Droits des enfants handicapés : Comment cet enseignant est devenu lanceur d’alerte

La Défenseure des Droits appelle, dans un rapport, à mieux adapter l’école aux besoins des élèves en situation de handicap.
GAJIC2021 / Getty Images La Défenseure des Droits appelle, dans un rapport, à mieux adapter l’école aux besoins des élèves en situation de handicap.

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La Défenseure des Droits appelle, dans un rapport, à mieux adapter l’école aux besoins des élèves en situation de handicap.

HANDICAP - « Continuer à me taire, c’était être complice de l’entrave aux droits de ces enfants en situation de handicap. » Ces mots sont ceux d’Olivier Paolini, enseignant spécialisé dans un institut médico-éducatif (IME) à Narbonne. Le 31 août, un courrier de l’ONU adressé à l’État français alerte sur « des actes d’intimidation présumés » contre ce prof, qui a désormais le statut de lanceur d’alerte. Retour en arrière pour comprendre cette affaire.

Elle prend corps à l’IME « Les Hirondelles » à Narbonne (Aude). L’établissement, qui existe depuis 1959, accueille aujourd’hui 90 enfants en situation de handicap. Olivier Paolini y est chargé depuis 2009 de coordonner la scolarisation en « unité d’enseignement externalisée » (UEE), un dispositif qui permet la scolarisation de certains enfants à temps partiel dans une école ou un collège dit « ordinaire ».

L’histoire se corse à l’aube de la rentrée scolaire 2020, lorsque l’enseignant organise l’emploi du temps de la quinzaine d’enfants concernés dans son IME. Selon un cahier des charges développé dans une circulaire datant de 2016, il est recommandé que les effectifs des UEE soient d’au moins six élèves -et maximum 8-, sur une durée minimale de douze heures de scolarisation hebdomadaire.

Un ado de 16 ans cristallise le conflit

« C’est ce que j’ai essayé de mettre en place, raconte Olivier Paolini au HuffPost. Mais à partir de ce moment-là, ça a généré des frictions parce que ça demandait une certaine réorganisation dans l’établissement. » Le cas d’un adolescent de 16 ans cristallise le conflit.

Il est le seul à avoir un projet personnalisé de scolarisation (PPS), pourtant prévu par la loi, qui indique qu’il doit bénéficier de quatre demi-journées de cours par semaine, ce que l’enseignant essaye de mettre en place. Mais sa hiérarchie refuse. « Ça nous obligeait à retirer du temps de scolarisation à d’autres, justifie au HuffPost Jean-Marie Gorieu, le directeur général de l’association gestionnaire de l’IME. Or on préfère partager les moyens dont on dispose entre tous les enfants, quitte à ce qu’ils aient chacun un peu moins d’heures. »

Le directeur général affirme multiplier les demandes de moyens et de profs supplémentaires auprès de l’Éducation nationale, sans succès. « Avec actuellement trois enseignants dont une à mi-temps, pour les 90 enfants de l’IME, on est loin du but », souligne-t-il.

Le directeur ajoute : « Et puis, il n’était pas en capacité de faire plus d’heures », malgré ce qu’en dit le PPS de l’adolescent. Une version contredite par l’enseignant et la famille, qui décide alors de porter plainte contre l’IME. « Ça se passait vraiment bien pour lui en classe, il progressait très bien et il n’y avait aucune raison de stopper tout cela », souligne l’avocate de la famille, Sophie Janois.

Selon elle, une autre raison, « jamais dite franchement par la direction » serait à l’origine de ce refus. « Parce qu’il avait eu 16 ans, la direction s’est crue hors obligation de scolarisation. Elle a décidé de réduire drastiquement ses heures de cours », explique-t-elle au HuffPost. En France, l’instruction est obligatoire pour tous les enfants à partir de 3 ans et jusqu’à l’âge de 16 ans révolus. « Mais la loi sur ’l’école de la confiance’ de 2019 astreint l’État à une obligation de formation jusqu’à 18 ans », rappelle Sophie Janois.

« L’objectif, c’est l’école pour tous »

Du côté de l’IME, on assure qu’en remplacement des heures de scolarisation étaient prévus des « temps d’activité au sein de l’établissement », visant à développer « l’autonomie » du jeune. « Comme apprendre à prendre le bus, mettre ses vêtements seul, aller acheter du pain, participer à des ateliers cuisine », liste la direction.

Des alternatives qui ne remplacent pas une scolarisation, de surcroît en milieu « ordinaire », estime la famille. L’avocate va plus loin : pour elle, il s’agirait d’un problème « culturel » et « organisationnel », lié au fonctionnement même des établissements médico-éducatifs. « C’est ce qu’on appelle l’institutionnalisation du handicap’ : on leur fait faire des ateliers, des petites sorties de temps en temps, de l’occupationnel, dénonce-t-elle. On n’envisage pas de sortie de l’institution, à aucune étape de leur vie. »

Si la direction n’a pas apprécié que l’enseignant agisse sans son aval, elle affirme pourtant être d’accord sur le fond. Mais si le directeur général estime que « l’objectif, c’est l’école pour tous », il tempère. « Il y a beaucoup d’enfants qui peuvent être scolarisés, concède-t-il, avant de nuancer. Mais il y en a d’autres qui, au bout de deux demi-journées, sont au maximum de leur capacité à se contenir et à avoir un comportement adapté à la collectivité. »

Il reconnaît tout de même : « Entre 100 % à l’école et la situation d’aujourd’hui, on a de quoi largement améliorer. Mais pas avec ces méthodes. »

Repenser le fonctionnement des IME ?

Un point sur lequel tout le monde s’accorde : la situation de l’IME de Narbonne n’est pas un cas isolé. « Il y a une culture dans les IME de refus de croire que la scolarisation permet réellement un développement de l’autonomie des enfants handicapés, estime Olivier Paolini. Le discours ambiant, c’est qu’ils n’auront de toute façon pas le bac et que ça ne sert pas à grand-chose de les scolariser. »

Jean-Marie Gorieu, qui réfute ces affirmations, reconnaît que tous les établissements médico-éducatifs sont « dans la même galère », toujours faute de moyens. « Ce débat sur la scolarisation est tombé dans l’Aude, mais ça aurait pu être totalement ailleurs », confirme-t-il.

L’avocate Sophie Janois ne peut que concéder cette réalité. « Néanmoins, nous avons besoin que la Justice reconnaisse une obligation de résultat pour que les choses changent, nuance-t-elle. Car sinon, il suffira de démontrer qu’ils ont mis une ou deux annonces et qu’ils n’ont trouvé personne. Et rien ne changera. »

Pour elle, c’est le fonctionnement même des établissements médico-éducatifs qu’il faut repenser. « L’Éducation nationale s’est déchargée de ces enfants handicapés sur le médico-social, qui ne devrait pas avoir à gérer leur scolarisation », estime-t-elle.

Dans un rapport publié fin août, la Défenseure des Droits, saisie par de très nombreux parents, a d’ailleurs appelé à mieux adapter l’école aux besoins des élèves en situation de handicap et pas l’inverse.

D’enseignant à lanceur d’alerte

Depuis 2020, l’enseignant Olivier Paolini est en conflit ouvert avec sa direction et tente d’alerter sa hiérarchie à l’Éducation nationale sur les « pressions » qu’il dit subir. Contacté par Le HuffPost, le ministère affirme que le rectorat de Montpellier assure « un suivi de cette situation depuis les premières remontées par les services de la Direction des Services de l’Éducation Nationale (DSDEN) de l’Aude ».

En janvier 2022, le prof alerte le Collège de Déontologie, une instance de l’Éducation nationale dédiée à cela. « Continuer à me taire, cela revenait à être complice de la situation et de l’entrave aux droits de ces enfants », témoigne-t-il. L’instance statue en sa faveur et lui octroie le statut de lanceur d’alerte, ce qui lui garantit une protection légale contre « toutes représailles professionnelles ou tout traitement discriminatoire ».

Pour Jean-Marie Gorieu, un événement antérieur à l’affaire aurait « fait bascule ». « M. Paolini, en parallèle de son activité d’enseignant, a commencé une carrière politique comme tête de file En Marche ! à Narbonne en 2019, soutient Jean-Marie Gorieu. Lors des élections municipales, il a mêlé l’association à sa campagne, pour se plaindre de la politique de la mairie de Narbonne pour les personnes handicapées.  » L’enseignant aurait alors été « rappelé à l’ordre » et intimé de « séparer ses activités ».

Le 3 février 2022, le Tribunal de justice de Narbonne condamne l’IME en première instance. Le juge rappelle, en préambule, que le droit à une scolarisation et à la formation est l’un des principes fondamentaux que « les autorités publiques, et notamment l’État, ainsi que les organismes chargés de les mettre en œuvre au quotidien, ont l’obligation d’assurer et, ce, sans discrimination ».

Selon l’avocate Sophie Janois, ce rappel est important. « Le juge a estimé que l’État avait une obligation de résultat et non une question de moyens et que cette obligation incombait également aux établissements médico-éducatifs », souligne-t-elle. L’IME a fait appel.

Pourquoi l’enseignant contacte l’Onu

L’enseignant se dit depuis « ostracisé ». « J’ai fait une lecture des conclusions du procès en réunion d’équipe, en soulignant que ce serait bien de se remettre en question, relate-t-il. J’ai reçu un courrier de l’IME me demandant de ne plus venir aux réunions. » Ce que réfute la direction. « On lui a demandé de ne pas venir à une réunion », rétorque-t-on.

Au mois de mars 2022, l’enseignant se rend à Genève pour rencontrer Jonas Ruskus, à l’époque rapporteur du Comité des droits des personnes handicapées de l’ONU, à qui il expose sa situation. Le 31 août 2022, l’ONU publie un courrier adressé à l’État français évoquant « des actes d’intimidation présumés » contre l’enseignant.

À la suite de l’interpellation du Collège de Déontologie, une « évaluation » a été menée à l’IME les 19 et 20 mai 2022. Des « préconisations » ont été communiquées à l’ensemble des équipes pédagogiques et à la direction de l’IME le 8 septembre dernier. « Il y a des choses qui peut-être vont devoir être améliorées », reconnaît Jean-Marie Gorieu.

Le jugement en appel, qui devrait intervenir en février, pourra-t-il faire jurisprudence dans le milieu des instituts médico-éducatifs ? « Si le jugement est confirmé en appel, ça aura des conséquences, ce qui pourrait pousser les IME à attaquer l’État sur le défaut d’enseignants et de moyens », espère Sophie Janois.

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