Comment les entraineurs sportifs de haut niveau gèrent leurs émotions
Les entraîneurs en sport de haut niveau sont amenés à ressentir des émotions intenses, multiples et parfois contradictoires dans le cadre de leur métier, par exemple, la déception comme le séléctionneur Fabien Galthié lors de la défaite de l’équipe de France en quart de finale de la la coupe du monde de rugby ; la joie comme Nicolas Castel lors des trois victoires de Léon Marchand aux championnats du monde de natation ; ou encore la colère comme l’entraîneur du PSG Christophe Galtier face au manque d’investissement et à la résignation de ses joueurs.
Longtemps considéré comme une activité rationnelle, le travail des entraîneurs est actuellement décrit par la recherche comme un travail émotionnel intense, qui nécessite d’être mieux connu, ne serait-ce que pour mieux comprendre les réactions de ces acteurs essentiels du sport, souvent surexposés médiatiquement.
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Le travail émotionnel
Le travail émotionnel peut être défini comme un effort pour réguler ses émotions afin de les mettre en adéquation avec les exigences de la situation vécue. Né des travaux de la sociologue américaine Arlie Hochschild dans les années 1980, ce concept s’est développé avec l’intention de souligner que les métiers liés aux services, souvent occupés par des femmes, s’avèrent très exigeants d’un point de vue émotionnel.
Le travail émotionnel a ensuite été analysé dans des domaines professionnels de plus en plus diversifiés, allant de l’hôtellerie à l’enseignement, en passant par le management ou la santé. Considéré comme un contexte particulièrement sollicitant d’un point de vue émotionnel, le sport de haut niveau fait aussi l’objet d’une attention particulière.
Tenus de respecter les règles d’interactions spécifiques à leur métier, les entraîneurs professionnels sont parfois obligés d’afficher des émotions qu’ils ne ressentent pas réellement (effort que l’on nomme jouer un « jeu en surface »), ou de faire un effort sur eux-mêmes pour changer les émotions qu’ils ressentent (ils jouent alors un « jeu en profondeur »). Par exemple, un entraîneur déçu de la défaite de son équipe peut masquer ses émotions négatives face à ses joueurs (« jeu en surface ») ou relativiser sa déception en se disant que les adversaires étaient particulièrement performants (« jeu en profondeur »). Dans d’autres cas, ils expriment leurs émotions sans tenter d’en modifier l’expression ou le ressenti (« expression authentique »).
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Depuis les années 2000, des travaux ont révélé que ces trois stratégies – le jeu en surface, le jeu en profondeur et l’expression authentique – ne comportent pas les mêmes coûts psychologiques. Autrement dit, il est plus aisé d’exprimer sincèrement ce que l’on ressent plutôt que de lutter pour y faire face. Le jeu en surface ferait courir un risque de mal-être, voire de burnout, quand l’expression des émotions authentiquement vécues constituerait la stratégie de travail émotionnel la plus favorable à la satisfaction au travail.
Des travaux conduits auprès d’un entraîneur de handball de haut niveau français ont récemment nourri une approche psychologique permettant de décrire trois composantes du travail émotionnel en contexte de coaching : la source de l’émotion (ou « inducteur émotionnel »), la nature de l’émotion ressentie, et la régulation mise en œuvre pour y faire face. Dans cette perspective, le travail émotionnel de l’entraîneur de haut niveau ne peut être compris en dehors du contexte (recherche de performance, pression médiatique, etc.) dans lequel il émerge.
Les inducteurs de l’émotion
Éléments saillants au sein d’environnements complexes et fluctuants, les inducteurs déclenchent l’expérience émotionnelle du professionnel. Lorsque Pep Guardiola exprime sa tristesse au micro de journalistes en août 2023, nous comprenons qu’elle provient de la situation d’un de ses joueurs, David Silva. Suite à une grave blessure, ce dernier a été contraint de mettre fin à sa carrière.
Plus généralement, les émotions des entraîneurs de haut niveau sont susceptibles d’être induites par une diversité d’éléments de contexte allant bien au-delà de ce que les médias affichent habituellement.
Un récent rapport sur les conditions de travail des entraîneurs de haut niveau en France a révélé que les relations avec les athlètes constituaient un inducteur majeur d’émotions positives au travail. Autrement dit, le plaisir et la satisfaction dans le métier proviennent tout particulièrement de la relation entraîneur-entraîné.
À l’inverse, l’insatisfaction des entraîneurs proviendrait notamment d’une difficulté à concilier la vie professionnelle et la vie familiale, d’un manque de reconnaissance ou des contraintes imposées par leur travail. La documentation des inducteurs des émotions des entraîneurs en psychologie du sport rejoint les résultats de cette enquête en montrant notamment que les dimensions relationnelles du métier occupent une place majeure dans la vie des entraîneurs. Joueurs, arbitres, staff, dirigeants, médias, l’ensemble du système social entourant l’entraîneur est générateur d’émotions plus ou moins positives et intenses. Dans ce paysage, les résultats sportifs suscitent des émotions, mais ils sont loin d’être les seuls.
L’expérience émotionnelle de l’entraîneur
Les entraîneurs en sport de haut niveau sont confrontés quotidiennement à un large panel d’émotions positives et négatives plus ou moins intenses selon les évènements vécus. Une interview de l’entraîneur français de handball Guillaume Gille suite au mondial de handball à Stockholm illustre cette diversité d’émotions ressenties par l’entraîneur. La frustration liée à une défaite en finale n’efface pas la joie d’avoir livré de belles performances nourries par un état d’esprit positif des joueurs.
En psychologie du sport, les émotions restent le plus souvent appréhendées du point de vue des joueurs, afin de montrer les liens qu’elles entretiennent avec la performance. Le coaching sportif a quant à lui surtout été étudié comme une activité rationnelle valorisant les connaissances, et l’analyse des forces et des faiblesses d’une situation pour prendre une décision, avec une visée d’efficacité maximale. Néanmoins, de récentes études ont mis en évidence que l’émotion ne devait pas être nécessairement contrôlée ou désactivée pour faire des choix pertinents. Loin d’être dangereuses, les émotions jouent un rôle essentiel en plaçant l’entraîneur en état d’alerte et en le conduisant, comme ses joueurs, à utiliser son intuition à bon escient.
Ainsi, les expériences vécues dans le cadre du métier comportent toutes une part d’émotions, même si leur intensité varie selon l’évaluation que l’entraîneur en fait.
La régulation des émotions
Lorsqu’il ressent une émotion, l’entraîneur effectue un travail afin de se mettre en conformité avec les attentes liées à la situation vécue. L’entraîneur de handball Thierry Anti s’est prêté au jeu de réaliser un entretien avec des chercheurs en psychologie du sport après des matchs à forts enjeux vécus lorsqu’il était en charge du PAUC (Pays d’Aix Université Club).
Au début d’un match, l’un de ses joueurs a réalisé une action contraire aux consignes qui avaient été données en amont, faisant perdre le ballon à son équipe. Lors de l’entretien, l’entraîneur a exprimé avoir ressenti beaucoup de colère, mais à l’avoir masquée en raison du contexte (début de match, risque de perturbation des joueurs, etc.). Pour autant, les émotions qu’il a ressenties l’ont mis en alerte vis-à-vis de ce joueur et plus généralement de son équipe, l’amenant à réaliser des choix de rotation qu’il n’aurait sans doute pas effectués dans une autre configuration.
La mise en évidence des mécanismes liés à cette régulation des émotions est au cœur des travaux menés sur le travail émotionnel dans une approche psychologique. Si des relations ont été démontrées concernant les stratégies de travail émotionnel et le coût psychologique pour l’entraîneur, il reste de nombreuses zones d’ombre relatives à l’influence du contexte sur ce travail émotionnel. Par exemple, une des thèses réalisées dans notre équipe de recherche porte sur les relations entre les émotions des entraîneurs de handball et les décisions qu’ils prennent pour infléchir le cours d’un match lors de situations à fort enjeu.
Finalement, ces travaux en psychologie du sport montrent toute la complexité et la finesse du travail d’un entraîneur de haut niveau et mettent en avant la place des émotions dans le développement de son expertise. Nos premières avancées fournissent déjà des pistes prometteuses pour nourrir la formation initiale et continue de ces acteurs clés dans la quête du très haut niveau.
Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la science (qui a lieu du 6 au 16 octobre 2023 en métropole et du 10 au 27 novembre 2023 en outre-mer et à l’international), et dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition porte sur la thématique « sport et science ». Retrouvez tous les événements de votre région sur le site Fetedelascience.fr.
La version originale de cet article a été publiée sur La Conversation, un site d'actualités à but non lucratif dédié au partage d'idées entre experts universitaires et grand public.
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