Pour vous endormir, vous imaginez des scénarios un peu fous ? C’est normal et vous n’êtes pas seul

Pour trouver le sommeil, certains se racontent des histoires fictives, s’envolent vers des univers imaginaires, ou s’inventent des conversations avec leur crush. Une routine qui naît souvent dès l’enfance et leur permet de fuir l’anxiété.

« Avoir une activité fictionnelle avant de s’endormir, c’est vieux comme le monde », selon le Dr Marc Rey.
« Avoir une activité fictionnelle avant de s’endormir, c’est vieux comme le monde », selon le Dr Marc Rey.

SOMMEIL - Julie a 38 ans. La journée, elle est juriste. Mais une fois la nuit tombée, son autre vie commence. Alors qu’elle est sur le point de s’endormir, Julie prend ses fonctions de neurochirurgienne au Seattle Grace Hospital, où elle tente de se faire accepter par ses nouvelles équipes. Ce scénario, inspiré de la série Grey’s Anatomy, la trentenaire le revit tous les soirs pour trouver le sommeil. « C’est vraiment mon toboggan pour rentrer dans la nuit », explique-t-elle.

Comme Julie, ils sont nombreux à s’imaginer des scénarios une fois arrivée l’heure du coucher. Le phénomène a même trouvé sa place sur TikTok, où certains partagent leurs histoires fétiches pour trouver le sommeil.

Le HuffPost a recueilli une dizaine de témoignages d’adeptes de cette méthode. Parmi eux, Matthieu, 49 ans, qui s’imagine avoir un budget illimité pour rénover sa maison, ou encore Charlotte, 37 ans, qui avait Heath Ledger et Josh Hartnett pour voisins pendant ses rêveries adolescentes.

« C’est très fréquent. Il y a des gens qui vont le faire quasiment systématiquement avant de s’endormir tous les jours, d’autres qui vont le faire épisodiquement », explique le Dr Nicolas Neveux, psychiatre et auteur de Pratiquer la Thérapie Interpersonnelle (TIP) (éd. Dunod).

« Ça dépend de la façon dont est construit votre cerveau »

Armelle a passé les soirées de son enfance à se rêver en patineuse artistique, vivant une folle passion avec son partenaire de compétition. Aujourd’hui encore, la trentenaire aime se « raconter des histoires d’amour ». « Je suis en couple et, bien sûr, ces histoires ne sont jamais avec mon mec, mais jamais avec des gens existants non plus, plutôt avec une idée d’un amoureux. En général, quand je suis au lit, si je ne trouve pas le sommeil au bout de 30 secondes, je me mets à me raconter une histoire et au bout de cinq minutes, je dors. »

La trentenaire a longtemps pensé que tout le monde s’adonnait à ce genre de routines. Ce n’est que lors d’une conversation pendant un atelier d’écriture qu’elle a pris conscience « que les autres gens ne se racontaient pas forcément des histoires pour s’endormir ».

« Ça dépend complètement de la façon dont est construit votre cerveau », rappelle le Dr Marc Rey, président de l’Institut national du sommeil et de la vigilance (INSV). « Chacun a sa façon de se rassurer pour lâcher prise. Mais avoir une activité fictionnelle avant de s’endormir, c’est vieux comme le monde. Les parents ont l’habitude de raconter ou de lire des histoires à leurs enfants au moment du coucher. »

Faire le lien entre le conscient et l’inconscient

Trouver le chemin vers l’inconscient est la principale fonction de ces scénarios fictifs. « Lorsque vous vous endormez, vous laissez la partie consciente au repos et vous laissez l’espace psychique à l’inconscient, qui va faire des associations d’idées, qui va laisser la partie imaginative s’exprimer », explique le Dr Nicolas Neveux.

Depuis l’adolescence, Lauren, 40 ans, profite du moment du coucher pour se « projeter dans ce qu’[elle a] envie qu’il se passe » dans sa vie. C’est un moment où elle se « connecte avec [son] inconscient ». « L’endroit où je vais est tout près de la rêverie, donc c’est comme si je passais la porte très rapidement après vers le sommeil. Et il y a un moment où je perds le contrôle du petit scénario que je crée et ça devient n’importe quoi. J’aime bien cette sensation parce que je me rends compte que je m’endors et je suis consciente de la rêverie. À ce niveau-là, c’est une pratique quasi ésotérique. »

Un floutage entre rêve et réalité qui va plus loin pour certains qui réussissent même à prolonger leurs scénarios imaginaires dans leurs rêves. C’est le cas de Julie, qui a pu vivre son quotidien de neurochirurgienne même après avoir trouvé le sommeil.

Des histoires qui servent d’échappatoire à la réalité

Mais si certains aiment se raconter des histoires pour s’endormir, c’est aussi pour éloigner les soucis du quotidien. Pendant six ans, Noélie a eu un travail stressant et « sans réels congés ». Le soir, elle se tournait souvent vers le même scénario : naufragée sur une île déserte, « sans personne, tranquille », elle passait sa journée à bâtir son campement, couper du bois et bronzer sur la plage. « Ça m’offrait une échappatoire, se souvient-elle. Je n’avais plus aucune pensée sur le monde réel et j’aimais prendre mes propres décisions sans qu’aucun élément extérieur ne vienne perturber ma tranquillité. »

Anna, 34 ans, utilise cette routine pour lutter contre ses pensées intrusives. « Quand j’ai trop d’images angoissantes qui me surgissent dans la tête avant de m’endormir, je me force (avec plus ou moins de succès) à me concentrer sur des histoires qui sont souvent assez joyeuses et relativement futiles, et ça me calme. »

Les vertus distrayantes de ces scénarios reviennent dans la plupart des témoignages et les fictions que chacun se raconte reflètent souvent leurs préoccupations du moment. « Les moments où je me suis sentie seule, mon personnage était entouré de plein d’amis », explique Cathy, qui suit les mêmes personnages dans sa tête depuis son enfance. « Les moments où ça ne va pas, mon personnage va bien. Si je m’ennuie dans la vie, il va y avoir des aventures folles dans ma tête. C’est un peu un mécanisme de défense pour contrebalancer la réalité. »

Un lien très fort avec la fiction dès l’enfance

Alors, cette méthode peut-elle être adoptée par tous ceux qui ont du mal à s’endormir ? Pas forcément, selon le Dr Marc Rey, qui prévient : « oui, les histoires ont un effet apaisant. Mais pour produire des histoires apaisantes, il faut le pouvoir. Et ce n’est pas certain que tout le monde en soit capable. »

La capacité (et l’envie) qu’ont certains à se raconter ces scénarios imaginaires remonte souvent à l’enfance et est nourrie par la fiction. C’est en jouant à Tomb Raider que Fanny a commencé à s’inventer des scénarios. Quant à Damien, il a trouvé ses premières inspirations dans les dessins animés qu’il regardait petit. « Je devenais le héros, raconte le trentenaire aujourd’hui. J’ai sauvé la Terre à trois ou quatre reprises dans mes pré-songes. »

Et avant de rejoindre l’équipe de chirurgiens du Seattle Grace Hospital, Julie a vécu dans l’univers de Friends et de Dawson à l’adolescence (Pacey tombait, bien entendu, sous son charme et quittait Joey pour elle). « C’est peut-être un peu triste de dire ça, mais j’ai quand même toujours trouvé que la vie des livres et des séries était plus sympa » que la vie réelle, estime la trentenaire.

Pour certains, ce lien très fort avec la fiction s’est même poursuivi dans leurs passions ou choix de carrière. Fanny a tiré un livre de ses scénarios nocturnes. Quant à Anna, elle est aujourd’hui scénariste. Et elle en est persuadée : cette vocation est née dans ses rêveries à l’heure du coucher.

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