Dupés, des Sri-Lankais combattent en Ukraine et n'en reviennent pas

Anil Madusanka, un chauffeur d'hôtel qui a rejoint les forces russes, montre sa blessure lors d'un entretien avec l'AFP à Colombo, le 4 juin 2024 (Ishara S. KODIKARA)
Anil Madusanka, un chauffeur d'hôtel qui a rejoint les forces russes, montre sa blessure lors d'un entretien avec l'AFP à Colombo, le 4 juin 2024 (Ishara S. KODIKARA)

Le Sri Lanka a encouragé les recherches d'emploi à l'étranger après le déclenchement d'une crise économique en 2022, mais aujourd'hui il peine à retrouver ses ressortissants qui, parfois victimes de fausses promesses, combattent en Ukraine d'un côté ou de l'autre du front.

Sans nouvelles depuis des mois, des familles désemparées exhortent les autorités à leur venir en aide.

"Ce que nous demandons, c'est d'aider à ramener nos maris", explique Renuka Karunaratne, 49 ans. Son époux a été trompé par un intermédiaire perfide, auquel elle dit avoir versé 10.000 dollars, une pratique dénoncée par de nombreuses familles.

"Nous avons vendu tout ce que nous possédions, y compris les bijoux", "nous avons même hypothéqué une partie de notre maison", se lamente Mme Karunaratne devant l'ambassade russe à Colombo, où elle manifeste pour réclamer le retour de son mari.

En mai, le Parlement de Colombo a ouvert une enquête pour retrouver plus de 2.000 Sri-Lankais engagés, du côté russe comme du côté ukrainien, dans les forces armées ou parmi les mercenaires.

D'après le gouvernement, une dizaine de Sri-Lankais sont prisonniers de guerre en Ukraine. Et au moins 16 Sri-Lankais sont morts et 37 autres ont été blessés depuis l'invasion russe de l'Ukraine, selon des médias.

Mais ni Moscou ni Kiev ne communique sur le nombre d'étrangers --dont beaucoup originaires d'Asie du Sud-- servant dans leurs rangs ou retenus comme prisonniers de guerre.

Le ministère des Affaires étrangères du Sri Lanka a néanmoins annoncé mardi avoir reçu des garanties de la Russie, qui aurait déclaré cesser de recruter des citoyens srilankais pour combattre en Ukraine.

Il a "été convenu qu'il n'y aurait plus de recrutement au Sri Lanka" et Moscou accueillera une délégation de la République de l'Océan indien le 26 juin pour "examiner ces questions en détail et prendre les mesures nécessaires pour mettre un terme à la situation", a-t-il indiqué dans un communiqué.

- "Ils perdent espoir" -

Une crise économique inédite s'est abattue sur le Sri Lanka début 2022. Le pays, à court de devises étrangères, ne pouvait plus importer de nourriture, de carburant et d'autres produits de première nécessité, et a fini par faire défaut sur sa dette extérieure.

Nilmini Chandima Dissanayake, 41 ans, raconte que la crise a conduit son époux, un ancien soldat, à se rendre en Russie, à plus de 6.000 km de là.

"Mon mari était dans le régiment commando pendant 22 ans", relate-t-elle à l'AFP. "Il était parti à la retraite, il a eu plusieurs petits boulots mais a trouvé que ce n'était pas suffisant pour s'en sortir."

Des annonces diffusées sur des groupes WhatsApp de militaires à la retraite promettaient des salaires mensuels de plus de 2.100 dollars, soit 13 fois le revenu moyen au Sri Lanka.

Les familles étaient aussi appâtées par des promesses de terrains en Russie, où elles pourraient s'installer.

D'après l'ambassadeur russe Levan Djagarian, "beaucoup" de visas ont été délivrés à des Sri-Lankais. Mais, insiste-t-il, ceux-ci n'ont pas communiqué la raison de leur départ pour Moscou.

Mme Dissanayake n'a aucune nouvelle de son mari depuis le 1er mai, soit un mois après son arrivée à Moscou pour, pensait-il, être affecté à un poste n'exigeant pas de prendre les armes.

"Son dernier appel, c'était pour supplier de le faire rentrer à la maison", se souvient-elle. "Chaque jour qui passe, ils perdent espoir dans leur survie".

- "Dupés" -

La police sri-lankaise a arrêté deux généraux à la retraite pour avoir travaillé illégalement en tant que recruteurs pour des sociétés russes de mercenariat. Six autres personnes ont été appréhendées pour les avoir aidés.

Au moins 22 Sri-Lankais ayant rejoint les forces russes sont parvenus à déserter et revenir dans leur pays, selon des responsables de la Défense.

"Ils ont été dupés", explique à l'AFP le porte-parole du ministère de la Défense, Nalin Herath.

Parmi eux, Anil Madusanka, un chauffeur d'hôtel de 37 ans. Blessé aux jambes par des éclats d'obus, il se remet chez lui de sept terrifiantes semaines en Russie.

"Beaucoup de personnes connaissent des problèmes" économiques, "c'est pourquoi ils vont en Russie ou en Ukraine", explique-t-il.

Au lieu de l'emploi de chauffeur qu'on lui avait promis, il s'est retrouvé avec un fusil d'assaut à combattre les forces ukrainiennes. Blessé et hospitalisé, il a réussi à rejoindre l'ambassade sri-lankaise à Moscou, qui a organisé son rapatriement le 25 mai.

"Je suis chanceux d'avoir pu m'enfuir", souffle-t-il.

Tharaka Balasuriya, ministre d'Etat des Affaires étrangères, indique que son pays, neutre vis-à-vis de la guerre en Ukraine, fait pression sur Kiev pour libérer les prisonniers de guerre, et enverra une délégation à Moscou pour faire la même demande.

Et d'assurer: "si des Sri-Lankais sont dans une situation dangereuse, il est du devoir du gouvernement (...) d'assurer qu'ils rentrent sains et saufs".

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