Eurovision 2024: pourquoi la participation d'Israël est si controversée

C'est la polémique qui assombrit l'Eurovision 2024. Ce jeudi 9 mai, dans la ville suédoise de Malmö, la chanteuse Eden Golan défendra les couleurs d'Israël lors de la seconde demi-finale du télé-crochet avec la ferme intention de se qualifier pour la grande finale de samedi. Et ce malgré la controverse qui entoure la participation d'Israël à cette 68e édition du concours.

Car en raison de la riposte du gouvernement Netanyahu sur Gaza, lancée après le massacre perpétré en Israël par le Hamas le 7 octobre dernier, de nombreuses voix se sont élevées contre la présence de l'État juif parmi les concurrents. D'appels au boycott en demandes d'exclusion, sa présence a occasionné plusieurs levées de bouclier au sein des pays participants au cours des derniers mois. Les détracteurs dénoncent notamment un deux poids, deux mesures en s'appuyant sur l'exclusion de la Russie en 2022, après l'invasion de l'Ukraine.

Escalade de violence

De premiers remous ont commencé à agiter l'organisation de l'Eurovision en décembre dernier, deux mois après l'attaque terroriste durant laquelle le Hamas a fait 1.170 morts sur le sol israélien et emmené 240 otages à Gaza. À ce moment-là du conflit, une brève trêve a mené à la libération de 110 d'entre eux, en échange fin novembre d'au moins 240 prisonniers palestiniens retenus en Israël.

Mais les affrontement reprennent le 1er décembre, au lendemain d'une attaque meurtrière à Jérusalem revendiquée par le Hamas. Deux semaines plus tard, le bilan de la représaille israélienne avoisine les 20.000 morts côté palestinien, selon des chiffres du ministère de la Santé du Hamas (le bilan s'élève aujourd'hui à plus de 34.000, d'après cette même source).

C'est dans ce contexte qu'émerge la demande de la FTT, une association d'artistes islandais, qui réclame à leur diffuseur de ne pas participer à l'Eurovision à moins qu’Israël n’en soit exclu. Un mois plus tard, un collectif de 1.400 artistes finlandais formule la même demande.

"Un événement musical apolitique"

Après plusieurs prises de parole en faveur de la participation d'Israël, les organisateurs de l'Eurovision écartent définitivement l'idée de son exclusion à la mi-février. L'Union européenne de radio-télévision (UER), en charge du concours, rappelle l'ADN apolitique du télé-crochet, un principe fondateur revendiqué par le concours dans son règlement :

"Le Concours Eurovision de la chanson est un événement musical apolitique et une compétition entre les radiodiffuseurs de service public membres de l'UER. Il ne s'agit pas d'un concours entre gouvernements", avait ainsi déclaré à l'AFP Noel Curran, le directeur général de l'UER.

Il revient également sur les comparaisons avec l'exclusion de la Russie, survenue deux ans plus tôt, dans la foulée de l'invasion de l'Ukraine par le Kremlin. "Les comparaisons entre les guerres et les conflits sont complexes et difficiles et (...) il ne nous appartient pas de les établir", balaie-t-il, avant d'expliquer:

"Le radiodiffuseur public israélien Kan satisfaisait à toutes les règles du concours pour cette année (...) dans le cas de la Russie, les radiodiffuseurs russes avaient été suspendus de l'UER en raison de leurs manquements persistants à leurs obligations de membre et pour avoir violé les valeurs du service public".

L'historien américain Dean Vuletic, spécialiste de l’Eurovision, fait par ailleurs valoir dans les colonnes du Parisien qu'"il n'y a pas eu de sanctions de la communauté internationale à l’encontre d’Israël, contrairement à la Russie. Or, l’UER n’est pas une autorité qui dispose de ce pouvoir politique, ça n’est qu’une association de diffuseurs publics."

Les appels au boycott se poursuivent malgré tout du côté des artistes commes des internautes, malgré certaines tentatives d'apaisement. Comme celle d'Olly Alexander, le candidat britannique, qui après avoir signé une tribune accusant Israël d'apartheid et de génocide fin octobre déclare en mars qu'il rejette les appels au boycott, et qu'il souhaite "rassembler et lancer un appel à la paix" par sa participation.

Dans le même temps, la délégation israélienne se heurte à un nouvel obstacle: sa chanson a mis l'UER dans l'embarras... si bien qu'elle doit, par deux fois, la retravailler.

Une chanson "trop politique"

La polémique autour de ce morceau éclate fin février, au moment où la délégation israélienne soumet une chanson intitulée October Rain ("pluie d'octobre"). Un titre immédiatement interprété comme une référence directe au massacre du 7 octobre.

"Dansant dans l'orage/Nous n'avons rien à cacher/Ramène moi à la maison/Et laisse le monde derrière/Et je te promets que ça n'arrivera plus jamais/Je suis encore mouillée par cette pluie d'octobre/Pluie d'octobre", dit par exemple un couplet publié par la société publique israélienne de radiodiffusion (KAN).

Jugée "trop politique" par l'UER, selon des informations du média israélien Ynet, October Rain se voit alors rejetée malgré l'indignation du gouvernement israélien, exprimée par le ministre de la Culture Miki Zohar:

"La chanson d'Israël, qui sera interprétée par Eden Golan, est une chanson émouvante qui exprime les sentiments du peuple et du pays d'aujourd'hui", écrit-il sur X, assurant: "Elle n'est pas politique".

Le diffuseur, qui a d'abord menacé de se retirer en cas de refus de la chanson, finit par retravailler le titre et retente sa chance avec une nouvelle version intitulée Dance Forever, qui fait référence spécifiquement à l'attaque du Hamas contre le festival Nova Music, le 7 octobre, où 364 personnes ont été tuées. Une nouvelle fois, la chanson est retoquée.

Ce n'est qu'avec une troisième proposition, intitulée cette fois Hurricane, qu'Eden Golan obtient l'aval de l'UER. Le clip, dévoilé le 10 mars dernier, met en scène un groupe de gens dansant dans une plaine, avant qu'une tempête ne s'abatte.

Appel au boycott

La participation désormais entérinée d'Eden Golan au concours de l'Eurovision n'en finit pas de faire polémique, et prend parfois une tournure inquiétante. La chanteuse israélo-russe de 20 ans reçoit des menaces de mort sur son compte Instagram, obligeant l'UER a prendre de nouveau la parole sur le sujet le 9 avril dernier.

"Nous soutenons fermement la liberté d'expression et le droit d'exprimer des opinions dans une société démocratique, mais nous nous opposons fermement à toute forme d'abus en ligne, de discours haineux ou de harcèlement visant nos artistes ou toute personne associée au concours", déclare l'organisation dans un communiqué.

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En outre, l'Eurovision met en place une foire aux questions sur son site officiel, spécifiquement dédiée à la participation d'Israël à l'Eurovision. Les internautes y trouvent des réponses aux questions les plus courantes, notamment "Pourquoi Israël est-il encore membre du concours Eurovision de la chanson alors que la Russie a été suspendue?" ou "Pourquoi la chanson israélienne a-t-elle le droit de concourir?".

À quelques jours de la grande finale, les appels au boycott se poursuivent: le dernier en date est celui de 400 artistes irlandais qui appellent fin avril leur candidate - Bambie Thug - à se retirer du concours.

Sous haute surveillance

Et la controverse s'importera sur place. Il y a quelques jours, l'UER a annoncé que seuls les drapeaux des pays participants et les drapeaux LGBT seront autorisés sur le site. Une règle inchangée depuis l'année dernière, qui incluera de facto le drapeau israélien mais excluera le drapeau palestinien.

Car des manifestations se préparent. "Quelques mois avant l'événement, nous avons déjà des demandes d'autorisation de rassemblements soit en faveur de la participation d'Israël soit en protestation", confiait ainsi en mars à l'AFP Ulf Nilsson, le responsable de la sécurité de la ville, qui se prépare à un concours sous haute surveillance.

De son côté, l'UER a affirmé être une "défenseure convaincue de la liberté d'expression" et qu'elle "soutient le droit de ceux qui souhaitent manifester pacifiquement" en dehors de la Malmö Arena.

Article original publié sur BFMTV.com