Le film « L’Événement » sur France 2 rappelle que l’avortement n’est pas une « histoire de femmes »

CINÉMA - Au lendemain du vote de l’inscription de l’IVG dans la Constitution, France 2 diffuse ce mardi 5 mars un film très à propos : L’Événement. Le long-métrage réalisé par Audrey Diwan est l’adaptation du roman éponyme d’Annie Ernaux. Il a valu à sa réalisatrice le prestigieux Lion d’or lors de la Mostra de Venise en novembre 2021. Et pour la première fois, il est diffusé en prime time à la télévision sur une chaîne gratuite à 21h10.

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Le film raconte le parcours du combattant d’une étudiante en lettres (Anamaria Vartolomei) pour avorter dans les années 1960, période de l’histoire française au cours de laquelle l’IVG était illégale. Comme le roman autobiographique dont il est inspiré, le long-métrage aborde un pan de problématiques transversales, comme la liberté des femmes à disposer de leur corps ou la volonté de s’affranchir du déterminisme social – une constante dans l’œuvre d’Annie Ernaux.

C’est un film fort. Pourtant, le financer n’a pas été une mince affaire, comme nous expliquait la cinéaste au moment de la sortie du film, en novembre 2021.

« On m’a opposé des raisons que je comprends, relatait alors Audrey Diwan au HuffPost. C’est seulement mon deuxième film. Je choisis une forme assez radicale. Si on s’en tient à la question de l’avortement clandestin, ça fait peur aux gens qui financent. De plus, les acteurs ne sont pas très connus. »

Devant les premiers refus, la réalisatrice est restée lucide. « J’ai l’impression que certains se sont cachés derrière ces raisons, poursuit la réalisatrice. Je pense, en vérité, que certaines personnes étaient contre l’avortement. » Ça ne l’a pas arrêtée. Au contraire. « Rencontrer ces obstacles nous a déterminés [son producteur Édouard Weil et elle] à faire ce film », ajoute Audrey Diwan.

La réalité d’un chemin

En France, l’IVG est autorisée depuis la promulgation de la loi Veil du 17 janvier 1975, et le Congrès a voté le 4 mars 2024 son inscription dans la Constitution. Dans de nombreux pays à l’étranger, il est interdit. Dans d’autres, il est remis en question. En Pologne, par exemple, le gouvernement durcit depuis plusieurs années ses lois en matière d’accès à l’avortement. Aux États-Unis, la Cour suprême a provoqué un tremblement de terre en révoquant le droit à l’avortement, laissant la possibilité aux États d’adopter leur propre législation et de faire reculer ce droit mois après mois.

Les faits racontés dans L’Événement ont beau être antérieurs, ils résonnent dans l’actualité. La lecture du livre a eu l’effet d’une révélation pour Audrey Diwan. « Le premier choc a été de mesurer la différence qu’il y a entre un avortement comme il se pratique aujourd’hui et un avortement clandestin », confiait-elle. « Comme on a peu de représentations, je faisais partie de ces gens qui s’étaient mal imaginé la réalité de ce chemin, sa dureté, la solitude. »

Adapté d’Annie Ernaux, « L’Événement », sorti en 2021, rappelle que l’avortement n’est pas une « histoire de femmes »
PROKINO Filmverleih GmbH Adapté d’Annie Ernaux, « L’Événement », sorti en 2021, rappelle que l’avortement n’est pas une « histoire de femmes »

Son film le retranscrit. Certaines scènes ne laissent pas la possibilité de détourner le regard. « Je ne vois pas de raison de le faire, estime la cinéaste. J’ai l’impression qu’on interroge la dureté des images qu’à certains endroits et qu’au regard de certains sujets. » Et d’ajouter : « Combien de films de restitution de guerre sont violents et n’épargnent aucuns détails ? De la même manière, on m’a demandé pourquoi faire un film sur l’avortement alors que c’était du passé. C’est la même analogie. Qu’on dise ça la prochaine fois à celui qui propose un film sur la Seconde Guerre mondiale. »

« Les mots, c’est les nerfs du changement »

Jugement, craintes, remarques intrusives, comportements déplacés… L’héroïne affronte le regard de son entourage, de ses amies, des hommes, des médecins et de la société, tout au long du film. Ce regard, « il a évolué », d’après Audrey Diwan, mais il en reste des résidus. L’un d’entre eux est mesurable à une chose, nous dit-elle : le silence et la honte.

Comme Annie Ernaux, la réalisatrice a avorté au cours de sa vie. Le dire, le formuler, « c’est dur », concède-t-elle. Lorsqu’elle s’est rendue au festival de Venise, elle a d’ailleurs hésité à en parler ouvertement, « alors [qu’elle] a travaillé pendant trois ans contre le silence ». « Quelque chose de très insidieux et d’inconscient perdure », observe-t-elle.

La libération de la parole est nécessaire. « Les mentalités changent à partir du moment où l’on pose des mots. Les mots, c’est le nerf du changement », soutient-elle. La question nous concerne toutes et tous.

« Quand on me renvoie que j’ai fait un film de femmes sur un sujet de femmes, j’ai envie de hurler. Il est hors de question que j’acte l’idée que l’avortement est une histoire de femmes. On ne fait pas d’enfant seule, on ne tombe pas enceinte seule. Comme ce n’est pas le cas, je ne suis pas responsable seule du chemin, de cette décision. C’est un sujet qui n’est pas circonscrit à la condition féminine. » L’événement est partagé.

Cette interview a été initialement publiée sur Le HuffPost le 23 novembre 2021, lors de la sortie au cinéma du film L’Événement. Nous rediffusons aujourd’hui sur notre site une version enrichie de cette archive, que nous estimons toujours pertinente sur le plan éditorial.

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