En direct de l'hémicycle: Ugo Bernalicis, le "DépuTwitch" qui agace l'Assemblée

Un ordinateur, un député dans l'hémicycle et une plateforme de streaming vidéo en direct... L'élu insoumis Ugo Bernalicis, désormais imité par son collègue Antoine Léaument, utilise depuis des mois la plateforme Twitch pendant les séances au Palais Bourbon - sans causer de vagues en interne, jusqu'à ces derniers jours, où il a finalement été épinglé.

"Très concrètement, on diffuse sur notre chaîne le direct de l'Assemblée nationale et, en haut à gauche de l'écran, on me voit. J'en profite pour répondre aux questions du tchat, expliquer le texte qu'on vote, ce que nous, nous défendons", décrypte Ugo Bernalicis alias "Le Députwitch" sur la plateforme, auprès de BFMTV.com.

Une chaîne parmi les plus regardées de Twitch

Le député du Nord s'est lancé dans l'exercice à l'occasion de la controversée loi sur la sécurité globale en 2020, avant de notamment suivre les débats sur le pass vaccinal en janvier 2022 et désormais la loi Lopmi sur les moyens de la police portée par Gérald Darmanin.

"Si ce qu'on fait ne reste qu'à l'Assemblée nationale et que personne ne peut s'en emparer, on a raté notre mission d'élu du peuple", estime le député LFI Antoine Léaument.

"On veut faire rentrer les gens avec nous et faire sortir les débats pointus de la sphère des spécialistes", poursuit l'insoumis.

Les vues restent modestes - les pics d'audience dépassant rarement la centaine de spectateurs - mais "la chaîne d'Ugo Bernalicis fait partie des 10% les plus vues sur la plateforme", fait remarquer Jean Massiet qui tient la chaîne politique Acropolis sur Twitch. "C'est vraiment pas mal", juge le spécialiste.

Parmi les spectateurs, on compte des fans de politique, des sympathisants LFI mais aussi de simples internautes qui passent du temps sur Twitch et arrivent par le jeu du hasard sur les chaînes des députés. Ces derniers n'hésitent pas à interagir avec les élus via le tchat. Parmi leurs questions, on trouve aussi bien des demandes légères - comme une imitation de Nicolas Sarkozy par Ugo Bernalicis - que des précisions sur l'actualité ou des questions sur la loi en cours de discussion.

Toujours attentifs au débat

Le binôme Ugo Bernalicis et Antoine Léaument - les deux seuls parlementaires à utiliser la plateforme en direct au sein de l'institution - semble désormais bien rôdé puisqu'ils alternent chacun un jour de présence sur le site tout en donnant régulièrement la parole à d'autres députés insoumis qui siègent avec eux.

De quoi les déconcentrer pendant les débats parfois très techniques de l'Assemblée nationale? Non, assurent les deux hommes qui rappellent qu'il y a toujours un membre du groupe LFI qui peut leur faire un signe quand c'est le moment de voter.

"Honnêtement, il y a beaucoup de temps mort pendant les débats", estime un administrateur de l'Assemblée. "Et puis les députés connaissent souvent bien le texte pour l'avoir étudié en commission."

Twitch a également un avantage important, comparé à d'autres plateformes comme TikTok: celle de laisser beaucoup de temps. Quand le réseau social très prisé des plus jeunes incite à des vidéos très courtes et très incisives, la plateforme de streaming permet de diffuser les travaux dans l'hémicycle sans forcément être obligé d'intervenir en permanence pour les internautes.

"Et puis, parfois, les séances sont très longues. Ça tient un peu compagnie aux élus, il faut bien le dire!", assure le twitcheur Jean Massiet.

Recadré par l'Assemblée

Peut-être bien mais cet usage leur a valu un premier rappel à l'ordre mardi de la vice-présidente Modem de l'Assemblée nationale, Élodie Jacquier-Laforge, lors d'une séance. Puis mercredi, lors de débats animés, par la vice-présidente PS Valérie Rabault.

Le règlement intérieur du Palais-Bourbon n'évoque pourtant pas directement pas la possibilité de filmer en direct - seul est interdit le fait de photographier les collègues, une interdiction rarement respectée si la personne prise en photo est d'accord. Mais c'est la chambre basse qui "assure l'enregistrement des images et du son", d'après les instructions du bureau.

"J'ai demandé à Ugo Bernalicis s'il était en direct sur Twitch. Il m'a dit oui. Je lui ai alors demandé d'arrêter. Mon travail est de faire respecter le règlement de l'Assemblée nationale", avance la députée Modem auprès de BFMTV.com.

"Je ne filme que les consensentants et on ne dérange personne", rétorque le député. L'élu insoumis pratique l'exercice depuis près de trois ans et dit n'avoir jamais fait l'objet de remontrances de l'institution jusqu'ici. "Je ne suis pas sûr qu'on l'avait vraiment remarqué", reconnaît à demi-mot un administrateur du Palais-Bourbon, précisant que le bureau de l'Assemblée pourrait souhaiter clarifier les règles.

Mais au-delà des questions de bienséance dans l'hémicycle, la remarque d'Élodie Jacquier-Laforge symbolise également les critiques des députés de la majorité présidentielle, qui n'apprécient guère les méthodes des insoumis sur les réseaux sociaux.

"Vous êtes une bande de TikTokeurs qui cherchent le buzz", avait lancé la députée Renaissance Fanta Berete dans l'hémicycle en octobre dernier.

Pas de quoi pertuber les principaux intéressés. Le député Louis Boyard, très présent sur TikTok, y voit "surtout des jaloux qui n'arrivent pas à faire aussi bien que nous sur les plateformes".

"Ils sont en galère et ce n'est pas dans leur culture", répond même Ugo Bernalicis.

Le mouvement présidentiel a pourtant bien essayé de s'approprier les codes. Le ministe Gabriel Attal a par exemple été reçu par le youtubeur et twitcheur Hugo décrypte pendant la campagne présidentielle et en octobre dernier.

"Mais c'est vous le Députwitch?"

C'est que le personnel politique dans son ensemble espère attirer de nouveaux électeurs - et particulièrement les moins de 25 ans qui sont ceux qui s'abstiennent le plus. La France insoumise y croit: Jean-Luc Mélenchon est d'ailleurs particulièrement assidu sur les réseaux sociaux.

Pendant la campagne présidentielle, il a parfois répondu aux questions des internautes pendant plus de 4 heures sur Twitch. L'ancien candidat à la présidentielle fait régulièrement l'objet de nombreux mèmes sur les réseaux sociaux. Si le phénomène a tout d'une véritable aubaine, la traduction en intentions de vote n'a cependant rien d'évident.

"Ce n'est pas parce qu'on voit un vidéo d'un candidat ou d'un député qu'on va voter pour lui", estime le twitcheur politique Jean Massiet.

"Le but est moins d'avoir des électeurs que de créer une communauté numérique sur le temps long, qu'on peut mobiliser quand c'est nécessaire pendant les élections. Et c'est là que ça devient un potentiel levier pour mobiliser", avance encore le jeune homme.

Ugo Bernalicis ne se fait d'ailleurs pas prier pour raconter la fois où, à l'occasion d'un test antigénique, le pharmacien l'a reconnu et lui a lancé: "Mais c'est vous le Députwitch?"

Pas question donc d'abandonner la plateforme et ce, même si l'Assemblée nationale statue sur une interdiction. "Je pourrais toujours garder l'usage du tchat" et continuer de diffuser la séance grâce aux flux des vidéos de l'Assemblée nationale, juge Ugo Bernalicis. C'est d'ailleurs ce qu'il a fait ce vendredi après-midi, en relançant son stream sur le projet de loi Lopmi, mais sans déclencher sa webcam cette fois-ci.

Article original publié sur BFMTV.com