"Les enfants ont entendu et vu la mort": l'impact de l'attentat de Nice sur les petites victimes

"Les enfants ont entendu et vu la mort": l'impact de l'attentat de Nice sur les petites victimes

"Je ne voudrais pas que ces enfants deviennent des victimes à vie, mais des anciennes victimes." Michèle Battista, psychiatre pour enfants et adolescents, a rencontré plus de 700 patients après l'attentat de Nice. Avec son équipe de l'hôpital Lenval de Nice, ils ont réalisé plus de 7000 consultations. Un chiffre en augmentation à l'approche du procès qui se tient actuellement devant la cour d'assises spéciale, comme à chaque date anniversaire de l'attaque.

L'attentat de Nice a cette particularité d'avoir touché particulièrement les enfants, dont nombreux étaient présents sur la promenade des Anglais pour assister aux festivités du 14-Juillet quand Mohamed Lahouaiej-Bouhlel a projeté son camion sur la foule. Dans le cabinet de la médecin, les petits ont souvent reproduit l'attentat avec des Playmobils.

"Le jour du 14 juillet tout s'est effondré dans un contexte de fête, développe la psychiatre qui a témoigné ce jeudi devant la cour d'assises spéciale. Il est impensable pour un enfant d'alterner en si peu de temps la joie et le visage effrayé de ses parents."

"La peur du camion"

Ce soir-là sur la promenade des Anglais, les enfants ont dû faire face à aux "visages d'adultes normalement protecteurs" qui "leur étaient méconnaissables parce que terrifiés". "Les enfants ont entendu et vu la mort, ils ont découvert le confinement quand ils se sont cachés dans certains endroits, certains ont été séparés de leurs parents, ils se sont trouvés isolés, sans défense, perdus, pour certains nourrissons, parmi les corps et les blessés", a détaillé le docteur Michèle Battista.

Dans la très grande majorité, ces enfants souffrent de stress post-traumatique, qui peut ressurgir à n'importe quel moment de leur vie. Un stress difficile à percevoir chez des jeunes qui parfois ne verbalisent pas encore. "Chez l'enfant, cela se traduit par des choses très sensorielles, des choses très fines à repérer, analyse pour sa part le professeur Florence Askenazy, la cheffe du service de psycho-traumatisme pédiatrique de l’hôpital de Lenval. Cela peut être des réactions de sursaut, des agitations quand ils entendent des bruits." Un stress qui s'accompagne dans de très nombreux cas par des "phobies spécifiques": "À Nice, c'est la peur du camion."

"Plus l'enfant est jeune, plus il parle à travers son corps, poursuit le docteur Michèle Battista. Il peut y avoir toujours un petit bobo quelque part, un développement de pathologies, comme l'asthme, le diabète, des troubles de l'attention. Pour les plus âgés, ça peut être une dépression, une tendance suicidaire. Cela peut être aussi l'évitement sensoriel, plus envie de manger une glace par exemple, car on mangeait une glace le soir de l'attentat."

Les deux expertes ont noté "l'effet boule de neige" de cet attentat, la souffrance des parents rejaillissant sur leurs enfants. "Les familles étaient ensemble, nous avons beaucoup de parents fortement impactés par attentat, qui ont des petits", rappelle le professeur Askenazy. Des parents qui vivent avec "un sentiment de culpabilité" d'avoir emmené leurs enfants ce soir-là ou avec un stress toujours présent, comme la peur de partir en vacances ou de sortir. Pour les enfants, c'est aussi "la peur de la séparation" qui prédomine, même chez les plus âgés.

Un tiers des enfants suivis vont bien

L'impact de l'attentat a pu aussi se ressentir chez les bébés qui sont nés au moment de l'attentat de Nice. "Le cortisol (l'hormone du stress, NDLR), quand il est secrété de façon très intense, imprègne de façon très intense et crée une sorte de cicatrice sur le long terme, a expliqué le docteur Battista. Pendant la grossesse, l'enfant est en communication avec la mère, tous les neurotransmetteurs de la mère imprègnent le cerveau de l'enfant, et dès le début de la grossesse. L'hormone traumatique impacte le développement du cerveau de l'enfant."

Lors des consultations avec ces enfants, une question est souvent revenue. Comment un homme a-t-il pu foncer avec son camion sur la foule? "Je ne peux pas répondre à ce que je ne sais pas, a reconnu le docteur Battista. Je leur ai expliqué que le camion a été démonté et plus jamais il ne fera de mal aux gens et la police avait du enlever la vie à ce monsieur car il ne comprenait pas qu'il fallait arrêter."

Certains enfants souhaitent désormais être entendus comme témoin par la cour d'assises. "Les enfants sont tout à fait au courant de ce qui est en train de se passer, ils attendent quelque chose, même les petits", confirme le professeur Azkenazy.

Aujourd'hui, les spécialistes assurent "qu'un tiers" des enfants qui ont été suivis à Nice "vont bien". "Un tiers fonctionnent mais souffrent de stress post-traumatique, le dernier tiers nécessite des soins", conclut le docteur Battista.

Article original publié sur BFMTV.com