La face sombre d'Henry Kissinger, absente des hommages officiels

Si Henry Kissinger est salué pour son Nobel de la paix en 1973 lié à son action dans la résolution de la guerre du Viêt Nam, il reste accusé de crimes de guerre.

Henry Kissinger est décédé à l'âge de 100 ans. De nombreux responsables politiques lui rendent hommage, mais certains leur reprochent d'occulter certaines de ses actions. (Photo by Brendan Smialowski / AFP)
Henry Kissinger est décédé à l'âge de 100 ans. De nombreux responsables politiques lui rendent hommage, mais certains leur reprochent d'occulter certaines de ses actions. (Photo by Brendan Smialowski / AFP)

"Un géant de l’Histoire" pour Emmanuel Macron, un "diplomate d’exception" pour Élisabeth Borne, "un grand diplomate", selon le Chancelier allemand Olaf Scholz, un "grand homme d'Etat" qui sera "très regretté" pour le Secrétaire d'État aux Affaires étrangères britannique David Cameron.

Les hommages des dirigeants sont unanimes envers Henry Kissinger, ancien Secrétaire d'État américain et figure historique de la diplomatie, décédé à l'âge de 100 ans. Dans ce concert de louanges, certains regrettent toutefois qu'une partie de ses actions ne soient pas reflétées par ces hommages.

La guerre "inutilement prolongée" au Vietnam

Car Henry Kissinger est aussi pointé du doigt pour son implication dans ce que certains dénoncent comme des crimes contre l'humanité, voire des génocides. Il est notamment accusé de crime de guerre et de soutien à de nombreuses dictatures militaires.

Lors de la guerre au Vietnam tout d'abord, il est accusé d'avoir prolongé inutilement le conflit, et de l'avoir étendu au Cambodge voisin. Il avait d'un côté entamé des négociations avec le Nord-Vietnam, mais dans le même temps accepté avec le président Nixon des bombardements clandestins sur le Cambodge neutre dans le but de priver les communistes de troupes et de fournitures, selon des documents déclassifiés et qui ont donné lieu à la publication du livre Les Crimes de monsieur Kissinger.

Les bombardements secrets sur le Cambodge

Une politique qui a entraîné la mort d'au moins 100 000 personnes dont 50 000 civils. La déstabilisation du pays conduisant ensuite à la guerre civile cambodgienne et au régime brutal de Pol Pot.

En Amérique latine, l'action d'Henry Kissinger via la CIA est également pointée du doigt, au point que Kissinger lui-même sera poursuivi par un certain nombre de tribunaux enquêtant sur les violations des droits de l'Homme et la mort d'étrangers sous le régime militaire.

Son soutien au coup d'État de Pinochet au Chili

Lorsque le marxiste Salvador Allende est élu président du Chili, la CIA s'en mêle et mène des opérations secrètes pour tenter d'aider les groupes d'opposition à renverser le gouvernement. Henry Kissinger préside alors le comité qui autorise ces actions.

"Je ne vois pas pourquoi nous devons rester les bras croisés et regarder un pays devenir communiste en raison de l'irresponsabilité de sa population (...). Ces questions sont bien trop importantes pour que les électeurs chiliens puissent décider eux-mêmes", affirme-t-il notamment. Salvadore Allende meurt finalement lors d'un coup d'État qui voit le général Pinochet prendre le pouvoir. Des révélations ultérieures montrent que beaucoup de ses soldats ont été payés par la CIA.

Les deux hommes entretiennent une forte relation. Un document officiel déclassé auquel a eu accès El País démontre que le secrétaire d'État a encouragé la répression féroce du putschiste chilien, lui assurant "être de tout coeur avec lui", et affirmant qu'il est "la victime de tous les groupes gauchistes de la planète".

Le Monde diplomatique rapporte par ailleurs une anecdote lors du passage à Paris de l’ancien secrétaire d’État, en 2001. Dans le cadre de la disparition de cinq Français au Chili, il avait été convoqué par un juge pour comparaître au Palais de justice comme témoin. Le lendemain, il avait précipitamment quitté la France.

À l'oeuvre du funeste plan Condor en Amérique latine

L'Amérique latine revêt un enjeu particulier pour les États-Unis durant la guerre froide. Pour garder son influence, Wahsington, via la CIA et Henry Kissinger, met en place le plan Condor. Le but est simple : une campagne d'assassinats et de lutte contre les guérillas, menée par les services secrets du Chili, de l'Argentine, de la Bolivie, du Brésil, du Paraguay et de l'Uruguay, le tout avec le soutien matériel et financier des États-Unis.

Un plan qui vaut à Henry Kissinger d'être traqué par plusieurs magistrats, en Argentine, au Chili ou au Brésil, qui demandent à l'entendre sur le plan Condor, et sur le soutien à la dictature chilienne. Des commissions rogatoires sont envoyées, en vain.

Si le Vietnam et l'Amérique Latine sont les zones qui ont le plus subi la politique d'Henry Kissinger, son implication est aussi dénoncé dans le massacre des opposants à l’Indonésien Suharto, dont l’invasion du Timor Oriental a entraîné 200 000 morts en 1975, ou encore de son rôle dans l'annexion de Chypre par la dictature grecque.

VIDÉO - Mort d'Henry Kissinger, le monde rend hommage à une grande figure de la diplomatie