Des familles de détenus français en Iran nous racontent ce que la contestation a changé

Sept Français sont détenus en Iran, où un mouvement de contestation a éclaté en septembre (Photo d’illustration : au cours d’une manifestation à Paris en octobre).
GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP Sept Français sont détenus en Iran, où un mouvement de contestation a éclaté en septembre (Photo d’illustration : au cours d’une manifestation à Paris en octobre).

IRAN - Cela fait 43, 32 ou 8 mois qu’ils ont été arrêtés. Ce samedi 28 janvier à 14 heures, les sept Français détenus en Iran seront dans tous les esprits réunis sur le parvis des droits de l’homme, au Trocadéro à Paris, à l’occasion d’un rassemblement « symbolique et pacifique ». Les comités de soutien et proches de trois d’entre eux ont souhaité unir leurs forces pour alerter sur « les conditions de détention inhumaines qui leur sont infligées ».

Selon leur entourage, ces ressortissants français, « pour certains accusés d’espionnage par la République islamique », sont innocents et retenus uniquement pour servir de leviers politiques. Leur sort inquiète, alors que les relations entre Paris et Téhéran sont tendues, et que l’Iran est secoué par un mouvement de protestation depuis la mort le 16 septembre de Mahsa Amini, après son arrestation pour infraction au code vestimentaire iranien.

Cette contestation, la chercheuse franco-iranienne Fariba Adelkhah l’a vue de près. Interpellée en juin 2019 et condamnée à cinq ans de prison pour « atteinte à la sécurité nationale », elle est incarcérée à la prison d’Evin à Téhéran, théâtre d’un incendie et d’affrontements en octobre au terme d’une nouvelle mobilisation. « Elle n’était que spectatrice car cela s’est passé dans l’aile des hommes, mais elle a senti les fumées et les gaz lacrymogènes », raconte Béatrice Hibou, pilier du groupe de soutien français de la détenue, coorganisateur du rassemblement ce samedi. « Il y a eu beaucoup de peur mais aussi beaucoup d’excitation, car c’était un moment où les gens avaient l’espoir, ou la croyance, que cela aboutisse à une révolution ».

Une « intensification du nombre d’otages »

Lorsque le mouvement éclate, au mois de septembre, le contact avec Fariba Adelkhah est plus compliqué. « Je pense que c’était lié aux manifestations et à l’état de tension », suppose Béatrice Hibou, interrogée par Le HuffPost. Puis les contacts ont repris de manière épisodique, avant de retrouver leur rythme d’avant. Mais ces nouvelles n’effacent pas l’inquiétude de cette proche de la chercheuse, qui juge la situation « peu favorable à une libération ». « Il y a de plus en plus de tensions, et on a l’impression que la France est particulièrement ciblée » par l’Iran, regrette-t-elle.

Une impression partagée par Blandine Brière, la sœur de Benjamin Brière. Ce Français de 37 ans avait été arrêté en mai 2020 en possession d’un drone de loisir dans un parc naturel, et condamné à huit ans et huit mois de prison pour « espionnage » et « propagande » contre le régime. « Il est détenu dans des conditions insalubres. En ce moment il fait très froid, alors il fait comme il peut, avec des bouteilles d’eau chaude dans son lit de la prison de Valikabad, à Mashhad, dans le nord-est du pays, décrit-elle au HuffPost. Il s’effondre à chaque fois que je l’ai au téléphone. C’est l’enfer ».

Benjamin Brière a été arrêté en Iran en 2020.
AFP Benjamin Brière a été arrêté en Iran en 2020.

Avec ces manifestations, « le gouvernement français parle encore plus de l’Iran, ce qui peut nous aider », commente-t-elle. « Mais la situation met aussi en exergue les mauvaises relations entre nos deux pays. Et on le remarque avec l’intensification du nombre d’otages », récemment passé de quatre à sept, plus que les autres pays occidentaux.

En l’espace de quelques mois, Paris a annoncé la détention de trois Français supplémentaires. L’un d’eux, le Franco-Irlandais Bernard Phelan, consultant dans le tourisme, a été arrêté en octobre alors que les manifestations secouaient l’Iran. Un autre, Louis Arnaud, un « grand voyageur » de 35 ans, a été arrêté le 28 septembre alors qu’il visitait le pays, comme l’ont révélé ses parents jeudi à l’AFP. L’identité du dernier détenu est gardée confidentielle, tout comme la date de son arrestation.

La contestation dans les rues iraniennes a effectivement souligné les fractures entre l’Iran et l’Europe, et notamment la France, qui a exprimé à plusieurs reprises son soutien aux manifestants et condamné une « répression ». L’ambassadeur de France à Téhéran avait été convoqué au ministère iranien des Affaires étrangères après l’adoption par le palais Bourbon, le 28 novembre, d’une résolution « apportant le soutien de l’Assemblée nationale au mouvement pour la liberté en Iran » et demandant « la libération immédiate des ressortissants français détenus arbitrairement ». La tension est aussi montée d’un cran après la publication le 4 janvier par Charlie Hebdo de caricatures de l’ayatollah Khamenei. Dès le lendemain, Téhéran annonçait la fermeture de l’Institut français de recherche en Iran (Ifri). Et des manifestations continuent de réunir régulièrement des dizaines de personnes devant l’ambassade de France dans la capitale du pays.

L’Iran « sans états d’âme  »

« Le contexte est extrêmement difficile pour des négociateurs européens, reconnaît Béatrice Hibou. Il a toujours été compliqué de trouver des interlocuteurs auprès du pouvoir iranien, fragmenté et multiple. C’est encore plus compliqué désormais car l’émiettement est plus fort et il y a des tensions au niveau du régime. »

La chercheuse franco-iranienne Fariba Adelkhah le 19 septembre 2012.
Sciences Po/AFP/Archives La chercheuse franco-iranienne Fariba Adelkhah le 19 septembre 2012.

« Le mouvement de contestation ne facilite pas la négociation pour les détenus, c’est incontestable, abonde David Rigoulet-Roze, chercheur associé à l’Iris et spécialiste du Moyen-Orient. Car l’Iran est dans une posture de plus en plus intransigeante et sans états d’âme sur sa stratégie des otages, avec un potentiel alourdissement des peines ». Il prend notamment pour exemple le cas d’Olivier Vandecasteele, un travailleur humanitaire belge de 41 ans, arrêté à Téhéran il y a près d’un an et dont l’Iran vient d’annoncer la condamnation à un total de 40 ans de prison pour espionnage. En raison de la confusion des peines, il ne devrait purger que la plus élevée, celle de 12,5 ans.

David Rigoulet-Roze, contacté par Le HuffPost, voit dans ces condamnations lourdes une possible « réponse aux différents trains de sanctions prises par les Européens » (auxquelles l’Iran a riposté, ndlr) contre des dirigeants iraniens et des Gardiens de la révolution, l’armée idéologique de la République islamique, pour la répression des manifestations. « C’est terrible pour ceux qui sont les instruments d’enjeux qui les dépassent et pris dans les méandres de cette diplomatie des otages », estime-t-il.

D’autant plus lorsqu’il est difficile de déterminer pourquoi l’Iran incarcère des étrangers. « Traditionnellement, les détentions servent à demander un échange de prisonniers (comme ce fut le cas avec la Française Clotilde Reiss, libérée en 2010), à apurer un contentieux financier (comme pour l’Irano-Britannique Nazanin Zaghari-Ratcliffe, libérée en mars 2022), ou bien, de manière plus floue, à faire pression sur le pays du ressortissant, explique David Rigoulet-Roze. Là, c’est moins caractérisé », alors que les négociations sur le nucléaire sont par ailleurs au point mort. Comme si le régime souhaitait « se constituer un “vivier” de ressortissants étrangers détenus pour disposer d’un moyen de pression futur ».

De son côté, l’Iran assure que les étrangers sont emprisonnés en vertu de ses lois intérieures, et se dit prêt à des échanges de prisonniers.

Téhéran se sait regardé

« Les dernières actualités nous font vraiment peur », souffle Noémie Kohler, qui organise également le rassemblement ce samedi. Sa sœur, Cécile, enseignante, a été arrêtée en mai 2022 avec son compagnon Jacques Paris alors qu’ils faisaient du tourisme. Elle n’a eu des nouvelles d’elle qu’une seule fois en huit mois, par un appel inattendu (et sous surveillance) de quelques minutes, « un beau matin », celui du dimanche 18 décembre. La jeune femme et sa famille attendent désormais de connaître la date d’un éventuel procès, alors que l’autorité judiciaire iranienne avait assuré fin novembre que Cécile Kohler serait bientôt fixée sur son sort. Dans ce contexte, « on appréhende énormément la peine qui risque de leur tomber dessus, s’inquiète Noémie, jointe par Le HuffPost. On a bien compris que l’Iran se servait des otages pour faire pression, mais ce sont des choses qui nous dépassent complètement. Alors on oscille entre peur, espoir, tristesse et découragement ».

Pour Mahnaz Shirali, sociologue et politologue, spécialiste de l’Iran, les détenus binationaux ou étrangers sont les « boucs émissaires de la République islamique ». Mais même si le pays veut montrer qu’il est « souverain » et « capable de tout », « il est évident que le regard de la communauté internationale, en plein mouvement de contestation, est extrêmement important », indique au HuffPost l’autrice de Fenêtre sur l’Iran. « Aucun pays ne peut vivre dans une situation d’isolement total, pas même l’Iran », qui se sait regardé, ajoute-t-elle.

C’est la singularité du régime iranien : « Ils veulent montrer qu’aucune pression n’a prise sur eux, notamment venant des Européens, même si, paradoxalement, ils sont en réalité très sensibles à l’image qu’ils donnent d’eux-mêmes sur la scène internationale », analyse David Rigoulet-Roze. De l’avis de plusieurs spécialistes d’ailleurs, aussi brutale que soit cette répression (près de 500 morts et des milliers d’arrestations en quatre mois selon l’ONG Iran Human Rights, basée à Oslo), le régime a voulu éviter de reproduire le massacre du « Novembre sanglant » de 2019 contre la hausse des prix du carburant (plus de 300 manifestants tués en quelques jours selon Amnesty). Mais le contrôle des communications reste intense, tout comme la répression judiciaire.

Paris espère que Téhéran saura répondre favorablement à ses demandes, encore répétées cette semaine, pour libérer ces sept détenus que le gouvernement n’hésite pas à qualifier d’« otages d’État ». « La mobilisation des autorités françaises pour obtenir leur libération et soutenir leurs familles et leurs proches dans cette épreuve demeure totale », indique-t-on au quai d’Orsay. La ministre des Affaires étrangères Catherine Colonna a également abordé à Bruxelles la question d’une action coordonnée de l’UE pour une « libération immédiate » de tous les Européens emprisonnés.

Le sort de l’un d’eux, Bernard Phelan, également de nationalité irlandaise, inquiète tout particulièrement sa famille et les autorités. Âgé de 64 ans, souffrant d’une maladie cardiaque et d’une pathologie des os selon les déclarations de sa sœur à l’AFP, il avait entamé une grève de la faim et de la soif début janvier avant de la suspendre au bout de 20 jours. « Il est déterminé et est prêt à recommencer si rien ne bouge », a témoigné Caroline Massé-Phelan, précisant qu’il n’avait reçu aucun soin et était « toujours en danger ». Paris a demandé sa libération pour raisons médicales.

À voir également sur Le HuffPost :

Lire aussi