Comment Etam a réussi là où Victoria’s Secret s’est effondrée

TOPSHOT - Models present creations by Etam during the Etam Live Show on the first day of the Paris Fashion Week, at the Roland Garros stadium in Paris, on September 24, 2019. (Photo by Bertrand GUAY / AFP) (Photo by BERTRAND GUAY/AFP via Getty Images)
Getty TOPSHOT - Models present creations by Etam during the Etam Live Show on the first day of the Paris Fashion Week, at the Roland Garros stadium in Paris, on September 24, 2019. (Photo by Bertrand GUAY / AFP) (Photo by BERTRAND GUAY/AFP via Getty Images)

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Des mannequins défilent lors du Etam Live Show, en 2019, à Paris.

MODE - Parmi les événements mondains et festifs que compte la Fashion Week de Paris, c’est sans doute le plus médiatique. Ce mardi 27 septembre, le Etam Live Show se tient dans la capitale en pleine semaine du prêt-à-porter féminin, en direct sur les réseaux sociaux de la marque, mais aussi à la télé sur TMC, à partir de 21 heures.

Cette année, direction le jardin du Musée des Archives. Pendant une dizaine de minutes, les mannequins vont fouler de leurs pieds le podium implanté dans ce lieu historique du Marais. Le tout, parées des nouvelles pièces de l’enseigne, institution de la lingerie fondée en 1916, et en musique. À l’instar de Snoop Dogg à la piscine Molitor (2017), de Juliette Armanet devant le Palais Garnier (2020), d’Angèle et d’Aya Nakamura (2019), Major Lazer, Benjamin Biolay, Tommy Genesis, Master KG et Adé doivent, ce mardi, se passer le micro tel un bâton de relais pour animer la soirée.

La nouveauté ? Outre la mise en vente de cinq bodys « couture » en NFT, le public est invité à regarder le show avec les yeux de quelques-unes des mannequins équipées d’une paire de Ray Ban connectées, « de leur sortie des essayages à leur entrée sur le podium », nous précise Laurent Milchior, cogérant du groupe Etam. C’est l’homme derrière tout ça.

Un événement « authentique »

Lorsque Richard Simonin lâche les rênes d’Etam en faveur de l’héritier de la famille actionnaire en 2009, ce dernier se donne une mission : moderniser l’image de la marque, qu’il juge trop sage, trop lisse. Fort du succès du géant américain de la lingerie Victoria’s Secret, Laurent Milchior se décide à importer le format.

Attention, le sien ne veut pas faire dans la démesure, il se veut « authentique ». « Nous n’avons pas essayé d’imposer des canons de beauté. Nous ne sommes pas sur un modèle de femme-objet », nous assure l’homme d’affaires. Plusieurs semaines avant ses défilés, Victoria’s Secret documentait quotidiennement l’entraînement digne d’un commando de l’armée et le régime alimentaire surréaliste de ses « Anges » (un nom donné aux mannequins de la marque). Critères d’entrée : mesurer au minimum 1m75, avoir 86 cm de tour de poitrine, 60 cm à la taille et 87 au niveau des hanches.

VICTORIA'S SECRET FASHION SHOW HOLIDAY SPECIAL - Victoria's Secret's legendary Angels take to the runway for the 2018 Victoria's Secret Holiday Special, showcasing an all-star lineup of musical guests, including Bebe Rexha, The Chainsmokers, Halsey, Kelsea Ballerini, Rita Ora, Shawn Mendes and The Struts. Merging fashion, fantasy and entertainment,

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Ça, c’était avant. Le défilé Victoria’s Secret est à l’arrêt depuis 2019. Une décision motivée par une volonté « de faire évoluer [son] message, en respect avec le cours du temps », selon Stuart B. Burgdoerfer, le directeur financier et vice-président exécutif de L Brands, la société mère de Victoria’s Secret.

L’enchevêtrement de scandales

La restructuration n’est pas anodine, elle a fait suite à une vague de scandales essuyés par Victoria’s Secret depuis 2018, à commencer par celui visant l’ancien président de la marque Les Wexner, accusé d’être le premier client de Jeffrey Epstein, un homme d’affaires coupable de trafic de mineurs. Même s’il a toujours réfuté ses accusations, l’image de l’enseigne a été considérablement touchée.

En cause, aussi, l’interview dans Vogue de l’ex chef du marketing Edward Razek, la même année. Interrogé sur l’absence de mannequins trans lors des défilés de la marque, il a alors répondu que leur présence n’était pas à l’ordre du jour. Pourquoi ? « Parce que le défilé est un fantasme », soutenait-il.

Tandis qu’une pétition signée par une centaine de mannequins, en 2019, demandait au PDG de l’époque, John Mehas, de les protéger contre la culture misogyne et abusive qui sévit au sein de la marque, le New York Times a, lui, publié une enquête édifiante, en 2020, mettant en lumière une dizaine de cas de harcèlement sexuel dans l’entreprise, comme la fois où l’on a demandé à la star des podiums Bella Hadid, alors en plein essayage, « d’oublier » sa culotte.

« Depuis, Victoria’s Secret a disparu des radars médiatiques », observe la journaliste mode Mélody Thomas. Des boutiques, il en existe dans chaque grande capitale du monde mais les ventes ne se portent pas si bien. En 2021, la marque a annoncé se séparer de 250 magasins en Amérique du Nord. Son chiffre d’affaires est en rempli de 6 % à la fin de l’été 2022.

Des contextes différents

Pour l’heure, on ne sait pas si cette perte de vitesse est due aux scandales, à la disparition de son défilé (point fort de son marketing) ou à un autre facteur. Ce qu’on sait, c’est que du point de vue de l’opinion publique, elle est antérieure à la liquidation du show. « Le consommateur veut, aujourd’hui, acheter ce dans quoi il se retrouve », commente Mélody Thomas. Alors qu’ils étaient 12 millions d’Américains à être devant leur poste de télé en 2001 pour regarder le show, ils n’étaient plus que 3,3 millions en 2018.

« Jusque dans les années 2000, la capacité d’éloignement du consommateur vis-à-vis de ce qu’il pouvait se passer dans la mode était plus forte. Ce milieu ne nous semblait pas réel », ajoute l’autrice d’un essai intitulé La mode est politique. L’arrivée des réseaux sociaux a changé la donne. La place grandissante des mannequins, qui n’ont plus peur de dénoncer ce qu’elles traversent, aussi.

Etam, elle, a une histoire ancienne : elle a déjà plus de cent ans au compteur. « Ils ont pris leur temps pour faire évoluer leur marque de façon intelligente », analyse la créatrice Sophie Malagola, avec qui Etam a collaboré pendant plusieurs pour ses collections avec l’égérie Natalia Vodianova.

Louper le coche

Comme beaucoup d’enseignes, Etam a senti le vent tourner, examine l’experte. Un point de vue partagé par Mélody Thomas, selon qui la marque suit de près le mouvement body positive, là où Victoria’s Secret a ouvertement exprimé une forme de résistance. Le casting du Etam Live Show le préfigure. Il est soucieux de refléter la diversité des morphologies auxquelles les gammes de vêtement Etam s’adressent, mais aussi celle de ses clientes, françaises et étrangères, qui ne sont pas exclusivement blanches. Pour Mélody Thomas, ce sont des corps « qu’on n’avait pas l’habitude de voir dans un défilé de lingerie ».

A model present creations by Etam during the Etam Live Show on the first day of the Paris Fashion Week, at the Roland Garros stadium in Paris, on September 24, 2019. (Photo by GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP) (Photo by GEOFFROY VAN DER HASSELT/AFP via Getty Images)
Getty A model present creations by Etam during the Etam Live Show on the first day of the Paris Fashion Week, at the Roland Garros stadium in Paris, on September 24, 2019. (Photo by GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP) (Photo by GEOFFROY VAN DER HASSELT/AFP via Getty Images)

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Pour tourner la page, Victoria’s Secret a troqué ses controversés « Anges » contre un panel de stars inattendues. Parmi elles, la star du foot aux États-Unis Megan Rapinoe, l’actrice Priyanka Chopra ou la mannequin trans Valentina Sampaio. « Si elle avait pris le coche de l’inclusivité plus tôt, qui peut dire aujourd’hui où en serait la marque ? Le problème, c’est qu’il y a eu une résistance en interne à la diversité. Il y a eu un manque de compréhension sur ce qui était en train de se jouer dans la mode mais aussi au regard de nos sociétés, estime Mélody Thomas, avant d’ajouter : Il va leur falloir beaucoup de temps pour réussir à convaincre les consommateurs et les médias. »

« C’est une grande fête »

Ce n’est pas le cas d’Etam. Malgré plusieurs polémiques, dont une entourant la discrimination à l’embauche d’une jeune femme portant un hijab, la marque bénéficie d’une image positive. Son défilé y est pour quelque chose, notamment au beau milieu de la Fashion Week. « On s’est trompé quand on a décidé que tout devait être sobre et chiant, commente Sophie Malagola. La mode fait rêver quand elle est extraordinaire. Le show Etam, c’est une grande fête. C’est très joyeux. On ne s’y prend pas au sérieux. » En 2021, la semaine qui a suivi le défilé, les posts de la marque ont généré plus de 300 millions de vues.

TOPSHOT - Models present creations during the Etam Live Show on the first day of the Paris Fashion Week, at the Roland Garros stadium in Paris, on September 24, 2019. (Photo by GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP) (Photo by GEOFFROY VAN DER HASSELT/AFP via Getty Images)
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En pleine expansion à l’international, la marque a, au printemps dernier, fait son arrivée sur le marché américain. Le défilé va-t-il finir par quitter les enceintes de Paris ? « On s’est déjà posé la question, concède Laurent Milchior. Année après année, la tentation est toujours plus grande. Cette année, par exemple, on a fait deux défilés. Est-ce qu’on en fera deux l’année prochaine ? Est-ce que l’un des deux se déroulera à l’étranger ? » Rien n’est tranché.

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