Les discriminations capillaires racontées par celles qui les vivent : « Tes cheveux c’est pas possible »

« J’étais en stress à chaque fois que j’allais au travail, à me demander comment me coiffer, ce qu’on allait me dire. Ça donne l’impression de ne pas être assez bien »
LaylaBird / Getty Images « J’étais en stress à chaque fois que j’allais au travail, à me demander comment me coiffer, ce qu’on allait me dire. Ça donne l’impression de ne pas être assez bien »

DISCRIMINATIONS - « Tu t’es pas coiffé ? » « Tu vas faire fuir les clients. » « Ça fait sale. » Autant de remarques désagréables et insultantes que la plupart des personnes aux cheveux texturés ont déjà entendues au cours de leur vie - et contre laquelle une proposition de loi a pour objectif de lutter.

Pour Fatou N’diaye, la discrimination capillaire envers les femmes noires est un problème bien réel

Ce jeudi 28 mars, l’Assemblée Nationale examine en effet un texte par le député Olivier Serva (LIOT) qui vise à pénaliser la discrimination capillaire en raison de « la coupe, la couleur, la longueur ou la texture » des cheveux. La mesure est inspirée du Crown Act aux États-Unis, mais n’a rien d’une importation d’outre-Atlantique : en France aussi, les personnes aux cheveux crépus, frisés ou bouclés sont victimes de mots et de gestes discriminants. Le HuffPost a recueilli les témoignages de quatre d’entre elles.

« J’ai eu très peur de me faire virer »

Il y a dix ans, Siham a obtenu son premier emploi à l’accueil d’une entreprise d’architecture d’intérieur. « J’assumais mes boucles depuis peu et un jour, j’ai décidé de venir au travail sans me lisser les cheveux, ce que je faisais d’habitude. Je m’étais fait une jolie coiffure, avec des boucles bien dessinées, raconte la jeune femme de 28 ans aujourd’hui. Ma patronne de l’époque est arrivée et m’a dit “Tes cheveux, c’est juste pas possible. Il faut que tu fasses quelque chose, ça va faire peur aux clients” ».

Par crainte de se faire renvoyer, Siham attache ses cheveux immédiatement et revient le lendemain avec une coiffure différente, en refusant toujours de les lisser. La réaction est immédiate. « Elle m’a fait venir dans son bureau pour me dire que mes cheveux ne collaient pas à l’image de l’entreprise, que ça faisait négligé », explique-t-elle. Quelque temps plus tard, elle perd son emploi. « Certaines raisons étaient légitimes, souligne-t-elle. Mais je crois que cette histoire de cheveux a été un déclencheur. »

Depuis, elle raconte avoir depuis adapté sa manière de répondre aux offres d’emploi. « Sur mon CV, j’ai mis une photo de moi avec mes cheveux naturels et je vais aux entretiens avec mes cheveux bouclés, pour ne pas avoir de mauvaise surprise », précise-t-elle.

« Sur elle, ça fait plus joli et propre »

Nora a également fait les frais de ces inégalités de traitement capillaire quand elle a travaillé en intérim longue durée pour une compagnie aérienne. « La règle était de toujours avoir les cheveux plaqués en arrière avec un chignon, sauf s’ils ne touchaient pas les épaules. Dans ce cas, nous pouvions les porter détachés », explique-t-elle. Quand elle décide de couper court ses cheveux bouclés, elle n’envisage pas qu’on lui fasse des remarques au travail. Et pourtant.

« Après une semaine, un responsable - qui n’occupait même pas une position légitime pour me faire ce type de remarque - m’a fait valoir que ma coupe était “négligée” et que j’avais intérêt à attacher mes cheveux si je voulais rester en poste », souligne-t-elle. Persuadée d’être dans les règles, elle refuse de les attacher et se retrouve convoquée quelques jours plus tard par sa hiérarchie.

« J’ai essayé de me défendre en citant l’exemple d’une collègue qui avait les cheveux aussi courts que moi et qui les portait détachés, se souvient-elle. On a osé me répondre que sa nature de cheveux n’était pas comme la mienne, que sur elle, ça ne faisait pas négligé mais plutôt joli et propre ». Une interaction qu’elle qualifie « d’humiliante ».

« J’étais en stress quotidiennement »

La discrimination capillaire peut aussi passer par des moqueries. Daba, qui a été vendeuse dans le secteur du luxe, se souvient d’un « classeur rempli de photos de coiffures assez laides » que ses tuteurs lui ont offert au pot de départ de son premier stage.

Une manière de tourner en dérision ses changements réguliers de coiffures (tresses, tissages, ou perruques) qui servaient à « cacher » ses cheveux naturels. « Dans ce milieu, il fallait être tirée à quatre épingles. Ça ne me venait pas à l’idée d’aller au travail avec un afro, c’était ancré en moi qu’il fallait que je me présente autrement, se souvient-elle. J’étais en stress à chaque fois que j’allais au travail, à me demander comment me coiffer, ce qu’on allait me dire. Ça donne l’impression de ne pas être assez bien. »

Des discriminations qui commencent très jeune

Cette idée que les cheveux texturés doivent être « domptés » peut commencer dès l’enfance. Elina, trentenaire aux cheveux frisés, le précise : « Ça ne commence pas quand on entre dans le monde du travail. Les discriminations capillaires, pour moi, ont commencé à la maternelle et n’ont pas vraiment cessé. Que ce soit en classe, en famille, entre amis, les remarques étaient permanentes » raconte la trentenaire, qui énumère « des surnoms très désagréables (Tahiti Bob, Gouffa, Touffe…), des commentaires, le fait de toucher mes cheveux sans mon consentement, parfois par des inconnus dans le bus… »

Elle se réjouit de la discussion de cette loi à l’Assemblée, tout comme Daba qui abonde : « C’est aussi une question de santé publique, souligne celle qui porte aujourd’hui son afro au naturel. Être forcée à se lisser les cheveux par son employeur alors qu’on sait que les produits défrisants augmentent le risque de cancer de l’utérus, ce n’est pas possible. Mais une loi ne suffira pas, il faut changer les mentalités en profondeur. »

En cas d’adoption, cette mesure serait intégrée au Code du travail et au Code pénal. La discrimination capillaire pourrait alors être sanctionnée par des peines allant jusqu’à 3 ans de prison et 75 000 euros d’amende.

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