Erdogan à un pas de la présidence d'une "nouvelle Turquie"

par Daren Butler et Ayla Jean Yackley ISTANBUL (Reuters) - Les Turcs se sont rendus aux urnes dimanche pour la première élection présidentielle au suffrage universel direct de l'histoire du pays, dont le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan, qui promet une "nouvelle Turquie", fait figure de grandissime favori. A la tête du gouvernement islamo-conservateur depuis une décennie, Recep Tayip Erdogan polarise la société turque au point d'inquiéter ses alliés occidentaux et de susciter les craintes d'une dérive autoritaire dénoncée au printemps 2013 par le mouvement de la place Taksim. Dans un quartier du centre d'Istanbul, certains électeurs ne cachaient d'ailleurs pas dimanche leur crainte de voir arriver à la présidence un homme à la poigne de fer, disant souhaiter au contraire la victoire d'un candidat plus consensuel. "Nous ne voulons pas d'un président autoritaire et partisan, mais de quelqu'un qui défendra le système parlementaire et les intérêts du peuple", a déclaré Ahmet Kensoy, 62 ans. "Il devrait être indépendant et impartial, ouvert à toutes les tendances de la société." Environ 53 millions d'électeurs étaient appelés aux urnes mais la participation, supérieure à 89% aux élections municipales en mars, a paru faible cette fois, a déclaré George Tsereteli, observateur de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). Erdogan était crédité dans les dernières enquêtes d'opinion publiées le mois dernier de 55 à 56% des intentions de vote. Il devançait d'environ 20 points Ekmeleddin Ihsanoglu, candidat commun des laïques kémalistes et des nationalistes, et Selahattin Demirtas, du Parti démocratique du peuple (HDP, principale force pro-kurde). Le Premier ministre, âgé de 60 ans, apparaît donc en position d'être élu pour cinq ans dès le premier tour, ce qui ferait basculer la Turquie, dont les présidents étaient jusque-là élus par les députés, dans un système présidentiel sans même attendre les réformes constitutionnelles qu'il a promises. RENDEZ-VOUS EN 2023 Sûr de sa victoire, Erdogan a déjà exprimé le souhait de rester à la présidence pendant deux mandats, soit jusqu'en 2023, année du centième anniversaire de la république kémaliste, une date symbolique pour celui qui fait souvent référence dans ses discours à l'Empire ottoman. "Le choix (des électeurs) sera décisif car un président et un gouvernement élus vont main dans la main conduire notre Turquie avec détermination vers 2023", a-t-il dit aux journalistes après avoir déposé son bulletin dans l'urne, accompagné de sa femme et de ses enfants, dans la partie asiatique d'Istanbul. A la sortie de l'école servant de bureau de vote, une foule de partisans l'a acclamé en scandant "La Turquie est fière de toi" et "Erdogan président". Le Premier ministre les a salués et a serré des mains. Ses partisans voient dans son élection annoncée le parachèvement de la campagne qu'il mène depuis son arrivée au pouvoir pour remodeler la Turquie aux dépens des élites laïques qui dominaient le pays depuis la proclamation de la république moderne par Mustafa Kemal Atatürk en 1923. Ses opposants le considèrent en revanche comme un sultan moderne dont les racines islamistes et le refus de toute dissidence éloignent la Turquie de ses idéaux laïques. "Si Dieu le veut, une nouvelle Turquie va voir le jour; une Turquie forte renaît de ses cendres", a déclaré Erdogan samedi pendant son dernier à meeting à Konya, un bastion conservateur du centre du pays. "Laissons la vieille Turquie derrière nous. Les politiques de polarisation, de division et de peur ont dépassé leur date de péremption", a-t-il dit à la foule enthousiaste. Les partisans d'Erdogan mettent notamment en avant ses réalisations économiques pour expliquer leur soutien. "Je viens chaque année en vacances en Turquie et je peux voir les immenses changements qui ont eu lieu (depuis l'arrivée d'Erdogan au pouvoir en 2003)", explique Halis, un Turc de 46 ans qui vit à Cologne, en Allemagne, avec sa famille. "Les routes, les ponts, les services fournis par les organes de l'Etat... Comment peut-on qualifier de dictateur un homme qui a fait autant pour son pays?", demande-t-il. Si toutefois Erdogan, dont le Parti de la Justice et du développement (AKP) a largement remporté les élections municipales en mars, n'obtenait pas la majorité absolue dimanche, un second tour serait organisé le 24 août. (Avec Humeyra Pamuk; Henri-Pierre André, Tangi Salaün et Bertrand Boucey pour le service français)