Devant « Beau is Afraid », Ari Aster veut nous faire rire, mais ce n’est pas si simple

Dans « Beau is Afraid », Ari Aster tente d’insuffler sa vision de l’humour dans une odyssée angoissante, pour un résultat pour le moins perturbant.
Dans « Beau is Afraid », Ari Aster tente d’insuffler sa vision de l’humour dans une odyssée angoissante, pour un résultat pour le moins perturbant.

CINÉMA - De l’horreur à l’humour, il n’y a visiblement qu’un pas. Après deux longs métrages encensés pour leur apport au genre horrifique, Ari Aster était attendu au tournant avec son nouveau film, Beau is Afraid. Une odyssée de trois heures aussi anxiogène que freudienne.

Ce nouveau film, en salle depuis ce mercredi 26 avril, où Joachim Phoenix (Her, Gladiator, The Master) se plonge dans la peau d’un adulte paralysé par l’anxiété et présentant un problème de maturité flagrant, avait tout d’une suite logique dans sa volonté d’appropriation du genre horrifique contemporain sur fond de traumas familiaux.

Pourtant, à écouter Ari Aster, ce troisième film est avant tout une comédie noire où le cinéaste américain de 36 ans injecte de l’humour dans un environnement qui n’a rien à envier à certaines de vos pires angoisses existentielles. Avant d’être un film Beau is Afraid était un court-métrage qui aurait dû devenir le premier film de sa carrière. Contraint de se plier aux exigences d’Hollywood, le film est resté dans un coin de la tête de son auteur le temps de réaliser deux autres projets moins onéreux.

« Ce film me ressemble plus que tout ce que j’ai pu faire auparavant. Il contient ma personnalité et ma vision de l’humour », prévient Ari Aster. Mais rire devant Beau is Afraid, c’est une autre affaire.

« Odyssée freudienne comique »

En entrant dans la salle de projection où Le HuffPost était convié, une invitation avait été lancée aux journalistes sur demande d’Ari Aster : « Surtout, ne vous privez pas de rire ». Une drôle de remarque quand on repense à son travail sur Hérédité et Midsommar, deux films d’horreur, où l’humour avait une place dans le récit, sans toutefois être prédominant.

Avec Beau is Afraid, le réalisateur a changé son fusil d’épaule. « Beau is Afraid était au départ, aussi éloigné d’Hérédité que possible » assure Ari Aster dans les notes de production du film. Quant au premier jet de scénario, il le décrivait ainsi : « sombre, cartoonesque, avec moins de pathos. Je le pitchais comme une odyssée freudienne comique ».

Voilà pourquoi, le visionnage du film est si particulier et éprouvant dans sa version finale. Si l’horreur visuelle ou psychologique a laissé place à une angoisse latente qui transpire dans tous les thèmes, décors, situations et personnages du film, il n’en reste pas moins que l’humour y a étrangement sa place. Il suffit d’écouter Joachim Phoenix : « Ne prenez pas de champignons et allez voir ce putain de film ». Et l’acteur, oscarisé pour Joker, a visiblement été le premier à rire en découvrant le film terminé, comme il le confiait à Fandango : « Je me tortillais définitivement sur mon siège. Tout d’abord, je ris juste de tout le putain de film. Il y a quelques séquences où je me contorsionne ».

Une démarche qui rappellera sans doute à certain l’expérience de visionnage de Sans Filtre, palmé à Cannes en 2022, ou encore l’œuvre de Jordan Peele, humoriste passé à la réalisation de films où angoisse et rire sont parfois superposés dans une même scène, comme avec Us et Get Out.

Avec « Get Out » ou « Us », Jordan Peele mêlait déjà angoisse et humour noir pour traiter de sujet aussi sérieux que le racisme ou la fracture d’une l’Amérique contemporaine en perte de repères.
Avec « Get Out » ou « Us », Jordan Peele mêlait déjà angoisse et humour noir pour traiter de sujet aussi sérieux que le racisme ou la fracture d’une l’Amérique contemporaine en perte de repères.

Pour résumer Beau is Afraid, un critique du Rolling Stone Magazine a sans doute trouvé la formulation parfaite : « C’est soit la comédie la plus terrifiante, soit le film d’horreur le plus drôle de 2023 ». Une ambivalence troublante qui trouve tout son sens dès la première partie du film. Beau doit rendre visite à sa mère, mais une suite d’événements et un environnement social (vraiment) peu enviable vont venir lui barrer la route.

Quand l’humour ne fait pas rire

Dans ce contexte, où tout ce que voit le spectateur tend à illustrer ce que ressent Beau plutôt que ce qu’il vit vraiment, certaines scènes ont tout d’une comédie loufoque, à l’image de ce face-à-face aussi traumatisant que gaguesque dans une baignoire. Ou cette scène, où Beau ouvre son frigo pour en sortir un plat préparé nommé « O’Loha », combinant le « meilleur de la cuisine hawaïenne et irlandaise ». Mais si l’humour -même absurde- est là, le rire manque parfois.

Comme ce détail sur un repas mangé par Beau, le film pullule de touches d’humours cachées dans tous les décors de « Beau is Afraid ».
Comme ce détail sur un repas mangé par Beau, le film pullule de touches d’humours cachées dans tous les décors de « Beau is Afraid ».

Bien que très long (2 h 58), le film d’Ari Aster trouve toujours de nouveaux moyens d’apporter l’humour dans sa narration, sans toutefois faire mouche à chaque tentative. On pense forcément à cette scène de sexe pour le moins originale sur Always Be My Baby de Mariah Carey ou à cette apparition cauchemardesque de fin de film.

Mais au regard du sujet profond du film, comment rire de bon cœur devant le destin de ce personnage ? Tantôt aux mains d’un étrange couple de médecin, tantôt immergé dans une forêt avec une troupe itinérante quand il n’est pas manipulé par les figures de confiance qui fondent son existence.

Tout le film d’Ari Aster est parcouru par un humour visuel et décalé qui tranche avec le propos du film.
Tout le film d’Ari Aster est parcouru par un humour visuel et décalé qui tranche avec le propos du film.

Rire devient progressivement de plus en plus contre-intuitif. Il faut dire que le voyage de Beau pour retrouver sa mère l’entraîne jusqu’à la source de ses angoisses les plus profondes. Un pari risqué et à double tranchant qui repoussera sans doute autant qu’il comblera les attentes des spectateurs, malmenés trois heures durant devant cette odyssée viscérale.

Toutefois, force est de constater que niveau humour, Ari Aster sait y faire. Pour s’en convaincre, il suffit de s’attarder sur sa manière de résumer le film : « C’est une sorte de ‘Seigneur des Anneaux’ juif, mais qui va simplement voir sa mère ». Bon courage avec ça.

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