De sa disparition à l'annonce de son implosion, le récit des 4 jours de mystère autour du sort du sous-marin Titan
C'est son dernier message. Sur son compte Instagram dimanche, Hamish Harding évoque sa "fierté", juste avant d'embarquer à bord du petit sous-marin touristique baptisé Titan pour aller visiter l'épave du Titanic à 3800 mètres au fond de l'Atlantique Nord.
"En raison du pire hiver depuis 40 ans à Terre-Neuve, cela sera probablement la première et seule mission humaine jusqu'au Titanic en 2023", s'enthousiasme-t-il. "Une fenêtre de tir météorologique vient de s'ouvrir et nous allons tenter une plongée demain."
Le milliardaire américain écrit ces lignes sans savoir que quelques heures plus tard, lui et ses quatre coéquipiers allaient perdre tout contact avec la surface, et disparaître dans les abysses de l'océan.
À ses côtés, à bord du petit submersible conçu à des fins touristiques par l'entreprise OceanGate Expeditions, se trouvent l'explorateur milliardaire américain Hamish Harding, le spécialiste français du Titanic Paul-Henri Nargolet, l'homme d'affaires pakistano-britannique Shahzada Dawood et son fils Suleman âgé de 19 ans. Sans oublier le Britannique Stockton Rush, qui n'est autre que le PDG de cette société américaine fondée en 2009.
Contact perdu moins de 2h après la descente
Cela ne fait que deux ans que l'entreprise propose des expéditions touristiques vers l'épave du célébrissime paquebot, qui a fait naufrage lors de son voyage inaugural en avril 1912 après avoir percuté un iceberg, tuant près de 1500 personnes. Depuis 2021, une soixantaine de clients et une quinzaine de chercheurs ont déjà fait le voyage à bord de ce vaisseau de 6,5 mètres de long en fibre de carbone baptisé "le Titan", selon le Guardian.
Le submersible, qui pèse plus de 10 tonnes, est censé pouvoir plonger à 4000 mètres de profondeur avec 96 heures d'autonomie en oxygène, selon OceanGate. Pour effectuer cette expédition, chacun d'entre eux a payé 250.000 dollars - plus de 220.000 euros.
Les cinq passagers prennent place à bord de l'appareil, présenté par Oceangate comme "spacieux par rapport aux submersibles traditionnels de plongée profonde". "Les membres d'équipage ont amplement d'espace pour travailler ensemble pour documenter le site de l'épave du Titanic", affirme la société.
Le journaliste de CNN Gabe Cohen, qui avait eu l'occasion de monter à l'intérieur du Titan, en garde un souvenir différent.
"C'est un minuscule vaisseau, assez exigu et petit", raconte-t-il. "Vous devez vous asseoir à l'intérieur, sans chaussures..."
Après avoir quitté le port de Saint John's à Terre-Neuve (Canada), le petit submersible entame sa descente dans les eaux profondes de l'Atlantique. Celle-ci est censée durer environ 2h30 mais à peine 1h45 après le départ, le Titan ne répond plus au Polar Prince, le bateau de recherche canadien qui l'escorte à ce moment-là.
L'alerte est déclenchée par la société dans la soirée, et un porte-parole d'OceanGate confirme le lendemain qu'elle n'est "plus en mesure, depuis un certain temps, d'établir des communications avec l'un de (ses) engins d'exploration submersibles".
Les recherches commencent dès dimanche soir, mais elles sont compliquées par l'immensité de la zone, qui s'étend sur environ 20.000km², à l'écart des côtes nord-américaines. Ce qui rend "exceptionnellement difficile la mobilisation rapide de grandes quantités d'équipements", selon le capitaine Jamie Frederick des garde-côtes américains.
Des avions militaires canadiens et américains sont rapidement envoyés vers le site où est stationné le Polar Prince. Dès le lendemain, plusieurs appareils C-130 balayent la zone pour une observation visuelle et radar, à la surface. Des P-3 canadiens, aéronefs de patrouille maritime, larguent même des bouées dotées de sonar pour fouiller sous la surface.
Des doutes sur la sûreté du submersible
Au moment où ces efforts montent en puissance, une plainte déposée en 2018 contre OceanGate par un ancien cadre de l'entreprise en 2018 ressurgit. Le document judiciaire, repéré par l'AFP, révèle que cet ancien directeur des opérations marines a été licencié après avoir émis de sérieux doutes sur la sûreté du sous-marin.
Selon David Lochridge, un hublot à l'avant du submersible a été conçu pour résister à la pression ressentie à 1300m de profondeur, et non à 4000m. Le PDG fondateur d'OceanGate est ainsi accusé d'avoir refusé de faire certifier le Titan par des organismes agréés en matière de sécurité maritime, et ce en dépit de plusieurs alertes.
Dans la presse internationale, les témoignages de participants à de précédents voyages commencent par ailleurs à se multiplier, et certains d'entre eux semblent poser des questions sur l'engin, la qualité du matériel utilisé et les mesures de sécurité mises en place par OceanGate.
Les moyens de communication avec le navire en surface se limitaient à "l'envoi de SMS" et à un "signal 'ping' envoyé toutes les 15 minutes", raconte par exemple David Pogue, journaliste à CBS News qui a effectué l'expédition l'année passée.
Dans son reportage, David Pogue rapporte qu'il "ne pouvait s'empêcher de remarquer combien de pièces de ce sous-marin semblaient improvisées, avec des composants trouvés dans le commerce". Il évoque notamment "le pilotage de l'engin, exécuté avec une manette" similaire à celles utilisées pour contrôler les consoles de jeux vidéo.
À bord, "rien n'était confortable", se souvient également l'explorateur allemand Arthur Loibl, qui a effectué le voyage en 2021.
"Tout le monde était nerveux parce qu'ils avaient parfois des problèmes avec leur système de batterie à 1600 mètres", raconte-t-il encore à Sky News.
Le scénariste américain Mike Reiss raconte une expérience similaire à la BBC. Le sexagénaire décrit "une expérience totalement déroutante", au cours de laquelle "on perd presque toujours la communication et on se retrouve à la merci des éléments". Mais d'après lui, chacun est parfaitement conscient des dangers encourus:
"Il faut signer une décharge avant de monter et la mort est mentionnée à trois reprises en page une. Ce ne sont pas des vacances en autocar, ça peut mal tourner."
De mystérieux "bruits" détectés
Tôt mercredi matin, l'espoir de retrouver le vaisseau renaît. Le magazine Rolling Stones rapporte que des bruits décrits comme des "coups" sont entendus à un rythme régulier sous l'eau par les sonars d'un avion P-8 canadien. Le groupe d'exploration privé américain The Explorers Club se félicite alors d'avoir détecté "des signes probables de vie" qui donnent "des raisons d'espérer" et vont permettre d'orienter la suite des recherches.
"Les opérations par véhicule télécommandé sont alors déplacées pour tenter d'explorer l'origine des bruits", selon les gardes-côtes américains, mais "elles ne donnent pour l'heure que des résultats négatifs".
Le Canada et les États-Unis, qui confirment en effet que des bruits ont bien été captés sous l'eau, ne sont toutefois pas en mesure de "dire ce que sont ces bruits". "Nous n'en connaissons pas la source", explique le contre-amiral John Mauger des garde-côtes américains sur CBS mercredi matin.
Sur place, des moyens supplémentaires continuent d'arriver tout au long de la journée mais les recherches sont toujours infructueuses. Un dispositif colossal est pourtant déployé pour l'occasion: "neuf navires, du personnel médical et d'autres personnels techniques" ont été dépêchés par la communauté internationale.
Parmi eux, un navire de recherches français de l'Ifremer (l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer): l'Atlante. Ce bateau est doté d'un robot (du nom de Victor 6000) capable de plonger jusqu'à l'épave du Titanic. Il représente le "principal espoir" pour une opération de secours sous-marine, selon Rob Larter, un expert du British Antarctic Survey (BAS, un organisme britannique de recherche basé à Cambridge).
Un bâtiment canadien avec du personnel médical et une chambre de décompression sont également en chemin. Malgré cela, les recherches sont jugées "très complexes", notamment en raison des conditions météorologiques qui réduisent la visibilité des chercheurs.
Des espoirs brisés par la découverte de débris
La course contre la montre redouble d'intensité jeudi, alors que les ressources en oxygène s'amenuisent d'heure en heure puisque l'engin dispose d'une autonomie théorique de 96 heures en plongée. Malgré tout, les garde-côtes américains s'affichent toujours "optimistes", quelques heures avant que le scénario ne commence à véritablement s'assombrir.
Aux alentours de 13h08 jeudi, la situation devient critique puisqu'on estime que le submersible est a priori privé de suffisamment d'oxygène pour que les passagers puissent respirer.
Un champ de "débris" est finalement localisé dans l'après-midi à environ 400 mètres)de l'épave du Titanic par le robot d'une société privée qui participait aux recherches. Celles-ci sont découvertes dans "un fond lisse", où ne se trouvaient pas de morceaux du paquebot. Quelques minutes plus tard, la société OceanGate annonce dans un communiqué la "malheureuse disparition" des cinq passagers, sans davantage de précision.
"Nous estimons à présent qu'(ils) sont malheureusement morts", indique l'entreprise, avant de saluer "ces hommes (qui) étaient de véritables explorateurs qui partageaient un même esprit d'aventure et une profonde passion pour l'exploration et la protection des océans du monde".
Une information confirmée peu après par les autorités américaines. Lors d'une conférence de presse suivie dans le monde entier, les garde-côtes révèlent que les débris retrouvés au fond de l'Atlantique appartiennent bien au petit sous-marin.
Ils estiment par ailleurs que les morceaux retrouvés sont "compatibles avec une implosion catastrophique" du submersible qui aurait pu avoir lieu dès la descente de l'appareil, dans la colonne d'eau, ce que les recherches complémentaires pourront confirmer ou infirmer. Selon eux, c'est une "perte catastrophique" de pression qui serait à l'origine de l'accident.
Grâce à la découverte de cinq types de débris, la coque du sous-marin a toutefois pu être reconstituée: "une partie de la proue", "des éléments appartenants à la coque du sous-marin" puis "un débris de plus petite taille ont été retrouvés.
Après avoir présenté ses "sincères condoléances" aux familles des disparus, le contre-amiral Mauger a précisé que les "robots sous-marins resteront sur place" pour "continuer à recueillir des informations". Le personnel et les navires, eux, devraient être démobilisés dans les 24 heures.
Depuis les hommages aux victimes se multiplient. James Cameron salue ainsi la mémoire de Paul-Henri Nargeolet, l'explorateur français qui était à bord du submersible - "un pilote légendaire, un ami", explique-t-il à ABC. Mais le réalisateur du film Titanic se dit aussi "frappé" de ressemblance entre la tragédie racontée dans son long-métrage et l'accident du Titan.
"Le capitaine (du Titanic) avait été averti à plusieurs reprises à propos de la glace" des icebergs, rappelle James Cameron. "Et pourtant, il est allé à toute vitesse dans un champ de glace par une nuit sans lune et beaucoup de personnes sont mortes."
"(Le fait que cela) se produise exactement au même endroit", après les multiples alertes sur la sécurité du Titan, "me semble troublant, c'est vraiment surréaliste", conclut le réalisateur, lui-même habitué à descendre dans les eaux profondes de l'Atlantique.