"Il se frottait à moi": le patron du CNC Dominique Boutonnat jugé pour une agression sexuelle sur son filleul

C'est dans un lieu paradisiaque, dans une maison de vacances de l'île grecque de Kos, que se noue l'affaire qui embarrasse depuis près de quatre ans le cinéma français. Dominique Boutonnat, le président du Centre national du cinéma, reconduit en 2022 au cœur de la tempête, va comparaître ce vendredi 14 juin pour des accusations d'agression sexuelle lancées par son filleul, de 30 ans son cadet.

Cet été 2020, la famille de Sacha* est invitée à passer quelques jours chez les Boutonnat sur l'île grecque de Kos. Les deux clans se connaissent bien: Dominique Boutonnat est comme un frère pour la mère du jeune homme, le producteur a d'ailleurs été choisi par ses parents comme parrain. Il passe fréquemment chez eux et les deux familles passent souvent leurs vacances ensemble.

La petite troupe a passé la soirée du 3 août 2020 ensemble. Beaucoup d'alcool a été bu. En fin de soirée, Sacha, tout juste 21 ans, et Dominique Boutonnat, 30 ans de plus, se retrouvent seuls au bord de la piscine. Ils vont y rester une bonne partie de la nuit. Le jeune homme parle du producteur comme "un second père", surtout quand celui-ci a fait son coming out. Un homme à qui il ne "peut rien refuser", comme le confirmera sa mère aux enquêteurs.

Photo nu

Selon son récit de cette nuit, de laquelle il lui reste des troubles anxieux comme le confirme une expertise psychologique, le patron du cinéma français l'incite à boire avant de l'entraîner dans un bain de minuit, nu. Sacha dit avoir, ensuite, été photographié dans le plus simple appareil par son parrain, lui demandant de prendre la pose. Là-dessus, les deux hommes sont d'accord, l'un se dit pourtant mal à l'aise, l'autre disant que c'est le jeune homme qui a demandé à être pris en photo.

Les deux versions divergent ensuite grandement sur la suite de la nuit. Sacha raconte que son parrain l'a enlacé "fortement" au bord de la piscine, lui faisant des compliments. Il évoquera dans sa plainte son malaise. Pour s'échapper de cette ambiance hypersexualisée, le jeune homme dit avoir sommeil et vouloir regagner sa chambre, située au rez-de-chaussée. Dominique Boutonnat le suit. D'abord, selon son récit, il s'est allongé près de lui, avant d'essayer de l'embrasser. "Il s'excitait, respirait de plus en plus fort", témoignera Sacha auprès des enquêteurs. "Il se frotte à moi."

Selon le récit du jeune homme, Dominique Boutonnat est alors nu. Sacha est tétanisé, apeuré. Le producteur l'embrasse à nouveau, puis le masturbe de force, se rapprochant de son anus, il craint une pénétration. Il tente alors de lui imposer une fellation. Le jeune garçon réussit, dit-il, à s'échapper de cette emprise. Mais le lendemain matin, son parrain serait revenu, lui faisant un câlin et l'embrassant à nouveau, alors qu'il sortait de la douche.

"Le mettre à l'aise"

Dominique Boutonnat a une tout autre lecture des faits. Oui, les deux hommes ont beaucoup bu. Il reconnaît avoir échangé des baisers avec son filleul, mais à l'initiative de ce dernier. C'est le jeune homme qui aurait demandé à son parrain de l'embrasser pour lui souhaiter bonne nuit, c'est le jeune homme qui se serait blotti contre lui dans le lit en le caressant, après avoir fermé la porte à clé et lui soufflant qu'on ne pouvait rien contre "l'attirance des corps".

À 7 heures du matin, Dominique Boutonnat dit avoir pu s'extirper de la chambre, tombant nez à nez avec sa femme et lui racontant les événements de la nuit. Si le lendemain il est revenu voir son filleul lui donnant un "smack" dans la salle de bain, c'était d'ailleurs pour lui signifier que les échanges de la nuit ne signifieraient rien.

C'était pour le "mettre à l'aise", évacuant la connotation sexuelle de son geste. Dans un message envoyé par la suite lui intimait de garder secret cette nuit, dans un autre, il semblait assumer la responsabilité de ce qui avait pu se passer.

À ses proches, le producteur influent raconte que Sacha est à l'origine de tout ce qu'il s'est passé, le jeune homme étant amoureux de lui depuis ses 12 ans. Les deux familles rompent tout contact après le dépôt de la plainte en octobre 2020 pour "tentative de viol" par le jeune homme. Pour les experts qu'il a recontrés, cette procédure est le seul moyen de faire "barrage" face aux troubles causés par les faits, mais aussi causés par l'attitude de son parrain rejetant la faute sur lui. Depuis, le jeune homme a perdu 10 kilos et a tenté de se scarifier.

Troubles anxieux

Pourtant, le producteur a effacé de nombreux messages envoyés à Sacha, dont ceux dans lesquels il revient sur cette nuit du 3 au 4 août 2020. Il a également arrêté l'alcool, après une promesse faite à sa femme. À la famille de Sacha, il se lance dans un chantage au suicide ou la menace de représailles si le jeune homme ne retire pas ses accusations. À des proches, il évoque une éventuelle vengeance de la part de son filleul, qui se serait vu refuser ses avances.

La justice a écarté les faits de "tentative de viol", mais considère les faits d'agression sexuelle comme étant suffisamment caractérisés, du fait de l'ascendant du producteur sur son filleul. Les faits "s'analysent, de la part de Dominique Boutonnat, comme une volonté de séduction désinhibée par les effets de l'alcool, la relation entre lui et la partie civile s'analysant comme une relation d'admiration réciproque quasi filiale, concernant la partie civile, ce qui constitue l'élément de contrainte nécessaire à la caractérisation de l'infraction d'agression sexuelle", note le juge d'instruction.

Côté professionnel, Dominique Boutonnat ne semble pas entaché par ces accusations. En juillet 2022, il est reconduit par l'exécutif à la tête du CNC pour un mandat de trois ans. À l'époque, la ministre de la Culture le qualifie de "pionnier sur la lutte contre les violences sexuelles et sexistes". En février dernier, l'actrice Judith Godrèche, devenue figure de proue de la lutte contre les violences sexuelles dans le cinéma, déplorait le maintien du producteur à son poste, "question de symbole". Le gouvernement lui avait alors rappelé que Dominique Boutonnat est présumé innocent.

* Le prénom a été modifié

Article original publié sur BFMTV.com