Eurovision 2024: avant Israël, ces chansons politiques qui ont fait trembler le concours

Israël pourra finalement participer à l'Eurovision 2024. Après deux premières propositions de chanson refusées par l'Union européenne de radio-télévision (UER, l'organisatrice du concours), le diffuseur israélien Kan a annoncé jeudi 8 mars qu'une troisième option avait été acceptée. C'est donc avec le titre Hurricane que la chanteuse Eden Golan défendra son pays à Malmö, en Suède, en mai prochain.

Les deux premiers morceaux retoqués n'ont pas été divulgués. Intitulés October Rain et Dance Forever, ils évoquaient le massacre de 1.160 personnes perpétré par le Hamas le 7 octobre dernier dans le sud d'Israël. D'après les médias israéliens, le message de ces chansons a été jugé trop engagé par les décideurs du télé-crochet, dont le règlement interdit formellement toute politisation.

Israël n'est pas le premier pays à donner des sueurs froides à l'UER; malgré ses efforts constants pour proposer un divertissement vierge de toute aspérité, l'histoire de l'Eurovision est émaillée d'irruptions des tensions géopolitiques... et de chansons qui les expriment. Retour sur ces textes qui ont mis les organisateurs dans la tourmente, et ont parfois débouché sur des disqualifications.

• 1976: la Grèce chante le "napalm" et les "tentes de réfugiés"

La Grèce s'est mise en retrait en 1975 pour protester contre l'intégration de la Turquie, qui a envahi Chypre l'année précédente. En 1976, c'est l'inverse qui se produit et la Turquie ne revient pas, tandis que la Grèce retrouve le concours.

Et c'est avec le titre Panaghia Mou, Panaghia Mou, interprété par Mariza Koch, que le pays réintègre le télé-crochet. Une chanson qui sonne comme une critique de l'invasion de Chypre par la Turquie.

Le texte, qui parle de "tentes de réfugiés", de "ruines" et de brûlures au "napalm", laisse peu de place au doute. Si l'Eurovision et les Pays-Bas qui accueillent le concours cette année-là laissent passer la chanson, la Turquie, en retransmettant le programme, censure le passage de la Grèce, comme le rapporte Time Magazine.

• 2007: la chanson israélienne critique-t-elle Ahmadinejad?

En 2007, l'inquiétude est forte, dans la société israélienne: l'Iran ne cache rien de ses ambitions nucléaires ni de son animosité envers l'État hébreu. Alors quand Teapacks, le groupe choisi pour représenter le pays, se présente avec la chanson Push the Button ("appuyer sur le bouton"), les organisateurs soupçonnent un message sous-jacent - et une critique à peine voilée du président iranien de l'époque, Mahmoud Ahmadinejad, comme le raconte alors le New York Times .

"Je ne veux pas mourir, je veux voir les fleurs éclore", chante le leader du groupe dans cette chanson satirique en hébreu, anglais et français. "Je ne veux pas exploser, je ne veux pas pleurer (...) Mais rien n'y fait, il va appuyer sur le bouton."

"Ce genre de message n'est pas approprié pour la compétition", déclare alors Kjell Ekholm, représentant du diffuseur du concours en Finlande, pays-hôte cette année-là. "La chanson est apolitique, elle est universelle", rétorque le chanteur, Kobi Oz, ainsi que le relaie le Jerusalem Post. L'UER lui donne raison et le titre est bien envoyé à l'Eurovision, où il est éliminé en demi-finale.

• 2007: L'Ukraine a-t-elle chanté "Russia Goodbye"?

2007 fut, décidément, une année faste pour les chansons au sens suspect. Quand l'Ukraine choisit d'être représentée par la drag queen Verka Serduchka et sa chanson Dancing Lasha Tumbai, de nombreux observateurs notent que les mots "Lasha Tumbai", répétés plusieurs fois dans cette chanson mêlant anglais, allemand, russe et ukrainien, sonnent à l'oreille comme "Russia, goodbye".

Verka Serdushka s'en défend, assurant qu'il s'agit d'un terme mongol pour dire "crème fouettée". C'était en fait du charabia, selon Time Magazine. Cette controverse n'aura pas eu raison de sa participation, et Verka Serduchka décroche une belle deuxième place.

• 2009: un message subliminal anti-Poutine de la Géorgie?

En 2008, la Russie de Dmitri Medvedev - qui vient alors de succéder à Vladimir Poutine - affronte la Géorgie en Ossétie du Sud. L'année suivante la Géorgie, dont c'est la troisième participation à l'Eurovision, envoie au concours le groupe Stephane and 3G, avec le titre Put in Disco.

L'UER remarque vite la consonnance similaire entre "put in" et "Poutine". Ainsi, les paroles "We don't wanna put in the negative no more" peuvent être perçues comme un jeu de mot, traduisible par "Nous ne voulons pas d'un Poutine".

Comme le rapporte la BBC, l'organisation demande à la délégation géorgienne de modifier les paroles du morceau ou d'en présenter un autre. La Géorgie publie un communiqué dans lequel elle nie toute référence politique dans son texte, et annonce son retrait de la compétition.

• 2015: un message sur le génocide arménien?

Alors que l'Arménie commémore cette année-là les cent ans de son génocide, elle se fait représenter à l'Eurovision par le groupe Genealogy et sa chanson Don't Deny ("Ne niez pas").

Comme le rapporte The Independent à l'époque, le morceau s'attire les critiques de l'Azerbaïdjan et de la Turquie, qui y voient une condamnation de leur propre refus de reconnaître le génocide. Le clip, dans lequel une famille vêtue d'habits du début du XXe siècle disparaît peu à peu, est lui aussi pointé du doigt.

La délégation arménienne nie la présence d'un message politique dans sa chanson. Le titre est néanmoins remplacé par Face the Shadow ("regardez les ténèbres en face") mais le texte reste intact, et les paroles "ne niez pas" ne quittent pas le refrain. L'Arménie participe à l'Eurovision et se classe 16e.

• 2016: l'Ukraine fâche la Russie

L'Ukraine est représentée cette année-là par Jamala, Tatare de Crimée, et sa chanson 1944. Un texte qui commémore la déportation stalinienne subie par son peuple et qui résonne alors avec l'actualité, nous sommes deux ans après l'annexion de la Crimée par Poutine.

Quand la chanteuse remporte la victoire, plusieurs officiels russes menacent de boycotter le concours l'année suivante à Kiev comme le rapporte The Independent. Ils tenteront finalement d'y participer, mais un autre problème survient: leur chanteuse Ioulia Samoïlova est interdite d'entrer en Ukraine, et la délégation russe refuse une participation à distance. La Russie se retire donc de l'Eurovision.

• 2021: disqualification de la Biélorussie

Galasy ZMesta, le groupe chargé de représenter la Biélorussie, se présente avec un titre intitulé Ya nauchu tebya ("Je vais t'apprendre"). L'UER demande qu'une autre chanson soit proposée, craignant que celle-ci contienne un soutien caché au président autoritaire Alexandre Loukachenko et à sa répression violente de manifestants l'année précédente - notamment à cause des paroles "Je vais t'apprendre à te tenir à carreau".

"Ils nous mettent la pression sur tous les fronts, même à l'Eurovision", réagit le chef d'État lui-même, relaie la BBC. "Nous allons faire une autre chanson."

Mais la seconde proposition ne convainc pas les organisateurs non plus, et la Biélorussie est disqualifiée.

• 2023: un tracteur suspect

La chanson des Croates et leur clip, Mama ŠČ!, sont interprétés comme une critique discrète des régimes biélorusse et russe. Les membres du groupe Let 3 y apparaissent juchés sur un tracteur en habits de dictateurs, chantant les paroles "Maman a acheté un tracteur, apocalypse".

Autant de symboles qui, deux ans après le lancement de l'offensive russe en Ukraine, sont perçus comme des références au tracteur offert à Poutine par Loukachenko pour son anniversaire, comme le rapporte le Guardian. Ce qui n'empêche pas le pays de participer au concours, où il se classe 13e.

Si l'UER et Israël sont finalement parvenus à un accord, l'État hébreu fait par ailleurs l'objet de plusieurs appels au boycott. Des voix se sont élevées en Irlande ou en Finlande pour protester contre sa participation, en raison de la riposte meurtrière de Benjamin Netanyahu sur Gaza, qui a causé la mort de 30.000 Palestiniens selon des chiffres du Hamas.

Article original publié sur BFMTV.com