Emmanuel Macron attaqué par le Rassemblement national sur sa santé mentale : on analyse cette stratégie

Au Salon de l’Agriculture, le président du RN Jordan Bardella a dit penser que « le président de la République est dans une dérive schizophrénique assez inquiétante et dangereuse au regard de sa fonction ». Un recours au champ lexical des troubles mentaux problématique pour les personnes diagnostiquées mais peu surprenant dans le discours d’extrême droite. (photo d’illustration prise le 19 février 2024)

POLITIQUE - Peut-on parler de schizophrénie à propos d’une personnalité publique non diagnostiquée comme telle ? Prétendre qu’il ou elle tombe « dans une forme de paranoïa » ? Le traiter de « fou » ? Tous ces termes ont été utilisés en quarante-huit heures par des élus du Rassemblement national pour critiquer le président de la République Emmanuel Macron et sa politique. Un choix de mots peu surprenant dans le discours de l’extrême droite, qui n’en a pas le monopole pour autant.

Face à Bardella, Macron et Attal tentent une contre-attaque qui en dit long sur les européennes

De Jean-Luc Mélenchon ciblant la « semi-démente » Marine Le Pen en 2012, à Gérald Darmanin taclant les élus RN « totalement schizophréniques » à l’Assemblée en septembre 2023, ce champ lexical n’est en effet pas réservé à ce camp. En revanche, le parti de Jordan Bardella en fait un usage particulièrement fréquent par rapport aux autres formations politiques, au point d’en faire une stratégie dans un contexte électoral européen où « l’adversaire » désigné reste le président de la République.

Une stratégie assumée par Marine Le Pen qui a dénoncé ce jeudi 29 février « l’obsession pathologique » d’Emmanuel Macron.

Quand Marine Le Pen se réfère à un psy italien

Retour dimanche 25 février. En direct du Salon de l’Agriculture, Jordan Bardella répond à Emmanuel Macron qui lie le RN aux huées dont il a fait l’objet : « Je pense que le président de la République est dans une dérive schizophrénique assez inquiétante et dangereuse au regard de sa fonction. Probablement, il tombe dans une forme de complotisme, de paranoïa qui est le propre de tous extrêmes », déclare le président du parti. Deux jours plus tard, c’est Philippe Olivier, eurodéputé et conseiller spécial de Marine Le Pen qui écrit sur X « cet homme est fou » pour fustiger une déclaration du président de la République sur l’envoi (éventuel) de troupes en l’Ukraine. Au micro de LCP quelques heures plus tard, la députée RN du Gard Pascale Bordes estime à propos du chef de l’État qu’« on a l’impression qu’il est en permanence sous certaines substances psychotropes ».

Emmanuel Macron n’est pas la seule cible. Mardi 27 février, la députée RN de l’Hérault Stéphanie Galzy partage un montage vidéo réalisé par ses équipes visant Robert Ménard, ancien proche de Marine Le Pen. Le maire (DVD) de Béziers y est affublé d’un nez rouge de clown avec cette phrase « Qu’est-ce que la schizophrénie ? » avant qu’un semblant de définition soit apporté par un homme non identifié.

Face à ses opposants politiques, le RN ne se contente pas que du champ lexical. En mai 2017, le Canard Enchaîné révélait comment les conseillers de Marine Le Pen avaient visionné, avant de la préparer au débat d’entre-deux tours, une analyse d’un psychiatre italien, proche de la droite conservatrice, et qui dépeignait Emmanuel Macron en « psychopathe narcissique ». Analyse uniquement basée, de l’aveu même de son auteur, sur « les images en sa possession et la biographie » du président de la République, soit une méthodologie pour le moins contestable.

Alimenter « des ressorts émotionnels de haine »

Alors que la schizophrénie est un trouble mental qui touche 600 000 personnes en France, et que le « mésusage outrancier » du mot est déploré par les associations en raison de ses conséquences néfastes sur les premiers concernés et leurs familles, utiliser ces expressions permet au parti lepéniste de dénigrer le chef de l’État sur le plan humain voire médical, et non sur le terrain strictement politique.

Des attaques ad hominem loin du débat d’idées, qui visent un objectif bien précis : « dévaloriser l’adversaire et discréditer sa parole en le situant hors de la sphère rationnelle » analyse pour Le HuffPost Cécile Alduy, professeur de littérature et civilisation française à Stanford University et chercheuse associée au CEVIPOF. La chercheuse souligne également que cette tactique rhétorique est utilisée par l’ex-président américain Donald Trump, connu pour ses propos outranciers à l’égard de ses contradicteurs. Dans la course à la présidentielle américaine, l’ex-locataire à la Maison Blanche raille à longueur de discours les facultés mentales de Joe Biden.

« Stigmatisant pour les maladies mentales, ce discours alimente aussi les ressorts émotionnels de haine envers Macron car il devient “légitime” de haïr quelqu’un qui est dangereux, anormal, “pas comme nous”, observe la chercheuse. Et il s’intègre parfaitement dans le discours général de l’extrême droite qui établit des différences de nature entre les groupes pour en déshumaniser certains ».

À voir également sur Le HuffPost :

Marine Le Pen et Jordan Bardella ont déjeuné avec la cheffe de l’AfD (mais ne veulent pas trop que ça se sache)

En quittant le Salon de l’agriculture, Emmanuel Macron tacle le RN et ses « craques »