Face à l’angoisse de la montée du RN, ces personnes minorisées se sentent seules et incomprises par leur entourage

«  Ils trouvent ça super que je milite autant. Mais c’est toujours à nous de lutter, et c’est injuste de devoir mener ce combat seul ».
FRED TANNEAU / AFP « Ils trouvent ça super que je milite autant. Mais c’est toujours à nous de lutter, et c’est injuste de devoir mener ce combat seul ».

LÉGISLATIVES 2024 - Au lendemain du premier tour des élections législatives et des scores écrasants du Rassemblement National, la peur d’un gouvernement d’extrême droite s’est emparée de nombreux Français. Mais pour beaucoup de personnes minorisées, la détresse qu’ils ressentent n’est pas partagée par leurs proches, qui ont pourtant les mêmes convictions politiques.

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Sarah a 28 ans, elle est Franco-Tunisienne, et milite depuis plusieurs années en Île-de-France pour les droits des femmes. « Terreur et détermination. » Voici les deux mots que la jeune femme utilise pour décrire sa soirée du 30 juin. « Deux heures après l’annonce des résultats, un de mes proches a subi une attaque raciste, alors qu’il promenait son chien. Ça m’a confirmé que, pour les gens comme nous, cette élection est une question de vie ou de mort », déclare Sarah.

« Des silences assourdissants »

Si beaucoup de ses proches ont partagé sa détresse, ce n’est pas le cas de tous. Sarah décrit notamment « une forme de passivité » chez ses amis d’enfance, qui, pour beaucoup, n’ont pris aucune initiative. « C’est comme s’ils ne se sentaient pas concernés, parce que ça ne va rien changer dans leur quotidien immédiat », confie-t-elle. « Pourtant ils trouvent ça super que je milite autant. Mais c’est toujours à nous de lutter, et c’est injuste de devoir mener ce combat seul ».

Suite à la violente attaque qu’a subie son proche, Sarah n’a pas manqué d’exprimer son effroi sur les réseaux sociaux. Mais elle s’est heurtée à l’indifférence de certaines personnes de son entourage, qui n’ont passé « même pas un appel ou un message », déplore-t-elle. Une déception qui a poussé la jeune militante à « faire le deuil » de certaines amitiés. « Quand tu te sens menacée pour ta vie et que les gens ne réagissent pas, ça brise des liens. Il y a des silences qui sont assourdissants », soupire-t-elle. La jeune femme est pourtant très loin de se sentir abandonnée, car sa foi musulmane et la solidarité au sein de sa communauté lui donne la détermination de se battre.

« Chez nous, on ne fait pas de vagues »

Pour d’autres, la solitude se fait sentir même au sein d’un entourage minorisé. C’est ce que traverse actuellement Charlie, jeune homme trans et asiatique de 21 ans qui fait face quotidiennement à l’inaction de ses proches.

Charlie est pris d’une angoisse grandissante, celle de perdre ses droits. Alors iel se bat, participe aux manifestations contre l’extrême droite à Paris, et partage de nombreux contenus sur ses réseaux sociaux. « Ça me permet de ne pas me sentir totalement seul et incompris », explique le jeune homme. Car dans son entourage, très peu de personnes se mobilisent.

D’origine vietnamienne, Charlie a beaucoup de mal à pousser ses parents immigrés à agir : « Ils votent juste pour voter, ils ne le font pas avec le cœur ». Un comportement selon iel typique des communautés asiatiques immigrées : la peur « de ne pas être assez Français ». Une « volonté d’intégration » qui a même poussé ses grands-parents à abandonner la nationalité vietnamienne de leur plein gré. « Chez nous, on ne fait pas de vagues », affirme Charlie.

Mais Charlie n’est pas que racisé, iel est aussi un artiste trans queer. « Je suis tout ce que la droite déteste, militer n’est pas un choix pour moi », insiste-t-iel. Et miser sur sa propre transidentité pour inciter ses parents à s’exprimer autour d’eux sur le danger du Rassemblement National n’y fait rien. « Ils ne mesurent absolument pas le risque immense d’être trans sous l’extrême droite », déplore Charlie.

Une difficulté à être compris qu’il rencontre également auprès de ses amis, indifférents au point que certains n’iront même pas voter au second tour. « Fais le au moins pour moi », les a imploré le jeune homme. Mais rien ne les convainc, même pas les cris du cœur de Charlie, qui éprouve un profond sentiment d’abandon.

« Face à des gens sans empathie »

C’est aussi ce que ressent Antoine*. Comme beaucoup, le jeune homme parisien de 29 ans se rendra aux urnes au second tour pour faire barrage au Rassemblement National. Un vote important pour lui, qui est issu d’une famille juive.

Depuis les résultats du premier tour, Antoine n’arrive pas à échapper à l’anxiété. « Je dors extrêmement mal, je fais des crises de panique, je n’arrive plus à me concentrer au travail », admet-il, en attribuant cette réaction au traumatisme de la déportation qui a décimé une partie de sa famille.

Mais même ses proches ne comprennent pas sa terreur. « J’ai l’impression d’être face à des gens sans empathie », confie-t-il. Car dans la famille du jeune homme, on fait barrage « à tous les extrêmes » et on dénonce aussi avec véhémence une gauche « antisémite ».

Antoine a pourtant essayé de convaincre ses proches du vrai danger que représente l’extrême droite pour la communauté juive, sans succès. « On me dit que j’exagère, que notre quotidien ne va pas changer, et je me sens obligé de m’excuser d’être si angoissé. »

Face à cette fracture entre lui et son entourage juif, Antoine n’éprouve pas de rancune, mais plutôt une peine intense. Résigné après ce premier tour, il ne cherche plus du tout à convaincre ses proches et évite « comme la peste » les discussions politiques lors des repas de famille.

* Le prénom a été modifié.

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