Du festival de Cannes au forum de Davos: un an d'omniprésence médiatique de Volodymyr Zelensky

Emmanuel Macron et Volodymyr Zelensky le 13 décembre 2022 durant le conférence pour la résilience et reconstruction de l'Ukraine à Paris - LUDOVIC MARIN / POOL / AFP
Emmanuel Macron et Volodymyr Zelensky le 13 décembre 2022 durant le conférence pour la résilience et reconstruction de l'Ukraine à Paris - LUDOVIC MARIN / POOL / AFP

"Il a décidé d’être partout." Depuis le début du conflit armé entre l’Ukraine et la Russie le 24 février dernier, Volodymyr Zelensky a multiplié les interventions partout dans le monde, tout en ne quittant que deux fois le territoire ukrainien.

"Le président ukrainien a fait entrer la communication de guerre dans la modernité", estime Alexandre Eyriès, enseignant-chercheur en sciences de l'information et de la communication à l'université de Lorraine, interrogé par BFMTV.com.

"Il a révolutionné la déclaration de chef d’État", estime même le spécialiste.

En un an, Volodymyr Zelensky aura, en tout, prononcé 563 allocutions filmées, d’après un décompte de BFMTV.com, réalisé via le site de la présidence ukrainienne qui répertorie toutes les vidéos de ses interventions.

L’ancien acteur et réalisateur est, dans l’immense majorité des cas, apparu seul à son bureau lors de visioconférences ou filmé en "selfie" devant un mur blanc. Une stratégie novatrice de "l'homme des caméras", analyse Valentyna Dymytrova, maîtresse de conférences en sciences de l'information et de la communication à l'université Lyon 3.

"L'univers de la communication politique a toujours mis en avant l’équipe qui accompagne le président", décrypte la spécialiste. "Volodymyr Zelensky le révolutionne en montrant que l’équipe, c’est lui-même."

Avec près de deux interventions par jour en un an de guerre, l’homme de 45 ans s’est transformé en un "hyperprésident et chef de guerre", d’après Alexandre Eyriès, pour gagner la guerre de la communication. À l'extérieur comme à l'intérieur de ses frontières.

L'instauration d'un "rituel" pour les Ukrainiens

À l'intérieur, tous les soirs depuis le 24 février dernier, Volodymyr Zelensky conclut son allocution quotidienne destinée à son peuple par cette même phrase: "Gloire à l’Ukraine." Il publie une à trois vidéos par jour - toujours vêtu de son t-shirt kaki ou d'un pull noir ou kaki, apparu au début de l'hiver - jusqu'à atteindre un total de 398 discours prononcés pour ses compatriotes.

En un an, il n'aura manqué que trois fois à l’appel, et pour de grandes occasions: en juin pour la candidature de l'Ukraine à l'Union européenne, en décembre pour son déplacement aux États-Unis et en février le jour de ses visites au Royaume-Uni et en France.

Seul face à la caméra, Volodymyr Zelensky s’adresse aux familles à l'heure du dîner, directement sur leur smartphone ou ordinateur, sans passer par les canaux traditionnels de diffusion présidentielle. En totale opposition avec Vladimir Poutine, adepte des cérémonies militaires devant des milliers de personnes.

"En montrant qu’il est dépourvu de moyens, Zelensky se rapproche du peuple", analyse la chercheuse franco-ukrainienne Valentyna Dymytrova pour BFMTV.com.

"Il se place à la même échelle que les Ukrainiens, afin de réduire la distance entre les représentants et le peuple", poursuit la spécialiste. Avec la même temporalité et la même mise en scène, le président instaure ainsi un "rituel politique qui joue un rôle fédérateur: se réunir dans l'effort".

Des parlements aux festivals

Outre les allocutions pour son peuple, Volodymyr Zelensky est intervenu dans un grand nombre de réunions internationales majeures. Assemblée parlementaire de l'OTAN, conférence du G7, forum de Davos… Le président ukrainien aura prononcé pas moins de 165 discours à destination d'une audience internationale - hors déplacements sur place - durant lesquels son apparition est perçue comme un événement.

"Il s'est forgé l'image d'une personnalité publique internationale, ce qui est unique pour l'Ukraine", analyse Valentyna Dymytrova.

Volodymyr Zelensky a, dans un premier temps, ciblé les lieux de pouvoir. Il s'est exprimé dans 34 parlements à travers le monde, dont 14 uniquement en mars, pour demander l'aide financière et militaire des élus de chaque pays. Des discours agrémentés de références historiques propres à chaque nation, comme la mention de la bataille de Verdun devant le Parlement français le 23 mars. À cela s'ajoutent, par exemple, des interventions au Congrès des maires de France ou à une réunion du Medef.

Mais, plus marquant encore, la présidence ukrainienne a tenu à s'inviter dans le salon des familles occidentales en s'exprimant lors d'événements culturels comme les festivals de Cannes et Glastonbury en juin ou les Golden Globes en janvier.

"Dans les régimes démocratiques, on connaît le pouvoir de l'opinion publique. C’est pourquoi il a décidé d'être partout", a poursuivi Valentyna Dymytrova.

Volodymyr Zelensky a continué à être présent où on ne l'attendait pas en s'adressant à 13 communautés étudiantes. Son intervention à Sciences Po le 11 mai dernier avait beaucoup fait parler tant l’exercice est inhabituel pour un président en exercice, surtout quand son pays est en guerre.

Pour le chercheur Alexandre Eyriès, la stratégie était claire: "Il utilise la politique symbolique en faisant un pari sur l'avenir. En responsabilisant les étudiants - et parfois en les culpabilisant - il crée des témoins qui seront la mémoire de la guerre."

Une omniprésence contre-productive?

Avec autant d'interventions, Volodymyr Zelensky en fait-il trop? Des critiques s'élèvent jusque dans son propre pays, a d'ailleurs relevé Valentyna Dymytrova. Ses activités se limiteraient à des discours calibrés, loin de la réalité sur le front. Sur le plan international, son omniprésence médiatique et ses propos répétitifs peuvent aussi agacer certaines personnes, qui estiment que les pays occidentaux viennent déjà assez en aide à l'Ukraine.

Mais les experts s'accordent à dire que le chef d’État ne peut plus changer de stratégie. "Le pire revers serait de ne plus parler de lui", estime Alexandre Eyriès, qui analyse depuis un an sa communication.

"Il a la maîtrise des ondes, il doit la garder. Mais la limite est difficile à trouver, entre trop en faire et tomber dans l’oubli."

"Il n’a pas d’autre choix que de rester visible sur la scène internationale", abonde Valentyna Dymytrova. "Si l'Ukraine ne bénéficie plus de soutien de l'extérieur, elle disparaît." Et pour elle, "après un an de guerre, l'opinion publique ne se lasse pas de la communication mais de la situation".

Article original publié sur BFMTV.com