Equipe de France: jeu des Bleus, avenir de Deschamps, élections législatives… L’entretien RMC Sport de Philippe Diallo

Philippe Diallo, voilà la France en quart de finale de l’Euro. Déjà, sur le plan économique, vous avez atteint votre objectif, la FFF rentre dans ses frais avec ce quart de finale…

Ce n’est pas tout à fait ça. Mais effectivement, la Fédération se fixe un objectif budgétaire qui est le quart de finale. Ce premier objectif est donc atteint. Mais maintenant que nous en sommes là, tout le monde souhaite aller beaucoup plus loin dans ce tournoi.

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Les Bleus n’ont pas encore mis un seul but dans le jeu sans l’aide d’un contre son camp de l’adversaire. Quel regard portez-vous sur cette situation quasi inédite?

Je retiens d’abord la qualification. Je constate que les Italiens sont rentrés chez eux, les Croates aussi, que l’Angleterre s’est sauvée miraculeusement à 30 secondes de la fin, que le Portugal s’en est sorti aux tirs au but contre la Slovénie. Tout ça veut dire qu’il ne faut pas banaliser une qualification pour les quarts de finale. La France a montré une vraie solidité. Elle a raté des occasions. Offensivement, c’est clair qu’il y a un déficit. Mais la force de cette équipe est d’avoir réussi à surmonter ce déficit offensif pour continuer sa route dans le tournoi.

Que répondez-vous aux nombreux supporters français qui disent s’ennuyer devant le jeu des Bleus?

On ne voit peut-être pas exactement les mêmes supporters (sourire). Je rencontre aussi des supporters et le constat d’un déficit offensif est partagé par tous ceux qui suivent l’équipe de France, mais le moteur reste de voir l’équipe de France poursuivre son parcours dans ce tournoi. Vous me dites "ennui" et je vous réponds qu’il y a eu 15 millions de téléspectateurs contre la Belgique, pour un match à 18h. Ça veut dire que l’attractivité de notre équipe de France reste entière et je ne doute pas que contre le Portugal, des millions de Français se réuniront encore pour supporter nos Bleus.

L’équipe de France peut-elle se contenter uniquement du résultat ou doit-elle aller plus loin en termes d’émotion, de jeu? A-t-elle un devoir en termes d’émotion au-delà du simple résultat?

Le tournoi n’est pas terminé. Attendons. Souvenez-vous de la dernière Coupe du monde, où il y avait parfois des commentaires similaires. Puis l’équipe de France a montré, notamment lors de la finale contre l’Argentine, toute sa capacité à créer de l’émotion puisqu’il y a l’une des plus grandes finales de l’histoire de la Coupe du monde, une émotion qui a transcendé les fans français. Je sais que l’équipe de France sera là aussi sur le terrain des émotions.

On dit que vous avez une relation un peu plus distante avec Didier Deschamps par rapport à celle qu’il avait avec votre prédécesseur. Comment ça se traduit depuis que vous êtes à la tête de la Fédération?

Déjà, ce n’est pas à moi de juger le degré de proximité avec Didier Deschamps. Il avait une forte proximité avec Noël Le Graët, parce qu’ils ont eu ensemble une dizaine d'années de collaboration, avec un titre de champion du monde. Ça crée des liens. Je suis là de manière plus récente mais une bonne collaboration s’est mise en place. Je lis qu'elle serait moins forte qu’avec mon prédécesseur, je ne sais pas. Mais on a une confiance mutuelle, une très bonne collaboration au quotidien. Il sait que je lui fais confiance car il a amené l’équipe de France sur des hauteurs qu’elle n’avait jamais connue dans son passé.

Justement, il est sous contrat jusqu’en 2026. Est-ce que les résultats lui garantissent de poursuivre sa mission? Ne peut-on juger son travail que par le prisme des résultats? Certains disent qu’il est un peu en bout de course après 12 ans, qu’il y a une forme d’usure.…

Encore une fois, on est en quart de finale. C’est déjà un très beau résultat. On va jouer un gros match et c’est là-dedans que je me situe, dans la recherche de performance. Que croyez-vous que les fans attendent si ce n’est que de voir gravir les échelons tour après tour pour nous emmener jusqu’en finale? Les gens ont peut-être été frustrés de quelques buts. Mais on a eu les occasions à chaque match. Il se fait qu’on n’a pas réussi à les convertir. Le tournoi n’est pas terminé, le déclic va se faire et les commentaires changeront du tout au tout. Encore une fois, c’est un tournoi très difficile, très serré, personne ne domine vraiment son sujet, aucune nation n’a eu un parcours facile et il ne reste plus que huit pays. Et nous sommes dedans. C’est ce qu’il faut retenir: la France a son statut de favori et on est encore en vie. Il reste deux matchs à gagner pour être en finale le 14 juillet.

Vous vivez votre première phase finale en tant que président de la Fédération. Qu’est-ce qui vous interpelle? Que retenez-vous depuis le début de cette aventure? Que ce soit dans le management, dans les échanges entre joueurs…

Je vois beaucoup de professionnalisme. Rien n’est laissé au hasard, avec un staff extrêmement précis dans ce qu’il doit faire, notamment dans l’organisation et dans le management avec les joueurs. Tout est étudié et rien n’est laissé au hasard pour que cette équipe soit performante. Il y a un vrai climat de sérénité avec les joueurs. Tout le monde est compétiteur et fait attention à ce qui fait la performance, mais il y a aussi une forme de décontraction vis-à-vis des évènements que les joueurs ont à surmonter.

On a vu plusieurs sélections ne pas être totalement satisfaites au niveau de l’organisation, surtout sur le plan logistique. Etes-vous un peu déçu de l’organisation de cet Euro en Allemagne?

On joue dans de formidables stades remplis. Il y a effectivement, dans certains déplacements ou dans les escortes de notre sélection, des choses qui peuvent paraître étonnantes par rapport au très haut niveau, par rapport aux exigences de rapidité et de proximité. Il y a peut-être des améliorations à faire, j'en ai parlé avec certains de mes homologues. Ce sont des éléments qui reviennent et qui mériteraient d’être ajustés.

Au niveau de l’écologie, il y a eu des restrictions sur le premier tour, l’organisation a voulu organiser ce premier tour avec trois pôles dans le pays. Vous êtes retournés à Düsseldorf en avion, là où vous êtes allés en bus pour votre premier match. N’y a-t-il pas un peu d’hypocrisie autour de cela? On sait que l’écologie est un marqueur important pour les futures années, mais on voit qu’après le premier tour les restrictions sont levées…

Je ne parlerai pas d'hypocrisie, je dirais que c'est la mise en place progressive d’une dimension incontournable qu’est l'écologie. La difficulté est de trouver le juste équilibre entre l’exigence liée à la transition écologique et le très haut niveau qui a ses propres exigences, notamment en termes de récupération. Les joueurs jouent tous les quatre jours des matchs de haute intensité, donc il y a la nécessité de pouvoir récupérer dans les meilleures conditions. C’est cet équilibre qui est dur à trouver et où il peut y avoir des ajustements à faire.

Jules Koundé s’est exprimé sur les élections. Il s’est clairement positionné pour faire barrage au Rassemblement national. Kylian Mbappé nous a dit dimanche qu’une initiative collective des joueurs allait revenir sur le tapis pour le deuxième tour. Est-ce que cela vous procure une certaine fierté en tant que président de la Fédération?

Au-delà de la période électorale que l'on vit, j'ai toujours été garant de la liberté d'expression des joueurs. Ce sont des jeunes footballeurs mais aussi des jeunes citoyens. On a brocardé dans le passé ces footballeurs qui tapaient dans le ballon sans rien n’avoir dans la tête. On a là affaire à une génération qui s'intéresse à la vie de la cité. On devrait saluer cet intérêt porté au futur du pays. J'ai entendu Ibrahima Konaté s’exprimer sur la diversité et sur le parcours de sa famille. Je lui ai dit que j'avais trouvé sa déclaration très juste. Après, je suis président de la FFF, j’ai une mission de service public et donc un devoir de neutralité. En tant qu'institution, je me dois de garder ce devoir de neutralité.

On vit dans un moment inédit. Ce moment n’est-il pas trop grave pour rester neutre?

On est dans un processus électoral transparent et démocratique. C’est le fonctionnement normal de nos institutions. Quand vous êtes à la tête d’une institution telle que la FFF, avec 2,4 millions de licenciés qui reflètent toutes les sensibilités de notre pays, il faut être respectueux du processus démocratique de notre pays et je le suis. J'attendrai comme tous les Français les résultats des élections dimanche et les conséquences qu’en tirera le président de la République.

Vous nous avez dit en conférence de presse il y a quelques jours que si jamais il devait y avoir une ligne jaune franchie en termes d’Etat de droit, vous prendriez vos responsabilités. En clair, si le Rassemblement national arrive au pouvoir, est-ce que votre démission pourrait être une issue?

Je ne me place pas dans cette configuration. J'ai dit que dans une Fédération comme la mienne, je suis défenseur de la devise de la République: liberté, égalité et fraternité. Je suis porteur des valeurs véhiculées par le sport, l’unité, la solidarité. En tant que citoyen, je suis aussi attentif au respect de l'Etat de droit. L’ensemble de ces dispositions est, pour moi, sacré. Si ces valeurs sacrées devaient être mises à mal, il m'appartiendra de regarder comment, à la tête de la Fédération, je dois y réagir.

Concernant les Jeux olympiques, vous aviez réuni l’ensemble des présidents de clubs français en décembre dernier pour leur expliquer l’importance de l’enjeu olympique. Au final, le PSG et Lille ne libèrent pas leurs joueurs. Quel bilan vous en faites aujourd’hui? Avez-vous clairement des déceptions?

Dès le début, on savait que la mission serait délicate. On a essayé de sensibiliser tout le monde et je voudrais d’abord remercier tous ceux qui ont dit oui. Beaucoup de clubs français ont répondu à l’appel de Thierry Henry. J’y associe aussi des clubs étrangers, anglais ou allemands, qui ont libéré leurs joueurs alors que personne n’y était obligé. Ensuite, certains ont été dans une situation qui les contraint, comme Lille. Ils ont un match de barrage de Ligue des champions qui est très important et on peut entendre leurs observations. Le PSG est dans un autre cas de figure, avec des joueurs qui sont à l'Euro. Je prends en compte chaque situation. Je ne jette la pierre à personne. Je sais que cet enjeu olympique est majeur pour notre pays mais je sais aussi que la liste de Thierry Henry est un groupe de talent. Donc ne minimisons pas la qualité de ce groupe.

Mais quand on voit Warren Zaïre-Emery, qui a priori ne va pas jouer une minute à l’Euro, on se dit que c’est dommage quand même…

Encore une fois, il ne m'appartient pas de me substituer au PSG. Thierry Henry a interrogé le club, il nous a donné une réponse et on la prend en compte. Avec cette contrainte, on essaye de constituer la meilleure équipe possible, et quand vous la regardez, vous voyez une équipe qui a un grand talent.

Olivier Létang (président de Lille, NDLR) porte la flamme olympique. Est-ce gênant, du fait qu’il décide de ne pas libérer les joueurs de Lille pour les JO?

Il ne faut pas faire polémique de tout et tout mélanger. Olivier Létang a été sollicité pour porter la flamme. D’un autre côté, son club est qualifié pour un barrage de Ligue des champions. Ne mélangeons pas les dossiers et gardons une sorte de paix olympique.

La Fifa doit-elle absolument mettre les Jeux olympiques dans ses dates? Car on s’aperçoit que c’est ça le fond du problème…

Pour le tournoi olympique masculin, tout ça n'est pas très adapté car ce n'est pas une date Fifa. On est donc contraints de ne pas pouvoir faire la meilleure équipe qu’aurait souhaité le sélectionneur. Le nombre de joueurs sur les listes est de 18. Ils doivent jouer six matchs en 17 jours. On a quatre réservistes qui sont en tribune, ce ne sont pas les meilleures conditions en termes de management. Et le tournoi commence deux jours avant la cérémonie d’ouverture… On voit bien qu’il y a une réflexion à mener sur la présence du football masculin aux JO. Il faut que les instances internationales lui donnent un sens. En l'état actuel, ce tournoi ne donne pas satisfaction pour les raisons que j’ai indiquées. Ce sont des grands joueurs et il faut un tournoi à la hauteur de leur talent.

La Ligue 1 reprend dans un mois et demi et il n’a toujours pas de diffuseur. Comment réagissez-vous à cette situation d’urgence?

Je déplore cette situation et je m'en inquiète pour les clubs. Ils n'ont pas de visibilité sur leur avenir et voient leur capacité à intervenir sur le marché des transferts gelée dans l’attente d’avoir une visibilité. Nous sommes dans une situation inédite car nous sommes le 2 juillet et le foot français n’a pas de contrat audiovisuel. Je sais que la LFP déploie tous ses efforts pour trouver une solution. J'espère qu’une solution sera trouvée. J'ai moi-même souhaité m'impliquer dans ce dossier de manière discrète pour essayer de renouer les fils entre un certain nombre de diffuseurs et la Ligue, pour que l'intérêt du foot français soit préservé. Ce n'est une bonne solution pour personne que le foot français soit précipité dans un chaos. J'appelle toutes les parties prenantes à se mettre autour d’une table pour trouver une solution très rapidement.

Les signaux que vous avez sont positifs? Vous avez dit être inquiet…

Il y a forcément de l'inquiétude car la situation est inédite. Il nous appartient de déployer tous nos efforts pour trouver une solution dans les prochains jours.

À qui la faute? Est-ce qu’on paye juste le passif avec Canal+? Comment tirer des leçons pour que ça n’arrive plus et cibler les responsabilités?

Avant de tirer des conclusions, il faut d’abord avoir un atterrissage définitif, voir si un accord est passé et voir à quel niveau il se situe. Ensuite, il sera temps de pointer les responsabilités. Il ne m'appartient pas aujourd'hui de pointer les responsabilités mais d’être dans une démarche proactive pour trouver les meilleures solutions pour nos clubs.

Peut-on vraiment éviter le dépôt de bilan dans des clubs fragiles budgétairement?

C’est tout l’objet de la négociation. Il ne faut pas jouer la politique du pire. Il faut que les animosités du passé restent dans le passé et retisser les liens qui auraient pu être distendus.

Un pourcentage non négligeable de ces droits TV va à la Fédération et au foot amateur. Si cette dotation venait à baisser sensiblement, la Fédération a-t-elle prévu de compenser ce manque à gagner?

Le travail effectué par la Fédération lui permet de garantir le financement du foot amateur dans de très bonnes conditions. Quand bien même les droits audiovisuels de la Ligue 1 devraient baisser, ce qui entraînerait une baisse de la dotation pour la Fédération, je peux dire aujourd'hui que les clubs amateurs ne sentiront pas la baisse. La perspective que nous avons devant nous est même une croissance des capacités d’aide de la Fédération auprès de ses clubs amateurs. La Fédération est dans une situation solide. La Fédération chapeaute non seulement le football amateur, mais elle a aussi la responsabilité in fine du football professionnel. C’est pour ça qu’on ne peut pas rester les bras ballants et que je suis aux côtés du président de la LFP pour le soutenir et essayer de faciliter les négociations qu’il mène avec les diffuseurs.

Article original publié sur RMC Sport