusieurs partis de droite et d’extrême droite des cadres, voire des élus de premier plan. Une génération « Manif pour tous » ayant acquis la certitude qu’un ensemble politique a jailli de ces cortèges parfois radicaux.

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« Une nouvelle génération s’est levée »

Quand il foule le pavé de Paris en 2013, François-Xavier Bellamy, aujourd’hui eurodéputé LR, a 28 ans. Normalien grouillant dans les milieux de droite, le Versaillais est parfois photographié dans les cortèges, ceint de son écharpe d’élu municipal, et participe aux émanations politiques du mouvement, des Veilleurs à Sens Commun. Il n’est pas un militant lambda se limitant à défiler, mais prend le micro pour dispenser son discours philosophique. Sur son blog, il perçoit le potentiel politique de cette foule conservatrice. « Il s’est passé quelque chose d’inédit : face aux fantasmes irresponsables de la génération Bergé,(en référence à l’homme d’affaires Pierre Bergé activement engagé pour le mariage pour tous, ndlr) une nouvelle génération s’est levée », écrit-il en 2013.

Le soir du vote de la loi Taubira le 10 mai de cette année, François-Xavier Bellamy insiste, devant une troupe d’opposants réunie sur la pelouse des Invalides : « Je voudrais vous dire que la véritable politique, au sens le plus beau de ce mot, c’est vous qui la faites ici – c’est vous qui la vivez en ce moment ». Dix ans plus tard, ses camarades de manifestation font le même constat.

« C’est un événement marquant de notre courant idéologique, qui a remué ensemble une sociologie craintive de passer le cap de l’engagement », indiquait récemment au Figaro Charles de Meyer, aujourd’hui assistant parlementaire de l’eurodéputé RN Thierry Mariani qui s’était retrouvé après une manifestation en garde à vue avec Benjamin Blanchard, directeur général de l’association SOS chrétiens d’Orient et habitué du plateau de Radio courtoisie (radio classée à l’extrême droite, ndlr). Dans la galaxie RN, les participants aux cortèges sont très nombreux, malgré la réticence de Marine Le Pen à s’associer au mouvement.

Parmi eux, l’actuel président du Rassemblement national en personne. « J’ai défilé effectivement dans la rue contre ce projet de loi, contre le mariage pour tous, mais plus contre l’ouverture à la PMA et la GPA qu’entraînait ce projet de loi », déclarait en 2018 Jordan Bardella. Il s’apprêtait alors à prendre la tête de liste du RN aux élections européennes. Un scrutin qui l’opposera d’ailleurs à... François-Xavier Bellamy, tête de liste LR.

Des héritiers au RN et Reconquête !

En outre, plusieurs têtes d’affiche lepénistes (comme Louis Aliot ou Marion Maréchal) prenaient part à ces cortèges, mais aussi des jeunes en devenir. Comme le député RN du Gard Nicolas Meizonnet. À l’époque assistant parlementaire de Gilbert Collard, l’élu gardois n’a pas tout à fait trente ans quand il arpente les rues de la capitale aux côtés de l’ex-avocat.

« J’ai le souvenir d’une très bonne ambiance, de centaines de milliers de Français, de familles françaises, qui défilaient pacifiquement au nom de leur sensibilité, de leurs convictions profondes et légitimes. Un mouvement qui hélas a été très largement caricaturé, qualifié injustement de réactionnaire et homophobe », se souvient auprès du HuffPost Nicolas Meizonnet, qui précise avoir participé uniquement à la deuxième manifestation parisienne.

« Pour ma part, toujours dans le respect de la vie intime de chacun, c’est la question de la filiation que le mariage permettait qui me posait des difficultés, et notamment les pratiques qui en découlaient », justifie-t-il aujourd’hui, en citant la PMA pour toutes (depuis adoptée) et la GPA.

Ce n’est pas le seul gardois aux avant-postes. À 25 ans, un jeune militant originaire de Nîmes fait particulièrement parler de lui, et se fait remarquer pour son intense activité sur les réseaux sociaux. C’est Samuel Lafont. Membre du conseil national de l’UMP et du syndicat étudiant UNI, le jeune homme est agressé au couteau en marge d’une manifestation spontanée. Si les faits n’ont aucun lien avec son militantisme, ils sont d’abord interprétés comme tels, embrasant les réseaux sociaux.

Passé par les équipes de François Fillon en 2017, le trentenaire a depuis pris la lumière à l’occasion de la campagne d’Éric Zemmour, pour la présidentielle de 2022. Au point que le candidat d’extrême droite lui a accordé le privilège de s’exprimer sur l’estrade du Trocadéro lors d’un meeting censé relancer sa candidature. Si certaines émanations politiques de la Manif pour tous occupent le devant de la scène, d’autres habitués des cortèges s’affairent en coulisses.

En août 2022, une enquête fouillée de L’Express montrait que le Rassemblement national avait largement puisé dans ce vivier pour satisfaire ses besoins en collaborateurs parlementaires. Comme Emmanuel Le Pargneux, président de l’association La Voix des sans père, travaillant au côté du député du Gard Pierre Meurin. Ou encore Luc Le Garsmeur, collaborateur parlementaire du député de la Haute-Marne Christophe Bentz. Sur son fil Twitter, on trouve encore des vestiges du parfait militant « LMPT ».

À noter que cet héritage divise le Rassemblement national. « Ceux qui ont défilé avec la Manif pour tous l’ont fait par erreur », a déclaré le 25 mars le député RN des Alpes-Maritimes, Bryan Masson. « Quand j’ai participé aux manifestations de la Manif Pour Tous, je n’étais pas en état ’d’errement’, cela n’était pas une ’erreur’ que de défendre mes convictions », lui a sèchement répondu son collègue du Var Frédéric Boccaletti.

Ce dernier n’est pas isolé au sein de la formation lepéniste, puisque plusieurs poids lourds du RN sont toujours catalogués « Manif pour tous », comme la porte-parole du parti Laure Lavalette ou l’influent secrétaire général du groupe RN à l’Assemblée, Renaud Labaye. Preuve s’il en est que les drapeaux roses et bleus continuent de flotter dans la mémoire collective de la droite et de l’extrême droite française.

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