"Entre les potos": Champions Cup, UBB, Afrique du Sud, Yannick Bru dit tout dans le podcast rugby de RMC

Entraîner aux Sharks

"J’ai 49 ans. Si je ne l’avais pas fait maintenant, je n’aurai plus eu cette occasion. Ça n’a pas été tous les jours faciles parce que c’est une autre culture, une autre façon de coacher, un autre respect de la hiérarchie. Là, je pense que j’ai été adopté par tout le monde maintenant. J’ai découvert un pays magnifique, mais un pays dur. Avec des gens hyper attachants, qui adorent les Français. Et je prends beaucoup de plaisir et j’ai beaucoup appris. Le premier contact a été timide pour moi. Quand vous rentrez dans une pièce et qu’il y a six ou sept champions du monde, on se demande si on va être au niveau. Et très rapidement, on est frappé par la simplicité de ces gars-là et leur engagement. Pas sur le terrain, mais dans la semaine. Le rugby, c’est une affaire très sérieuse ici. Ils bossent, font leurs devoirs, ils pensent rugby, mangent rugby, dorment rugby. Il n’y a pas des moyens extraordinaires aux Sharks. Les joueurs du Stade Toulousain seraient déçus de voir les structures d’entraînement, la qualité de nos terrains d’entraînement. Ici, ce n’est pas sexy. Par contre, les gars sont vraiment au travail. Quand ils rentrent chez eux, au briefing des entraînements, dans la préparation du lendemain, c’est une affaire très, très sérieuse. Et je comprends mieux comment aussi rapidement, avec Rassie Erasmus (le sélectionneur de l’Afrique du Sud, ndlr), ils ont mis sur pied une équipe qui a été championne du monde."

La relation entre l’entraîneur français et les Sud-Africains

"Naturellement, ils ont un a priori positif sur la France. Ils aiment la France, ils aiment notre mode de vie. C’est difficile de se situer au départ car eux ne sont pas dans l’émotion. Ça ne gueule jamais chez eux. Il faut faire très attention quand tu critiques un mec. D’ailleurs, tu ne le fais pas en public. Les séances vidéo à l’ancienne, celles qui nous font rire en France, ici ce n’est pas possible. Tu ne t’adresses jamais mal à quelqu’un, il y a toujours un respect qui est non négociable. C’est assez feutré mais il y a une ambiance de fierté, de domination physique. Il faut vivre avec eux pour sentir ça tous les jours. Et ils ont un rapport au travail vraiment particulier. Je pense que c’est lié à la société sud-africaine, qui souffre. La vie en Afrique du Sud, c’est dur. Notamment à Durban où il y a de l’insécurité."

La part entre le physique et le rugby dans la préparation

"La domination physique est quelque chose qu’ils ont dans leurs gènes et leur culture. Par contre, c’est un peu réducteur de ne parler que de ça. Ils étudient tout, décortiquent tout, nous sommes un nombre d’entraîneurs incroyables. Et parfois, après avoir tout étudié, il leur semble que le chemin le plus court vers la victoire, c’est un rugby brutal. Mais s’ils ont choisi ce rugby-là, c’est qu’ils pensent que c’est le moyen le plus rapide vers la victoire. Ce qui revient toujours, c’est que l’on passe un temps que je dirai, de par mon éducation toulousaine, déraisonnable sur le "kicking game". Ils ont cette appétence pour la dépossession, pour faire courir l’équipe adverse, une approche tactique du jeu au pied qui m’a fait découvrir des choses. L’équipe de France est là-dedans depuis quelques années maintenant, mais je sais aussi que les Sud-Africains ne sont pas des "bourrins". Ils ont cette culture de la domination physique, mais ils étudient tout. Tous les angles du jeu, tout ce qu’il est possible de faire. On passe un temps incroyable en réunion, tactique et stratégique."

Son apport personnel à cette équipe

"J’espère que je leur apporte quelques petits trucs (sourire)! Déjà, la connaissance des équipes européennes, car une de mes missions ici, c’est ce qu’ils appellent les "preview", la présentation des équipes adverses, forces et faiblesses. Et après, j’espère, et ça les a un peu choqués au début, une culture du jeu en mouvement. Eux aiment répéter les exercices. Quand tu travailles le jeu au sol ici, le nettoyage, ils mettent des boudins au sol et il faut venir taper très fort et très bas. Bon, nous, on aime bien mettre le ballon en jeu et jouer des surnombres, regarder et s’adapter, prendre parfois des décisions. Ça, ça les perturbe. Un Français ou un latin, si tu lui fais les mêmes entraînements pendant trois semaines, il va te dire: "attend, tu commences à me faire ch… avec tes séances". Un Sud-Africain, si tu modifies trop souvent la séance, il va te dire: "attend, coach, je ne sais plus ce qu’il faut faire". Ils aiment bien quand ça répète, quand ça donne de la confiance. Ils marchent à ça, sur la répétition, sur la confiance parfaite de ce qu’on attend d’eux."

L’attrait pour la Champions Cup

"Je mentirai si je disais qu’il y a un engouement terrible. Là, on a joué les huitièmes devant 25.000 personnes dans le stade à Kings Park. Donc l’engouement vient avec la victoire et les phases finales. Jusque-là, le public trouvait ça un peu illisible. Par contre sportivement, il y a une grosse excitation. Les joueurs veulent montrer qu’ils sont dignes de la Coupe d’Europe. Ils ont été un peu blessé qu’on dise qu’ils arrivent en force dans cette compétition sans être légitimes. Ils veulent justement montrer leur légitimité sportive. Et ça génère une motivation assez incroyable. Je pense par ailleurs que ça a fait monter le niveau de la compétition. Sans entrer dans les considérations politiques, on voit bien qu’il y a les trois franchises sud-africaines en huitième, deux en quart où il y aura des beaux matchs, la Coupe d’Europe va en tirer quelque chose sportivement: si on est honnête, à part La Rochelle, Toulouse et le Leinster, qui pouvait la gagner? Ça tourne un peu en rond, notamment parce que les clubs anglais sont sur le déclin. Après, du point de vue plus politique et du patrimoine, je ne rentre pas dans ce sujet."

Le voyage vers Toulouse, pas ce qu’on imagine

"On ne se plaint pas ici. Mais le confort des joueurs passe vraiment en second plan. Nous, la logistique est compliquée, comme lorsqu’on voyage pour le United Rugby Championship, avec des voyages de douze heures vers l’Europe. On va partir ce mardi vers 13h et on arrivera mercredi matin vers 10h à Toulouse. L’équipe va se diviser en deux groupes pour avoir assez de sièges sur deux compagnies différentes. Inutile de dire que personne ne voyage en classe affaire. Et en plus on a eu une réponse au dernier moment pour voyager."

Quelle équipe pour les Sharks face à Toulouse et quelle stratégie?

"On a eu de la casse contre le Munster. Pour notre demi de mêlée Jaden Hendrikse, c’est sévère et il est acquis qu’il est forfait. Concernant Eben (Etzebeth), il est allé consulter des spécialistes et on ne désespère pas de l’avoir. On espère car il n’y en n’a pas beaucoup des comme lui. Mais ce sera une décision en fin de semaine. Enfin, le danger numéro un face à Toulouse? C’est du un au quinze! Il y en a quinze (sourire)! Face au Munster, on savait que la ligne d’avantage et le jeu au sol était très important, donc on a fait un bon match dans ces secteurs-là. Mais sans manquer de respect à cette équipe, ce n’est plus le Munster d’il y a dix ans et ça n’a rien à voir avec le niveau du Stade Toulousain. Le Munster ne propose pas des joueurs de classe mondiale à plusieurs postes. C’est le cas de Toulouse aujourd’hui. Je connais bien la maison et je sais que le danger vient de partout. Si tu mets trop d’attention sur un secteur, tu vas te faire avoir sur d’autres parce qu’il y a pleins de bons joueurs qui prennent les bonnes décisions et qui sont bien éduqués rugbystiquement. Et qui sont avant tout costauds sur les bases. On dit souvent que le Stade Toulousain, c’est le jeu debout, la culture du off-load. Oui, mais en préambule, il y a toujours un travail de sape important. Donc je sais qu’il y aura du danger partout et qu’on ne sera pas favori, même si on a de très bons joueurs dans notre équipe. J’espère qu’on fera un gros, gros match. En tous cas ce sera un super évènement et j’ai hâte d’y être."

La Coupe du monde en France vu d’Afrique du Sud

"C’est le thème du moment. Est-ce que les Springboks vont être capables de rentrer dans l’histoire et de défendre leur titre? Etre la première nation à quatre titres de champions du monde? C’est leur fil conducteur. Sur un sprint comme la Coupe du monde, ils seront redoutables. Même si c’est la fin d’un cycle pour eux, car Rassie Erasmus devrait passer la main après, c’est la grosse tendance ici. Ils ont un pack et des cadres un peu vieillissant, mais ils seront là! Dans la densité, dans l’esprit de compétition. Ils seront durs à manœuvrer."

Ses ambitions à l’Union Bordeaux-Bègles la saison prochaine

"L’ambition, c’est de continuer la progression de l’UBB en tant qu’équipe. Ce club, cette ville, véhiculent une image positive. Je crois aussi que la construction a franchi un cap avec l’ensemble du travail de Christophe Urios et de son staff. Et donc l’idée est de continuer cette progression globale du club et de faire partie de ce projet-là. Et quand tu as atteint les demi-finales, ce qu’ils ont fait en Coupe d’Europe et en championnat, qu’est-ce c’est de continuer la progression? C’est de jouer des finales. Et si tu joues des finales, peut-être qu’un jour tu en gagneras une. La feuille de route qu’a fixé Laurent Marti, c’est aller chercher un titre avec l’UBB dans les trois années qui viennent. Je pense que c’est quand même l’ambition de la plupart des présidents de clubs ambitieux du Top 14. Et moi je suis très content aussi car je pense qu’avec mon parcours, je fais aussi l’étape suivante. Alors je ne dis pas qu’on va y arriver, mais je vous promets qu’on va y travailler."

Article original publié sur RMC Sport