« Faute de moyens à l’hôpital, nous laissons des mamans en détresse et des futurs bébés en souffrance »

« Aujourd’hui, je ne peux répondre favorablement aux mères qui souhaiteraient une hospitalisation pour des soins plus soutenus  »
« Aujourd’hui, je ne peux répondre favorablement aux mères qui souhaiteraient une hospitalisation pour des soins plus soutenus »

TRIBUNE - Je suis cheffe de service de l’unité mère-bébé de l’hôpital mère-enfant de l’Est parisien et depuis plusieurs mois, faute de personnel, nous ne pouvons plus accueillir de femmes enceintes en demande de soins spécialisés.

Une hospitalisation en unité mère-bébé a vocation à soutenir ces mamans en devenir, dans un lieu sécurisant, grâce à une présence rassurante de sages-femmes 24 heures/24, à des séances de préparation à la naissance, ou encore grâce à de l’haptonomie [technique de communication entre les parents et leur bébé par le toucher, ndlr], et leur permet de préparer l’arrivée de leur bébé plus sereinement. On sait aussi que le bébé en devenir ressent les émotions et le stress de sa mère. Aider la maman permet de prévenir des troubles de développement du bébé, avant même sa naissance.

« Faute de moyens, nous ne pouvons recruter les soignants qui accompagnent au quotidien nos patients »

Il existe en France deux services de soins de suite et de réadaptation (SSR) spécialisés en périnatalogie, un dans les Yvelines, un à Paris - celui où j’exerce, aujourd’hui en danger. La périnatalogie est une discipline consacrée à la prise en charge des mamans et des bébés depuis la période anténatale (la grossesse) jusqu’aux premiers mois de vie du bébé. Ces deux unités mères-bébés accompagnent, en équipe pluridisciplinaire, des femmes enceintes, des mamans, parfois des papas, et leur bébé, lorsqu’une pathologie médicale, une souffrance psychique, une grossesse compliquée ou un accouchement difficile viennent mettre à mal la mise en place d’un lien parent-enfant de qualité.

La grossesse peut en effet être une période de grande vulnérabilité, soit parce qu’elle est compliquée d’un point de vue obstétrical (menace d’accouchement prématuré, antécédent de fausse couche ou mort fœtale in utero…), soit parce qu’elle n’était pas prévue, ou parce qu’elle fait resurgir d’anciens traumatismes enfouis.

Il existe depuis quelques années plusieurs équipes mobiles en périnatalogie qui interviennent dans les maternités et au domicile. Mais lorsque leurs prises en charge ambulatoires ne suffisent plus, aujourd’hui, je ne peux répondre favorablement aux demandes des mères et des équipes qui souhaiteraient une hospitalisation pour des soins plus soutenus.

Sages-femmes et infirmières se font rares, leurs compétences se sont étendues, leurs salaires ont augmenté, à juste titre, et notre budget, calculé par les instances gouvernementales, ne suit pas. Faute de moyens, nous ne pouvons recruter les soignants qui accompagnent au quotidien nos patients. Nous laissons donc des mamans en détresse et des bébés en devenir en souffrance. Les prises en charge après l’accouchement en deviennent plus complexes.

L’avenir de l’hôpital s’annonce sombre et incertain. Qu’en sera-t-il de celui de ces mères, pères, bébés qui n’ont pas pu recevoir des soins adaptés ?

Or une maman, un papa, en difficulté, et plus particulièrement le trouble du lien mère-bébé que cela peut engendrer, ont un impact direct sur le développement de l’enfant, et plus largement sur l’adulte qu’il sera. Dans certains cas de dépression du post-partum par exemple, il arrive qu’une maman, envahie par sa tristesse et ses angoisses, ne soit pas disponible pour son bébé, qui peut présenter des symptômes de retrait relationnel en se réfugiant dans le sommeil ou en s’empêchant d’explorer son environnement.

Dans ces unités mères-bébés sont proposés des ateliers collectifs tels que des groupes de parole, des ateliers théoriques et préventifs autour du bébé (la fièvre, les accidents domestiques, les dangers d’une exposition aux écrans…), un accompagnement autour de l’allaitement, des suivis individuels avec une psychologue, ou encore un relais en cas d’épuisement maternel. Les soins des bébés sont accompagnés par des soignants pour que le parent prenne confiance en ses gestes et capacités parentales. Un accompagnement éducatif, social et juridique est également proposé.

L’hospitalisation permet aux mamans d’être auprès de leurs bébés dans un lieu suffisamment contenant et soutenant pour leur permettre de créer un lien, dans cette période si cruciale et aussi si fragilisante qu’est l’arrivée d’un enfant. Des études scientifiques récentes soulignent que le développement psychique du bébé se fait essentiellement jusqu’à l’âge de 2 ans.
Le gouvernement en a pris conscience puisqu’il a publié en 2020 le rapport des 1 000 premiers jours qui propose plusieurs plans d’actions concrets d’accompagnement des parents, depuis leur projet de grossesse jusqu’aux premières années de vie de leur enfant. Aujourd’hui en 2023, en France, malgré nos connaissances scientifiques sur le sujet, malgré des préconisations gouvernementales récentes, faute de moyens, nous ne pouvons pas soigner correctement des mamans et leurs bébés.

L’avenir de l’hôpital s’annonce sombre et incertain. Qu’en sera-t-il de celui de ces mères, pères, bébés qui n’ont pas pu recevoir des soins adaptés ?

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